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Air du temps - Revue N°89 - Septembre 2024
Les Français aiment leur patrimoine religieux
Lʼémoi suscité par lʼincendie de Notre-Dame de Paris a révélé lʼattachement des Français à leurs églises, leurs chapelles et leurs abbayes. Cet intérêt profond – que lʼon mesure aussi lors des Journées du patrimoine – assure un avenir aux édifices, malgré la chute de la pratique religieuse dominicale.Trop souvent le patrimoine religieux est jugé fragile, coûteux et encombrant. Fragile, car estimé en mauvais état. Coûteux, au vu des devis de restauration excédant les ressources financières communales. Encombrant, car sous-utilisé par un culte liturgique qui se raréfie. D’où la circulation dans les milieux politiques et ecclésiaux de l’idée que nous aurions trop d’églises. Qu’en est-il réellement ? Examinons les éléments un à un.
La fragilité du patrimoine religieux, hors accidents climatiques et incendies, reste à prouver. En effet, à défaut de disposer d’un inventaire sanitaire précis, les estimations consensuelles portent à 500 environ le nombre d’édifices religieux en situation de péril. Ce nombre est à considérer dans un pays qui compte 42 258 églises et chapelles paroissiales, dont 40 307 sont de propriété communale, selon les chiffres de la Conférence des évêques de France (CEF) publiés en 2016. C’est peu également, si l’on compare cet état sanitaire à celui de nos voisins européens.
« En France, on restaure plus qu'on ne démolit »
Cette exception française tient en premier lieu aux conséquences de la loi de séparation des Églises et de l’État, qui a confisqué aux institutions religieuses, au profit des communes, la propriété de leur patrimoine édifié avant 1905. À cela s’ajoute le fait que, depuis plus de quarante ans (avec la création des Journées européennes du patrimoine en 1983), la population française n’a jamais porté aussi haut la conscience collective de son patrimoine local. Force est de constater qu’en France, on restaure plus qu’on ne démolit. La grande majorité des élus locaux mesurent le risque de division d’une population devant un projet de démolition, face au rassemblement que génère une restauration. Qu’en est-il du coût ? Si dans de nombreux cas, le budget exorbitant d’une restauration est le résultat néfaste d’une absence d’entretien durant des décennies, existe-t-il pour autant des leviers la rendant possible
© Chantiers du Cardinal
Nombreux obstacles
Soulignons d’abord que toute restauration, avant d’être une question financière, est une affaire de volonté. Nous ne connaissons pas d’équipes municipales déterminées qui ne soient pas parvenues à mener à bien leur chantier, malgré les nombreux obstacles à surmonter. Pour cela, il faut questionner les devis, échelonner dans le temps les phases de travaux, recourir éventuellement à des chantiers bénévoles ou à des entreprises d’insertion et de réinsertion professionnelles pour alléger la facture. Des financements publics et privés (fondations, prix, mécénat) peuvent également aider, sans compter les collectes d’une association locale sachant mobiliser pour l’avenir de son église. Mais, sans doute, la véritable solution serait la mise en place d’une politique de mutualisation de l’entretien du patrimoine religieux, à l’échelle départementale, comme savent le faire certains de nos voisins européens.
Enfin, compte tenu de la déchristianisation de nos sociétés, ce patrimoine religieux serait-il devenu encombrant ? Avant de questionner le nombre d’édifices, employons-nous à les faire vivre en remettant « l’église au centre du village ». Lors d’un colloque sur le devenir des églises en 2018, Mgr Jean-Louis Papin, évêque de Nancy, a posé les bases d’une troisième voie entre l’affectation stricte d’une église aux seuls usages liturgiques et sacramentels et sa désaffectation qui conduit souvent à la privatisation de l’édifice. Cette troisième voie « serait un usage partagé de l’église qui, sans mettre en cause son affectation première au culte, permettrait à l’édifice de rendre des services habituels à la population locale ». Depuis cinq ans, cette idée d’une troisième voie a fait son chemin dans les esprits, y compris ecclésiaux même si les évêques préfèrent parler d’usages « compatibles avec le culte ».
Ces usages sont déjà pratiqués dans de nombreuses églises en France, et ils sont très divers : culturels (concerts et autres), touristiques, mémoriels (défunts), éducatifs et ludiques (escape game), sociaux (accueil d’étudiants en préparation d’examens), caritatifs… Sans doute figureront-ils dans les conclusions des États généraux du patrimoine religieux lancés par la CEF et dont les conclusions sont attendues en décembre. On les note déjà en partie dans le rapport sénatorial sur l’avenir du patrimoine religieux, publié en juillet 2022 et disponible sur Internet1. Au printemps 2023, la Fondation du patrimoine a lancé avec succès le prix Sésame destiné à encourager de tels usages, qui assurent aux édifices cultuels un avenir réel au service de la population.
« Permettre à l'édifice de rendre des services habituels à la population locale. »
Alors, les Français aiment-ils le patrimoine religieux ? Oui ! et ils le démontrent quand ils s’opposent à sa démolition, sa désaffectation ou sa vente, en agissant collectivement comme les propriétaires symboliques d’un patrimoine commun marquant l’identité du village ou du quartier. Oui, quand ils participent aux collectes de fonds pour sauver leur édifice religieux. Oui, quand ils comprennent que leur église est faite pour transcender, mais aussi pour rassembler et servir le bien commun.
Benoît de Sagazan
Journaliste, Benoît de Sagazan est rédacteur en chef de la revue Le Monde de la Bible et directeur de l’Institut Pèlerin du patrimoine consacré à l’avenir du patrimoine religieux. Il est également président délégué de la fédération Patrimoine environnement, initiatrice du Forum associatif du patrimoine religieux.
© P. Matsas / Leextra
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