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Témoignages - Revue N°89 - Septembre 2024
Quand la prière est "aussi sèche qu'une pierre"
© P. Lissac / Godong
Un moine de l'abbaye bénédictine de la Pierre-qui-Vire (Yonne) témoigne de ses distractions pendant les offices et de la manière dont il continue à prier, malgré tout.
Un grain de blé bien sec, sur une pierre tout aussi sèche, sans aucune chance de germer un jour : c’est ainsi qu’il m’est arrivé de me décrire à mon maître des novices, au début de ma vie monastique. Le mot d’acédie n’avait pas émergé de nos échanges, mais c’était bien de cela qu’il s’agissait. Et je m’étonnais de la patience du Seigneur, lequel ne semblait pas s’émouvoir outre mesure de cette impasse. Car cela durait. Et parfois, cela réapparaît, pour durer encore…
Un autre symptôme de l'acédie, c’est la distraction. Je mets ce mot au singulier : après tout, bien souvent, je n’en ai qu’une pendant chacun de nos sept offices monastiques. Elle commence avec lui, et se termine de même. Une seule par office, mais vous conviendrez que ce n’est pas satisfaisant… Acédie encore ? À mes yeux, oui. Et cela dure, dure, et dure encore... sans pour autant que je me détourne de la prière.
Comme l'eau sur le dos d'un canard
Autre symptôme encore : les versets johanniques sur l’amour, et en particulier les mots « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8. 16) me sont incompréhensibles. Ils ont autant d’effet sur moi que l’eau sur les plumes d’un canard. Et cela, depuis mes plus anciens souvenirs, sans indice de changement en cours ou à venir.
Bref, en dehors de très rares moments de lucidité (il y en a quand même…), tel un enfant adopté devenu avec les années adolescent boudeur, je suis incapable de m’étonner, et encore plus de m’émerveiller que le Seigneur ait fait de moi son enfant, et que, pour réaliser cela, il ait accepté la mort sur une croix. Quant à en éprouver de la reconnaissance… Acédie, encore et toujours.
Au moment de la Rencontre, je ne pourrai présenter ni marques de regret ni expressions de gratitude, rien de personnel qui plaide en ma faveur. Comme la "femme adultère" du chapitre 8 de l’Évangile de Jean : en présence de ses accusateurs, totalement passive et même apathique, elle n’a pas un mot pour se défendre, pour invoquer des excuses, pour implorer le pardon. Je pense aussi à Gomer, la femme " prostituée" que le prophète Osée épouse (Os 1,3).
Et pourtant, l’accueil sans faille d’adolescents en révolte ou à la dérive par leurs parents terrestres m’aide à espérer contre toute espérance. J'espère que j’entendrai, moi aussi, le Christ me dire : « Je ne te condamne pas » (Jn 8,11). Et aussi : « Entre ; ici, tu n’auras plus à rougir ; tu trouveras tendresse et fidélité » (Ez 16,15). Et cette espérance-là me donne de tenir, jusqu’à ce qu’enfin j’éprouve ce qu’aimer veut dire.
Un moine de la Pierre-qui-Vire
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