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Présence de Dieu en hôpital psychiatrique

Hervé Griffaton est bénévole en aumônerie d’hôpital psychiatrique. Il témoigne de son expérience, école de la gratuité et de l’inattendu. Il s’agit d’« être là » simplement avec chaque personne visitée et le Seigneur qui se rend présent.

Hervé Griffaton est bénévole en aumônerie d’hôpital psychiatrique. Il témoigne de son expérience, école de la gratuité et de l’inattendu. Il s’agit d’« être là » simplement avec chaque personne visitée et le Seigneur qui se rend présent.


Que ce soit sur appel du patient ou sur proposition discrète de visite (laïcité oblige), pousser la porte d’une chambre en hôpital psychiatrique est toujours engageant et ne peut se faire sans avoir préalablement demander à l’Esprit Saint son assistance. Qui va-t-on rencontrer ?
Un patient qui veut nous mettre à l’épreuve ou nous manipuler ? Un patient  qui recherche notre appui auprès ou plus exactement à l’encontre du médecin et /ou du juge des libertés pour être « libéré »? Un patient schizophrène ou bipolaire qui va vous asséner une logorrhée tout aussi incompréhensible qu’interminable ? Un patient délirant qui se prend pour le pape, un saint, un martyre, un prophète voire un nouveau Christ ? ou encore un patient … dont on se demande ce qu’il fait là !


Ouvrir une brèche à l’espérance

Quelques mots s’imposent : humilité, accueil, bienveillance. Il s’agit de respecter la partie inaccessible du patient, son identité propre, sa part d’humanité ; pour autant il est nécessaire de le situer rapidement pour s’adapter, discerner sans juger, éviter de nourrir un délire, trouver le point d’introduction d’une relation, ouvrir une brèche à l’espérance. Et quand la  souffrance est trop forte, il n’y a que le cri à entendre, un geste de compassion, une prière. Le patient n’est alors ni disponible, ni apte à la discussion ou à la prière. Le patient ne se reconnait pas, il se sent habité par un autre, aliéné, possédé, abandonné. Il se désocialise, conscient que sa maladie est trop souvent considérée comme honteuse et l’hospitalisation déclassante. Alors Seigneur ? Que faire ?
Être là tout simplement, prêtant dans la limite de nos moyens, oreilles, bouche, mains et cœur au Seigneur qui se fait présent. S’assoir sur la margelle du puits de la rencontre, laisser le Seigneur habiter cet espace et y faire sa demeure. Visitation ou, dans le silence ou dans l’échange, le souffle de l’Esprit viendra (ou ne viendra pas) apportant un peu de paix, un brin de joie, une certaine sérénité. Moment de grâce où le patient devient Frère ou Sœur, occasion de se raccrocher au roc, de raviver la petite flamme qui a survécu à la nuit la plus noire, retrouver des bons moments qui ne sont pas perdus, boire à la source un peu d’eau vive. On ne pourra cheminer longtemps ensemble, mais le Christ se sera fait proche, aimant, présence qui ouvre à la prière. Je ne suis plus seul. Dieu, lui, croit en moi, espère en moi, m’aime tel que je suis. Il me reste à me confier à Lui pour que sa force se déploie dans ma faiblesse et m’aide à mener le bon combat. Le Christ me relève ; relation qui peut ouvrir à la Réconciliation et au partage eucharistique.

J’aime à relire cette prière d’Inès qui se battait, quand elle en avait la force, contre la maladie invisible qui l’angoissait et lui pourrissait la Vie : « Dieu donne la manne chaque jour à son peuple.
Il bâtit son royaume avec moi, même si je ne fais rien à ses yeux. Il est dans mes faiblesses. Acceptation sans résignation. Je bâtis le Royaume de Dieu avec lui, quel que soit mon état. »
Quelques années plus tard, après des années de coexistence difficile avec cette maladie, angoisses et crises, Inès était atteinte d’une tumeur cancéreuse au cerveau. À partir de ce moment, l’ennemi était identifié, appréhendable. Inès récupéra sa sérénité. Elle savait désormais contre quoi se battre et vers qui elle allait…

 

« Être agi » par le Seigneur

Une rencontre dans les premiers mois de mon service m’a beaucoup enseigné. Sur sa demande, j’allais visiter « M. » un vendredi après-midi, fatigué par une semaine de travail chargée et encombré par des soucis. À peine je m’étais présenté, M. est parti dans une logorrhée que j’avais bien du mal à écouter et encore plus à comprendre. Pas moyen de l’arrêter. Mon attention faiblissait ; j’avais peine à garder les yeux ouverts, me battant pour ne pas m’endormir. M. ne tarde pas à s’en apercevoir et me dit d’une voix douce et devenue audible : « Je vous fatigue » puis me demande de venir s’allonger à côté de lui  pour me reposer. Cette proposition embarrassante à bien des égards me sort de mon sommeil éveillé. Compromis acceptable : je rapproche ma chaise de son lit et lui donne ma main. Le silence s’installe. Je sens sa main explorer la mienne et … je m’endors. Combien de temps ? Cinq, dix, vingt, trente minutes ? je ne sais et peu importe. À mon réveil, il me regarde longuement et me remercie chaleureusement. Je le quitte après avoir demandé à Marie de nous guider sur nos chemins respectifs. Je revois son sourire. Ce temps l’avait fait exister, ramené un moment à la Vie (moi aussi sans nul doute). Certitude que Le Seigneur était là, présent dans le creux de nos mains partagées. Déplacements pour moi, dirigeant de PME, baigné dans une culture du résultat et d’objectifs. École de la gratuité, de l’inattendu. S’ouvrir au Seigneur et le laisser faire comme dans l’Évangile. « Il s’agit moins d’agir que d’être agi. » disait Madeleine Delbrêl.

Hervé Griffaton, membre de la Communauté de Vie Chrétienne (CVX)

Note :
Les aumôneries sont le lieu d’accessibilité et d’exercice du culte dans l’hôpital, droit reconnu par la République au patient. L’équipe de l’aumônerie (aumônier, responsable salarié rémunéré par l’hôpital, et bénévoles) assure quand cela est possible la célébration de l’eucharistie dominicale.
Une communauté (aux périphéries chères au pape François) se forme alors, très provisoire mais non moins fervente, et fait Église. Il est nécessaire d’aller chercher et de raccompagner les patients lorsque ceux-ci sont dans des services « fermés ». L’équipe de l’aumônerie  assure une permanence d’accueil et répond aux demandes de visites et de sacrements. Au-delà avec discrétion et dans
le respect de la charte de la laïcité, elle va au-devant pour visiter les services, se faire connaitre et proposer de rompre des solitudes. Les bénévoles sont comme les soignants : trop peu nombreux pour être suffisamment disponibles.

 

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