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Danielle Eon

Contempler

La contemplation est une attitude chrétienne par excellence, qui nous dispose à accueillir la présence divine. Dans la spiritualité ignatienne, cette expérience sollicite les cinq sens, elle s’appuie sur la méditation de la Parole biblique et la relecture de vie. Premier volet d’une série de trois articles, par sœur Danielle Eon, sur « Contempler, discerner, agir ».



La contemplation est un exercice spirituel important dans la spiritualité ignatienne. Mais elle n’est pas réservée à celles et ceux qui cheminent à l’aide de la pédagogie des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola : elle devrait tenir une place de choix au cœur de nos vies humaines et chrétiennes, qui que l’on soit… En sommes-nous réellement convaincus ? Ne sommes-nous pas plutôt trop souvent happés par la succession des activités de nos existences au rythme trépi- dant, au point de ne plus être en disposition pour voir, entendre, sentir, goûter… ?

Qu’est-ce que contempler?

Dans la tradition chrétienne monastique, la contemplation est une expérience profonde. Elle consiste à laisser envahir tout son être par la présence divine. C’est l’attitude passive de celui ou celle qui se tourne vers Dieu afin d’entrer avec lui dans une intimité profonde et qui reçoit de Lui, sur fond de repos et d’abandon. Pour Jean de la Croix, la contemplation implique le détachement des passions sensibles, des certitudes naturelles et de notre bagage intellectuel, de notre esprit raisonneur et de nos objections… C’est la « nuit obscure » qui conduit aux délices de l’union à Dieu.

Or, il faut bien reconnaître qu’une telle expérience mystique nous est bien souvent étrangère ou inaccessible et… nous n’en sommes peut-être pas si méco tents… ! Elle peut nous paraître quelque peu inquiétante…

Ignace de Loyola, pour sa part, propose une pédagogie de la contemplation qui semble davantage à notre portée, à travers un certain nombre d’exercices destinés à nous emmener progressivement vers une attitude contemplative, caractérisée par un laisser-faire et un laisser-venir conduisant à se laisser-toucher.

Contempler une scène biblique

Lorsqu’Ignace invite à contempler une scène d’évangile, il propose de nous rendre présents aux évènements racontés, en nous remémorant leur contexte et en visualisant la scène à l’aide de l’imagination, dans le silence.
 
Il s’agit alors d’user progressivement des cinq sens pour regarder ce qui se passe, écouter ce qui se dit, sentir le froid ou la chaleur, percevoir les sentiments qui s’expriment, goûter l’atmosphère de l’histoire racontée là… Un aspect de la scène attirera peut- être notre attention : l’attitude de Jésus ou d’un autre personnage, un geste, une parole, un silence, une ambiance… De là, nous pouvons laisser parler les choses de manière renouvelée ou même inédite. à partir de ce que l’on voit, entend, perçoit… nous sommes invités à tirer quelque profit, c’est-à-dire à nous laisser instruire, éclairer, appeler peut-être… Notre cœur et notre intelligence seront parfois touchés, transformés, déplacés, mis en mouvement… Nous pourrons nous laisser renouveler dans une compréhension intérieure des choses ou laisser imprimer en nous les manières de faire de Jésus pour les adopter peu à peu, nous aussi.

Dans ce cas d’une contemplation biblique, nous plongeons mentalement dans la scène pour observer, écouter, goûter, y prendre place nous-mêmes pourquoi pas… Si nous contemplons l’histoire de Zachée par exemple, bien des choses pourront attirer notre attention, selon le point de notre cheminement. Peut-être serons-nous interpellés par cet homme courageux qui fait entrer le Christ dans l’intimité de sa vie et qui en ressort transformé ? Peut-être serons-nous instruits par la délicatesse du Christ… ?

Par l’imagination et les images mentales, il s’agit d’être pleinement là pour nous rendre attentif à ce qui nous est raconté. Mais bien évidemment, une telle attention suppose de se laisser décentrer de nos propres pensées et préoccupations, au moins suffisamment. Pour véritablement regarder, écouter ou sentir…, encore faut-il être un peu à distance de nos propres élucubrations, de nos propres constructions mentales, de nos schémas de pensée, de nos certitudes. Sans aller jusqu’à parler de « nuit obscure », nous retrouvons ici le lâcher-prise et l’abandon décrits par Jean de la Croix.

Contempler ce qui vient à nous, dans nos vies

Même si la contemplation de scènes bibliques reste centrale pour nos vies chrétiennes, bien d’autres situations de nos vies peuvent également se faire sources de contemplation. Un beau paysage peut nous émouvoir et évoquer en nous la grandeur du Créateur ; l’éclosion du printemps peut nous redire la force de vie qui habite toute créature ; un beau morceau de musique peut nous parler au cœur, e primer une tendresse et apaiser nos pensées… Mais pour cela, encore faut-il lâcher suffisamment les images, les pensées, les raisonnements intérieurs qui empêchent nos sens de se tourner vers l’extérieur et d’accueillir ce qui vient.

Le paysage à contempler est aussi celui de nos vies, et c’est pourquoi la tradition ignatienne suggère de s’arrêter régulièrement pour se remémorer et contempler ce que nous vivons. En fin de journée ou au terme de la semaine, nous pouvons laisser remonter certains événements vécus, une rencontre marquante, un visage qui a touché… C’est alors qu’une action de grâce peut monter en soi, dans la reconnaissance de tel ou tel bienfait reçu : un encouragement qui a  aidé à dépasser les difficultés, une parole consolante, une vérité douloureuse à entendre mais qui s’est avérée libérante… De là, nous pouvons faire un pas de plus et commencer à apercevoir l’œuvre du Dieu Créateur en nos vies, son amour, sa présence, son salut.

Mais la contemplation des évènements vécus peut aussi nous instruire le cœur et l’intelligence. à travers les évènements vécus, quelque chose surgit et me surprend, me touche, m’interpelle, rejoint mon désir et le confirme ou me déloge d’une certitude. Ce qui se passe au cœur de l’acte de contempler ne provient pas d’un raisonnement ou d’un ressassement en soi-même : ce que je vois, entends ou perçois vient m’atteindre dans mon univers intérieur, provoque une ouverture, une compréhension intérieure nouvelle.

Jésus, grand contemplatif…

Dans les évangiles, Jésus nous est présenté comme un grand contemplatif capable de s’inspirer de toutes sortes de réalités quotidiennes pour parler du Royaume et de la logique divine : la petite graine de moutarde, l’ivraie et le bon grain, la pièce d’argent perdue, le levain dans la pâte, l’enfant prodigue… Cette aptitude à mettre en lien les choses de Dieu et celles de la terre révèle qu’une merveilleuse capacité d’attention sur les réalités du monde et une profonde intimité avec Dieu cohabitaient en Jésus.

Plus précisément, il invitait ses contemporains à lâcher leurs a priori pour se laisser instruire au plus profond d’eux-mêmes par ce qu’ils voyaient s’accomplir autour d’eux en Jésus, par ses gestes, ses paroles, sa présence :

« Quand vous voyez un nuage monter au couchant, vous dites aussitôt qu’il va pleuvoir, et  c’est ce qui arrive. Et quand vous voyez souffler le vent du sud, vous dites qu’il fera une chaleur torride, et cela arrive. Hypocrites ! Vous savez interpréter l’aspect de la terre et du ciel ; mais ce moment- ci, pourquoi ne savez-vous pas l’interpréter ? (1 )»

Son regard affiné savait aussi reconnaître la qualité de l’offrande de la pauvre veuve qui déposait dans le trésor du Temple infiniment plus que le superflu concédé par les riches (2).

Demandons-lui d’ouvrir nos yeux et nos  oreilles, notre capacité à sentir et à goûter, pour nous laisser affecter et toucher par ce qui vient à nous. Nos vies  et ce qui nous entoure sont un peu comparables à un grand tableau de peinture à côté duquel nous pouvons passer maintes et maintes fois, sans rien voir. Elles sont encore comparables à une œuvre musicale que nous écoutons d’une oreille distraite. Nos sens extérieurs et intérieurs ont besoin d’être éduqués pour percevoir ce qui se passe en nous et autour de nous, pour voir, écouter, sentir ce qui se passe, goûter ce qui nous est donné et nous en émerveiller. Dieu pourra nous parler quand nous commencerons à quitter, au moins un peu, ce que nous croyons percevoir des choses et des situations, pour nous ouvrir  à la nouveauté qu’il murmure.


Danielle Eon
est sœur de La Retraite et enseignante en théologie.
Elle est engagée depuis de longues années dans l’accompagnement spirituel individuel
et de groupe,  ainsi que dans la formation aux Exercices.
 
1. Luc 12, 54-58.
2. Marc 12, 41-44.

Crédits photos: Catherine Raphalen

 

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