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Repères ignatiens / Repères ecclésiaux - Revue N°93 - Mai 2025
L’eucharistie, ou quand la paix surgit de la violence
Échange d’un « geste de paix » avant la communion. Invitation finale à « aller dans la paix du Christ »… La liturgie eucharistique appelle plusieurs fois à la paix. Mais comment comprendre cette paix ? Où s’enracine-t-elle ?La liturgie eucharistique invite à plusieurs reprises à la paix. On peut penser bien sûr au geste de paix, posé avant de s’avancer pour recevoir le corps du Christ. Il est précédé du rappel des paroles de Jésus qui nous « laisse la paix » et nous « donne [sa] paix ». Auparavant, on a demandé au Père de nous délivrer de tout mal et de « donner la paix à notre temps ». Et encore en amont, le rite pénitentiel, au commencement de la célébration, peut être entendu comme une invitation à entrer en paix avec soi-même, à la lumière de l’amour de Dieu, plus fort que ce qui nous divise intérieurement.
Un peu effrayant
La célébration eucharistique invite donc à la paix et la donne. Mais cela ne peut se comprendre sans aller voir ce qui permet cette paix, sans aller jusqu’à visiter le « cœur du réacteur ».
Or, ici, quelque chose d’un peu effrayant nous attend, si fort qu’il se pourrait qu’instinctivement nous le gardions à distance pour ne pas trop le regarder.
Quand nous célébrons l’eucharistie, nous faisons mémoire de la mort d’un homme. Et d’une mort vraiment abominable : une mort publique, où l’on met tout en œuvre pour humilier le condamné, où l’on fait durer le supplice pour qu’il meure lentement, dans des souffrances atroces. Il est retranché du monde, mais pire encore, il est privé de toute dignité, réduit à l’état de chose inerte et sans parole, morceau de chair sanguinolente accroché à trois clous et exposé comme un trophée répugnant. « Tu n’as jamais existé pour personne », voilà le message que la croix écrit.
La mort de Jésus remet au premier plan cette capacité stupéfiante que nous avons de maltraiter nos semblables et de mentir. Et sur ce point, il semble que nous n’ayons pas démérité !
Le geste de Jésus, la veille de sa mort, anticipe ce que produira cette violence : il sera réduit à l’état de chose. Eh bien, voilà des choses, du pain, du vin, qui disent par avance ce qui L’attend. Mais Jésus les prend et les donne comme son corps et son sang. La violence voulait Le réduire au silence, Il endosse ce silence des choses, mais en les proposant comme ce qui recueille tout ce qu’Il est, Il les fait parler encore, et comment ! Du produit de la violence, il fait un don pour la vie ; plus précisément, une visitation où Celui qui vient est l’Alpha et l’Oméga, le Créateur et le Seigneur de gloire. Voilà un renversement qui laisse la violence Gros-Jean comme devant : elle qui pensait saisir pour anéantir voit sa victime s’adresser encore à elle, sans bruit, mais d’une voix capable de transpercer les enfers.
Voir tout ce qui en moi reste irréconcilié
Chaque fois que nous communions, nous recevons ce fragment de pain. Comment le regardons-nous ? C’est le corps du Christ, oui, bien sûr. Mais c’est aussi le fruit de notre violence, de ma violence, que Jésus me redonne comme nourriture, pour la vie, celle qui nous fait entrer dans la vie même de Dieu !
Ainsi, sans la moindre brutalité, Il me permet de voir tout ce qui en moi reste irréconcilié, tenté par le mépris, dominé par la peur, travaillé par le rejet, marqué par l’oubli, bref, tout ce qui en moi est à la fois souffrance et violence et qui, à bas bruit, m’entrave et m’empêche d’accueillir mes frères et sœurs. Et Lui n’en a pas eu peur, un peu comme quand on accueille une vieille connaissance dont on aimerait bien se passer mais à qui l’on ouvre, malgré tout, ses bras ; et Il a même invité cette souffrance et cette violence à entrer chez lui. Étonnant, n’est-ce pas ?
D’autant plus étonnant que ce geste qui retourne la violence contre elle-même, la liturgie nous invite à ne pas le regarder comme si l’on était au spectacle, comme si c’était l’affaire seulement du Christ. Juste après l’anamnèse, alors que le prêtre vient de rappeler ce qui s’est passé lors du dernier repas de Jésus, il dira : « En faisant ainsi mémoire de la mort et de la résurrection de ton Fils, nous t’offrons, Seigneur, le pain de la vie et la coupe du salut. » « Nous t’offrons » : c’est un peu fort de café ! Car c’est bien Jésus qui s’est offert, c’est Lui qui est entré dans la Passion, et pas nous. Et pourtant, la liturgie nous convie à nous associer à ce don, à y participer nous aussi. Euh… Si l’on prend cela au sérieux, cela veut dire que nous sommes invités à suivre le chemin de Jésus, et donc à entrer avec lui dans sa Pâque. Qui est volontaire ?
Heureusement, juste après, vient cette demande : « Humblement, nous te demandons qu’en ayant part au corps et au sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps. » Cela veut dire que cette suite du Christ jusque dans sa Pâque, c’est ensemble que nous pouvons la vivre, quand nous formons un seul corps. Ce qui suppose, évidemment, que tout ce qui nous retient encore loin les uns des autres soit renversé. La communion, comme on a tenté de l’expliquer, y aidera ! Mais c’est aussi l’œuvre de l’Esprit qui nous y dispose, notamment en attisant ce désir de réconciliation qui est là, au plus profond de nous, et que nous expliciterons en disant ensemble le Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. »
Étienne Grieu sj

La paix du Christ que nous nous souhaitons à la messe trouve sa source dans la pire des violences, celle de la Croix, que Jésus a « retournée contre elle-même ».
© Pascal Deloche / Godong
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