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Air du temps - Revue N°91 - Janvier 2025
Vivre l’espérance d’une année jubilaire
Comme tous les vingt-cinq ans, l’Église célèbre cette année un Jubilé. Suivant une tradition reprise au XIVe siècle, une année jubilaire est l’occasion d’interroger la justice sociale. Parmi les principes que souligne le pape François pour ce Jubilé 2025 figurent ainsi la distribution des terres, l’amnistie pour certains détenus et la remise des dettes de pays pauvres.En Mésopotamie et en Égypte, du Ier au IIIe millénaire avant notre ère, il existait une longue tradition de remise des dettes dont l’objectif était la justice et la paix sociale. Cette tradition fut reprise dans le Lévitique (rédigé entre le XVIe et le XIIe av. J.-C.), puis par l’Église catholique au XIVe siècle sous un angle plus spirituel de pardon des péchés et d’indulgence plénière. Au XXe siècle, les dimensions de justice sociale ont été progressivement réaffirmées. Aujourd’hui, elles dessinent pour nous un chemin d’espérance.
Dans sa bulle d’indiction du Jubilé de 2025¹, le pape François rappelle le texte du Lévitique : « Vous déclarerez sainte cette cinquantième année et proclamerez l’affranchissement de tous les habitants du pays » (Lv 25,10). Le texte biblique décline ensuite trois axes d’action : la rétrocession des terres, la libération des esclaves et la remise des dettes. Le pape insiste particulièrement sur l’amnistie pour les détenus « selon des formes à préciser », et sur la remise des dettes des pays les plus pauvres. Selon lui, il ne s’agit pas d’exhumer une règle antique pour l’appliquer au monde d’aujourd’hui, mais de rappeler que le Christ appelle tous les hommes à être libres.
L’appropriation des terres est donc le premier axe de réflexion du Lévitique. Dans la tradition hébraïque, la terre est à Dieu : on ne vend pas la terre, mais la possibilité de faire des récoltes, l’usufruit. Actuellement, en France, la concentration des terres cultivables est un obstacle majeur à l’installation de jeunes agriculteurs. On peut donc s’interroger : pourquoi ne pas s’intéresser et soutenir les initiatives pour préserver les terres agricoles, faciliter l’accès des paysans et une forme de propriété collective des terres et développer une agriculture biologique et paysanne² ?
Limiter l’accumulation des terres était, pour les Hébreux, une façon de contenir l’accumulation du capital de production. Ce principe pourrait être élargi aujourd’hui au capital industriel puisque, plus le capital augmente, plus les inégalités augmentent. Lutter contre les inégalités par la redistribution grâce à l’impôt ne suffit pas, ce système ayant montré ses limites. Pourquoi alors ne pas envisager une limitation de l’accumulation du capital ? Pourquoi ne pas inventer une autre manière de produire, plus efficace ?
Surendettement
Le second axe du jubilé hébraïque concerne la remise des dettes. En France, en 2023, près de 586 000 personnes ont été reconnues en situation de surendettement. Or ce surendettement des foyers repart à la hausse malgré les aides existantes. Ne faudrait-il pas mettre en place des actions plus structurelles, en révisant les grilles de rémunération, en limitant la précarité des emplois, en encadrant le coût des logements, en révisant la législation sur les emprunts bancaires… ?
La remise des dettes concerne aussi celle des pays. Déjà en 1991, dans son encyclique sociale Centesimus annus, puis lors du jubilé de l’an 2000, Jean-Paul II avait demandé « de trouver des modalités d’allégement, de report ou même d’extinction de la dette, compatibles avec le droit fondamental des peuples à leur subsistance et à leur progrès ». Le pape polonais rappelait qu’« on ne saurait prétendre au paiement des dettes contractées si c’est au prix de sacrifices insupportables ». De même, dans sa bulle papale de mai 2024, François demande l’annulation des dettes des pays les plus pauvres comme chemin vers la paix. Pourquoi ne pas soutenir les efforts du CCFD-Terre solidaire³ dans ce domaine ?
Le troisième axe touche à la libération des prisonniers. En France, le nombre de prisonniers a plus que doublé en quarante ans, sans corrélation avec l’évolution démographique ou celle de la délinquance. Avec plus de 91 000 détenus, les prisons sont surchargées. Le pape François invite à l’amnistie des prisonniers. Et les Principes Généraux de la Communauté de Vie Chrétienne font référence au Jubilé (PG 8) en appelant à « annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, libérer les opprimés et proclamer une année de grâce du Seigneur ». Certes, des chrétiens sont engagés comme visiteurs de prison, mais l’Église ne pourrait-elle appeler à libérer certains prisonniers, ou au moins à transformer les prisons en centres de formation et de réadaptation pour éviter les récidives ?
Situation d’esclavage
En outre, non loin de l’Hexagone, même si l’esclavage a été aboli au XIXe siècle par les Européens, ce sujet reste d’actualité. Selon l’ONU, environ 50 millions de personnes vivent en situation d’esclavage, notamment en Afrique subsaharienne et en Amérique latine (dans les mines…), en Chine et en Corée du Sud (dans les champs de coton, les bateaux de pêche industrielle…), et en Italie (des immigrés pour les travaux agricoles), mais aussi dans certains pays du Golfe.
En cette année de Jubilé, l’Église, dans la fidélité à sa tradition, appelle donc à visiter les prisonniers, à libérer les esclaves, à soutenir l’installation de jeunes paysans grâce à des financements citoyens, à militer pour l’annulation des dettes des pays les plus pauvres… En agissant ainsi, les « pèlerins d’espérance » – puisque tel est le thème de ce Jubilé – contribueront à rendre visibles les liens qui existent entre pardon des péchés et justice et entre justice et paix, qu’ils se rendent ou pas à Rome ou dans les sanctuaires reconnus. Voilà un véritable chemin d’espérance sur lequel le peuple chrétien peut s’engager.
Arnaud du Crest,
CVX Loire-Océan
¹ Intitulée Spes non confundit, cette bulle a été publiée le 9 mai 2024.
² Le mouvement Terre de liens en est un bon exemple : terredeliens.org
³ ccfd-terresolidaire.org.
Ancien directeur de l’Observatoire économique et social des Pays de la Loire, Arnaud du Crest est membre de CVX, référent Laudato si’. Ingénieur agronome, il est engagé auprès de migrants et anime le groupe « Écologie paroles de chrétiens » du diocèse de Nantes.

Copyright : © Éric Vandeville / akg-images
Légende : Le pape Jean-Paul II avait ouvert la Porte sainte de la basilique Saint-Pierre le 24 décembre 1999 pour le Jubilé de l’an 2000. Le pape Jean-Paul II avait ouvert la Porte sainte de la basilique Saint-Pierre le 24 décembre 1999 pour le Jubilé de l’an 2000.
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