Par la sobriété, se rapprocher de la Création et du Créateur

« Laudato si’, ma foi me met en route ». L’intitulé de ce dossier m’invite à poser deux questions à la lumière de l’encyclique Laudato si’ (LS) : comment notre foi est-elle interpellée par la crise écologique que nous traversons et quelles sont ses conséquences sociales ? Comment peut-elle concrètement nous mettre en route ?

« Laudato si’, ma foi me met en route ». L’intitulé de ce dossier m’invite à poser deux questions à la lumière de l’encyclique Laudato si’ (LS) : comment notre foi est-elle interpellée par la crise écologique que nous traversons et quelles sont ses conséquences sociales ? Comment peut-elle concrètement nous mettre en route ?
 

Notre foi est interpellée

Il est peut-être devenu évident pour tous que notre foi chrétienne ne peut se désintéresser de la situation écologique de notre temps. Mais quelques réactions entendues encore récemment en Église m’invite à reprendre deux idées-forces de l’encyclique qui nous rappellent que « vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu n’est pas (…) quelque chose d’optionnel dans l’expérience chrétienne » (LS 217).

Nos frères et sœurs les plus pauvres crient. Ils sont les plus affectés, les plus vulnérables et les moins responsables de la crise écologique. Leurs conditions d’existence, leur vie même, sont gravement menacées. Et notre être chrétien pourrait s’en désintéresser ? Pourtant nous le savons, Dieu entend le cri du pauvre et du malheureux et réclame justice pour lui : « qu’as-tu fait de ton frère ? » (Gn 4,10).

De plus, notre foi même est questionnée par les bouleversements écologiques. Si nous croyons vraiment en un Dieu indissociablement Créateur et Sauveur, alors il nous faut affirmer que ce qu’il a créé sera sauvé. Le salut chrétien n’est pas un salut spiritualiste, pour des « âmes » qui n’auraient rien à voir avec notre humanité faite de chair et de sang, de tous les liens indispensables qui nous relient au vivant.  Au contraire, la Création participera à la « fête céleste » (LS 244) où « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 28). L’ensemble du créé importe aux yeux de Dieu. Notre terre n’est pas un réservoir passager de ressources pour notre seule utilité d’aujourd’hui, et les autres vivants ne sont pas de simples objets à notre disposition.

Notre foi nous met en route

Nous voici donc, au nom même de notre foi et de l’éthique qui en découle, appelés à renouveler notre rapport au vivant. Mais nous faisons l’expérience que le changement est difficile. Nous avons beau savoir avec toujours plus de précisions les conséquences - déjà là ou prévisibles - des dérèglements climatiques et écologiques, ce savoir ne suffit pas toujours à nous mettre en route. Les socio-psychologues en sont bien conscients, le pape François aussi.

Dans Laudato si’, il nous rappelle que les connaissances scientifiques ne suffiront pas à un changement durable. Pas plus d’ailleurs que de simples injonctions morales. Et pour cause : la crise écologique est pour lui la conséquence du consumérisme, une forme d’addiction à la consommation. Et si nous sommes « drogués », il ne suffit pas de savoir qu’il y a danger pour changer. Nous avons besoin de « motivations » intérieures puisées au meilleur de nos ressources spirituelles, philosophiques, culturelles (LS 211). Car ces ressources peuvent nous dévoiler un nouvel horizon, désirable et possible, au-delà de ce que nous connaissons aujourd’hui et qui nous entravent, ces « mythes » du progrès technique, de la croissance ou de la surconsommation (LS 210). Elles peuvent nous laisser entrevoir que le renoncement à ce à quoi nous sommes addicts nous permettra de gagner quelque chose de meilleur.

C’est cet horizon que propose François dans le chapitre 6 de Laudato si’ en invitant à développer un nouveau paradigme personnel et collectif. Un paradigme de la « saine humilité » et de la « sobriété heureuse » (LS 224) qui pourrait remplacer celui de la domination du reste du vivant et de l’exploitation illimitée des ressources.

Cela passe par un enjeu éducatif et spirituel, en particulier pour nos communautés ecclésiales, une invitation à promouvoir des récits et des imaginaires qui forgent ce nouveau paradigme et le rendent pensable et désirable. Pour cela, François estime que les croyants ont des trésors à leur disposition dans leurs ressources spirituelles et scripturaires. Mais peut-être les avons-nous un peu oubliées. Peut-être nous faut-il reparcourir dans toute la Bible le chemin de libération de nos idoles collectives (Ex 32, 1 Th 1, 9…) écouter à frais nouveaux les Prophètes qui ne cessent d’appeler à la justice, condition d’une vie réconciliée avec toute la Création (Is 11, 1-9…) ou réentendre les appels du Christ à une vie sobre (Lc 12, 13-21).

Alors nous pourrons envisager de nouvelles manières de vivre, très concrètement. Là aussi, des récits positifs du changement nous aideront. En sachant que « positif » ne signifie certainement pas ici faciles ou superficiels. Quels films, romans, expériences vécues par nous-mêmes ou par d’autres aurions-nous à nous offrir ? Il s’agit ensuite d’expérimenter à notre tour ces changements, pas après pas, et surtout de le faire avec d’autres, pour y (re)découvrir que la fraternité universelle avec tout le vivant, la sobriété et le partage, sont les chemins de la vie bonne selon l’Évangile. Et c’est bien de goûter cela dont nous avons le plus besoin dans un monde qui « s’effrite » (Laudate Deum n°2). Sinon, il est à risquer que nous nous réfugiions dans le sauve-qui-peut et le chacun pour soi aux heures plus éprouvantes. 

François nous rappelle enfin que ce changement doit se jouer au trois niveaux de l’agir s’il veut prétendre à une certaine efficacité : changement de modes de vie personnel, projets collectifs et travail sur les structures et institutions. Le chantier est vaste mais il en vaut la peine !

Hélène Noisette, sœur auxiliatrice

Hélène Noisette est sœur auxiliatrice, agronome de formation initiale. Elle est aujourd'hui professeure associée au Centre Sèvres - Facultés jésuites de Paris pour le département d'éthique sociale et environnementale.