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Repères ignatiens / Repères ecclésiaux - Revue N°89 - Septembre 2024

Prévenir et soigner l’acédie

Le psychanalyste chrétien Jean-Guilhem Xerri, qui a publié plusieurs ouvrages sur la vie spirituelle et qui a l'habitude d’accompagner des personnes en désarroi intérieur, rappelle ce que propose l’Église à ceux qui traversent une période d'acédie.

Lors d’une première consultation, une personne, se sentant lasse, fatiguée, « pas bien intérieurement", lance cette question : « Est-ce que je suis acédiaque ? ». Une interrogation qui a le mérite de la pertinence, au vu de l’actualité de l’acédie.

Notre société vit, en effet, une sorte de neurasthénie de masse : anxiété, violence, hyperactivité, instabilité, déprime, fascination pour le bien-être... mais aussi pulsion de changer de vie, de maison, de travail, de partenaires, etc. On en trouve une incarnation chez "François", le personnage principal du roman "Soumission" de Michel Houellebecq (1), qui est un universitaire désabusé, traînant son ennui entre deux histoires sexuelles et ses cours à la Sorbonne...


Une maladie de la démesure
Cette neurasthénie a un nom : l’acédie. Elle est une maladie de la démesure, par minimalisme ou maximalisme. Elle est en profondeur une atonie de la vie intérieure, un dégout spirituel. Les Pères du désert (2) l’avaient identifié comme une maladie spirituelle complexe, affectant tout notre être. Ils l’identifiaient par cinq caractéristiques : 1) une instabilité intérieure se traduisant par un incessant besoin de bouger et de changer ; 2) un souci exagéré de sa santé et de son corps ; 3) une aversion pour le travail ou, au contraire, un activisme forcené ; 4) une négligence dans ses engagements, en en faisant le strict minimum ou, au contraire, en en faisant trop par perte du sens de la mesure ; 5) un découragement général avec remise en cause de ce qui est essentiel. 

L’acédie concerne le rapport de l’homme avec lui-même. « L’esprit est troublé sans raison », disait Jean Cassien (3). Plus exactement, sans raison manifeste mais avec une cause profonde qui est l’engourdissement de sa vie intérieure. « Mon âme s’est endormie à cause de l’acédie » lit-on dans le Psaume 118, verset 28.
Sortir de l'acédie ne passera donc pas par des accusations ou des solutions apportées de l'extérieur, mais par un chemin intérieur personnel. La victoire sur l’acédie nécessite du temps et le chemin peut être long. Les thérapeutiques proposées par le christianisme des premiers siècles étaient autant curatives que préventives. Elles sont au moins au nombre de cinq. D’abord, être persévérant. « L’acédie est résolue par la patience », assure Évagre le Pontique. Viser aussi la stabilité, ce qui signifie qu’en période d’acédie il n’est pas recommandé de décider des changements importants.


© Collection privée.

Vivre chaque jour comme s’il était le dernier
Il s'agit ensuite de vivre chaque jour comme s’il était le dernier. A un ancien à qui on demandait : « Pourquoi n’es-tu jamais découragé ? », il répondit : « Parce que chaque jour, je m’attends à mourir ». Dans cette recommandation, il n'y a rien de morbide ; c’est juste un rappel que nous sommes mortels et que notre mort peut survenir à chaque instant. Cette médication peut aider à mieux vivre le présent, avec plus d’intensité intérieure et sans se perdre dans des choses dont nous sentons intérieurement qu’elles n’ont aucun intérêt. 
Autre conseil des Pères du désert : mener une activité concrète régulière, un travail avec un début et une fin. « On disait d’abba Paul que, bien qu’il n’en ait pas besoin pour se nourrir, il travaillait pour purifier son cœur, empêcher la divagation de ses pensées et remporter une victoire sur l’acédie », rapporte Jean Cassien. Sans travail concret, nul ne peut s’élever ni demeurer stable. Il s’agit de limiter l’ennui, la tendance à l’oisiveté et l’inoccupation mentale. Cette activité, volontiers manuelle, aide à tenir l’attention et à être davantage présent au réel. 
Un autre conseil consiste à prendre de la distance avec ce qui tire vers le bas. « Ne vous laissez pas inquiéter par les rumeurs », conseille Jean Cassien. Cela implique de ne pas s’abreuver d’actualités morbides, de réseaux sociaux violents, d’émissions débilitantes mais de faire le choix de privilégier ce qui va élever l'âme vers des belles réalités, des rencontres pacifiantes et porteuses d’espérance. Enfin, il est conseillé de se faire accompagner. « Il est parfois tout à fait nécessaire de rencontrer un homme éclairé qui a l’expérience des choses, pour recevoir de lui la lumière et la force », recommande Basile de Césarée. En temps utile, un regard extérieur peut s’avérer nécessaire.

De nombreux symptômes de l’acédie
Notre société présente de nombreux symptômes de l’acédie. Cela ne signifie pas que chacun, à l’échelon individuel, en est atteint. Mais il peut être opportun de s’interroger paisiblement si l'on se sent rejoint par tel ou tel aspect de cette atonie spirituelle.

D’après un apophtegme des premiers siècles, une humble servante isolée a témoigné un jour de la meilleure attitude face au dégout spirituel. Alors qu'on lui avait demandé comment elle pouvait tenir ferme sans rencontrer personne et en luttant de surcroît contre l’acédie, elle répondit : « Depuis le point du jour jusqu’à la neuvième heure, je prie heure par heure tout en filant le lin. Durant les heures qui restent, en esprit, je me mets en présence des saints patriarches, prophètes, apôtres et martyrs. Je mange alors mon pain et, pendant les autres heures, je persévère dans une attente patiente, prête à accueillir la fin de ma vie, animée d’une heureuse espérance ».

                                                                      
Jean-Guilhem Xerri


(1) « Soumission », éd. J'ai lu, 2017.
(2) Les Pères du désert, premiers moines chrétiens au IIIe et VIIe siècles, vivaient dans les déserts de Mésopotamie, d’Égypte, de Syrie et de Palestine.
(3) Ce saint moine méditerranéen au Vᵉ siècle a marqué profondément les débuts de l'Église en Provence.



Psychanalyste, coach, superviseur et essayiste, Jean-Guilhem Xerri est ancien interne des Hôpitaux de Paris. Il exerce des responsabilités dans l'environnement hospitalier et associatif après avoir présidé l’association « Aux captifs la libération ». Il est l’auteur de plusieurs livres sur la vie intérieure, dont « Prenez soin de votre âme » (Cerf, 2018), « (Re)vivez de l’intérieur » (Cerf, 2019) et « La vie profonde » (Cerf, 2021). Il vient de publier avec Anselm Grün « Pourquoi je reste dans l’Église » (Salvator, 2024).
 
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