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Spiritualité ignatienne - Revue N°94 - Septembre 2025

Louer, respecter et servir, trois verbes pour aujourd’hui

Dans le paragraphe « Principe et fondement », au début des Exercices spirituels, Ignace de Loyola invite le chrétien à « louer, respecter et servir Dieu ». Trois clés pour toute vie spirituelle, qui peuvent aussi nous aider
à tenir ferme en notre époque troublée.


Ce que l’on nomme « Principe et fondement » se situe au numéro 23 des Exercices spirituels d’Ignace de Loyola. Ce texte particulièrement important commence ainsi : « L’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur, et par là sauver son âme. »
Si les termes « louer » et « servir » se retrouvent dans toutes les traductions, le deuxième verbe (hazer reurencia, en espagnol, littéralement « faire révérence ») est exprimé différemment selon les traducteurs. Mais il s’agit de « faire révérence » devant Dieu, c’est-à-dire de Le révérer. Au temps d’Ignace, ce verbe avait une connotation très concrète : devant un grand notable, un roi ou une reine, on s’inclinait et on se courbait pour signifier le respect. Aujourd’hui, il est plus simple d’utiliser le verbe « respecter », même si le mot « révérer » est plus proche du texte d’Ignace.
Mais comment, à notre époque d’irrespect et d’individualisme, redonner du sens à ces trois verbes : louer, respecter et servir ? Un chrétien responsable et soucieux de se convertir chaque jour plus profondément peut-il encore s’appuyer sur ce « Principe et fondement » d’Ignace ?

« Manuel de survie » du chrétien

En fait, il est important de comprendre que ces trois verbes ne résonnent pas comme des conseils à suivre, mais comme un viatique de tous les instants, comme trois jalons essentiels dans le « manuel de survie » du chrétien, qui lui permettent de rester serein sans être naïf. Et ce, même s’il est parfois difficile de ne pas se sentir angoissé ou en colère devant les tensions, les conflits, le réchauffement climatique, la complexité du monde contemporain. 
« Louer », cela ne consiste pas, en effet, à réciter quelques formules d’action de grâces ou de gratitude. C’est se décentrer de soi-même, se désapproprier de son ego et de tout l’attirail du « moi, je », en abandonnant sa volonté, son désir de tout contrôler dans sa vie. Louer, c’est faire acte d’humilité et ainsi désirer entrer dans une union intime avec le Père en lui rendant grâce et en Lse remerciant pour son amour, pour sa Création, pour le don de son Fils, pour l’Esprit Saint qu’Il donne à chacun. Alors, la louange prend tout son sens et s’adresse au Père, Créateur, de qui dépend toute vie depuis sa Création première. Louer, c’est reconnaître que l’on n’est pour rien dans le fait d’être né, ni même dans celui de respirer. C’est entrer dans un consentement à l’immensité de l’amour de Dieu pour chacun d’entre nous, dans une totale gratuité. Il est important aussi de louer Dieu pour les bienfaits qu’Il nous accorde dans notre quotidien, sans nous étonner de l’inattendu de Dieu quand Il répond à nos demandes. 

C’est aussi louer le Christ pour sa venue parmi nous, pour le mystère de sa croix et les portes qu’Il nous a ouvertes. C’est accepter d’entendre Jésus poser la question : « M’aimes-tu plus que ceux-ci ? » (Jn 21,15). Enfin, louer, c’est louer l’Esprit Saint comme notre Défenseur, même quand la situation représente une cause perdue selon nos critères humains. La Trinité met sa confiance en chacun d’entre nous.
Ainsi, rendre gloire à Dieu – Le louer – est la première action à faire chaque jour en se levant et en s’habillant, en consentant par avance aux événements de la journée qui commence, quels qu’ils soient, qu’il s’agisse de moments de joie ou d’ennui, de plaisir ou de souffrance. Louer, c’est se mettre dans les pas de Dieu qui est sans cesse à nos côtés. C’est entrer dans l’écoute du « fin silence » de Dieu (1R 19,12). Louer est le chemin qui conduit à la Source et qui nous fait rester tournés vers le Seigneur dans la succession des heures et des jours.

En privilégiant la dimension verticale de la prière

Vient ensuite le verbe « respecter ». Ce respect s’adresse en premier à Dieu. Certains pourraient s’en tenir à Lui et à Lui seul, en privilégiant la dimension verticale de la prière. Mais Ignace ne limite pas ce respect à Dieu seulement. Dans « Principe et fondement », il emploie le mot « homme » comme un terme générique. Il s’agit donc de se respecter soi-même, de respecter l’autre, les autres, c’est-à-dire ceux que l’on côtoie quotidiennement de même que ceux qui sont éloignés et ceux que l’on n’aime pas.
Le respect suppose une distance pour ne pas être submergé par des émotions, des sentiments qui peuvent être destructeurs. Le respect entraîne l’humilité et la dépossession pour une véritable écoute de Dieu, de l’autre et de la Création tout entière. En effet, c’est par le cœur que la compréhension du mystère divin peut se faire, si bien que le respect suppose de veiller à ne pas se servir de ses connaissances (y compris bibliques et théologiques) avec condescendance et mépris. Respecter la nature sans l’idolâtrer rejoint ce que demandait le pape François dans son encyclique Laudato si’, car Dieu demande à l’homme de poursuivre avec Lui sa Création, sans la piller ni la financiariser.

Respecter, c’est donc découvrir la part divine de ceux que l’on croise et ne pas porter atteinte à leur dignité ni à leur liberté. C’est aussi faire la distinction entre la personne et l’acte qu’elle pose, même quand cet acte relève d’une justice pénale.
Quant au verbe « servir », il engage en réclamant de la cohérence, de la constance dans la durée et un savoir-faire. La noblesse de la louange et du respect atteint son apogée dans la gratuité du service qui en émane. N’est-il pas nécessaire de servir Dieu en premier par la prière, le silence, la rencontre dans un cœur à cœur continuel ? N’est-ce pas faire acte de respect et de déférence que de servir ceux qu’on aime mais aussi ceux que nous voudrions fuir ?
C’est l’annonce de la Bonne Nouvelle qui alimente le fait de « servir ». Or, la Bonne Nouvelle, c’est aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force, de toute son intelligence, et son prochain comme soi-même (Mc 12,30-31). Servir, c’est donc être porteur de la Bonne Nouvelle dans l’esprit du Lavement des pieds tel que Jésus l’a vécu quelques heures avant son procès. Servir, c’est faire comme Jésus : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13,15). Ce double mouvement du service participe au chemin de conversion lequel, en retour, modifie le service lui-même.
Bon nombre de chrétiens aujourd’hui perçoivent l’urgence qu’il y a à « servir » la nature pour la respecter et la sauvegarder. Difficile en effet de rester silencieux et inactif face aux dégradations de la Création qui se multiplient. L’engagement n’est alors pas un vain mot ; à chacun de se situer là où il est et comme il peut.

Louer, respecter, servir restent donc la clé de toute vie spirituelle. En ces temps complexes et tourmentés, ces trois axes restent des jalons solides pour contempler et aimer les autres et le monde comme Dieu les aime, sans se laisser submerger par ses émotions, ses sentiments, notamment quand on aspire à juger, à punir. En louant, en respectant, en servant, même face à cette angoisse ou cette colère que nous pouvons ressentir de nos jours, nous prenons solidement position pour le Christ. Nous lui restons fidèles, nous prenons en considération les deux étendards sur lesquels Ignace préconise de méditer au quatrième jour de ses Exercices spirituels (le premier étant celui du Christ, le second étant celui de Lucifer, l’ennemi de la nature humaine). Ce choix à poser, ce combat entre les deux étendards, est une épreuve intérieure pour chacun, à renouveler à chaque instant de sa vie.

Bernard Pommereuil,
CVX Île-de-France Nord

Bernard Pommereuil, ancien directeur d’une association de protection de l’enfance et d’insertion, a rejoint la CVX en 2004 après un passage dans la Communauté du Chemin neuf. Licencié en théologie, il a animé pendant dix ans un atelier biblique. Il a publié trois livres aux Éditions Vie chrétienne.


Le service s’ancre dans le respect de l’autre. Ici, le père Pedro Opeka, à Madagascar, qui permet à des Malgaches très pauvres de vivre dans la dignité.

© Schaeffelse / Creative Commons 4.0




La louange aide à rester tournés vers le Seigneur à chaque instant.

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