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Ecole de prière - Revue N°92 - Mars 2025

Les conditions de la prière interreligieuse

Jusqu’où aller dans la prière avec des croyants d’autres traditions ? Peut-on prier ensemble tout en étant de religions différentes ? Quels gestes ou paroles éviter ? Ces questions habitent ceux qui s’engagent dans le dialogue interreligieux, et y vivent des moments forts de rencontre.

Après le concile Vatican II et la déclaration Nostra aetate qui a reconnu que les autres religions « reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes », un événement fondateur pour le dialogue interreligieux fut la Journée mondiale de prière interreligieuse pour la paix à Assise, en octobre 1986, convoquée par le pape Jean-Paul II. Il s’agissait d’« être ensemble pour prier », même s’il n’était pas possible de prononcer une prière commune. En effet, l’Église met en garde contre le risque de syncrétisme, la tentation d’aplanir les différences qui ne peut conduire qu’à un appauvrissement des convictions de chacun.
Deux mois après cette première rencontre d’Assise, Jean-Paul II a parlé, devant la curie romaine, du « mystère d’unité » et de la « prière authentique suscitée par l’Esprit Saint, mysté­rieusement présent dans le cœur de tout homme ».
Dans le christianisme, le judaïsme et l’islam, ainsi que dans l’hindouisme, on s’adresse à Dieu dans la prière pour lui confier sa vie, lui demander d’exaucer ses désirs. Dans le bouddhisme – qui ne parle pas de Dieu –, la méditation vise plutôt à se dépouiller de son ego. On peut toutefois trouver des points communs entre ces deux conceptions de la prière dans la mesure où celle-ci est un moment où l’on est en lien avec le monde et les autres. Chaque forme de prière permet donc une démarche d’accueil de l’autre et d’hospitalité, les différences étant reconnues comme une richesse. C’est sur cette conviction que se fonde le dialogue interreligieux. C’est ensemble que nous pouvons cheminer vers un absolu qui nous dépasse, « dans une véritable émulation de sainteté », selon les mots du père Jules Monchanin¹.

Unis dans la contemplation
Le silence est le meilleur moyen de se retrouver unis au-delà des concepts théologiques, dans la contemplation. C’est ainsi que le dialogue interreligieux a d’abord été vécu entre des moines chrétiens et bouddhistes, à partir des années 1970, en expérimentant la prière et la méditation telles qu’elles sont vécues dans l’autre tradition.
Dans la prière multireligieuse², les prières des diverses religions sont prononcées à la suite les unes des autres, ce qui permet de respecter la dignité et la diversité de chaque tradition. On reste alors en dehors de la spiritualité proposée par la tradition religieuse de l’autre, sans la comprendre de l’intérieur. Au contraire, dans la prière interreligieuse, les représentants des différentes religions élaborent une prière que chacun peut considérer comme la sienne propre. Cette prière peut contenir, par exemple, des lectures des Écritures saintes et des chants communs aux diverses religions. Tous ceux qui sont présents peuvent alors véritablement prier ensemble. On évite cependant d’utiliser le mot « Dieu » (qui peut être remplacé par l’expression « réalité ultime »), ou de prier le Notre Père (qui n’est pas accepté par les non-chrétiens), ainsi que les sujets sensibles évoquant des rapports entre religion et politique (telle la situation au Moyen-Orient).
Certes, il y a le risque que la prière se ­réduise au plus petit commun dénominateur. Mais dans certaines circonstances, ou lorsque les membres d’un groupe interreligieux se connaissent bien et se respectent profondément, ce risque peut être évité. C’est le cas dans la Communion Tibhirine créée en 2010 à Marseille dans l’esprit des moines de Tibhirine³, et qui se veut un lieu de réflexion chrétienne sur le dialogue avec les musulmans. Cette Communion Tibhirine s’est peu à peu ouverte à des frères et sœurs musulmans : lors des dernières rencontres, de très beaux moments de prière ont été vécus. Les chrétiens, conduits par leurs amis soufis, se sont laissé habiter par leur psalmodie, expérimentant d’authentiques moments de communion. Des textes spirituels des traditions respectives ont été partagés et des passages d’Évangile ont été médités ensemble, ainsi que des sourates du Coran et l’un des 99 noms de Dieu en islam, le Miséricordieux.
À Marseille encore, le groupe Marseille Espérance
a lancé une prière interreligieuse pour la paix. Le 1er janvier dernier, à Notre-Dame de la Garde, s’est vécue la troisième édition de cette prière. Un représentant de chaque tradition a lu un texte, dans l’ordre d’apparition de sa tradition. Tous les membres de l’assemblée, quelle que soit leur confession, ont ensuite répété un refrain intercalé dans un texte pour la paix. L’ambiance de communion était palpable. Chacun écoutait la prière de l’autre, chacun demandait à Dieu la paix avec les autres.

Chacun ancré dans sa tradition
Mais cela ne peut se vivre que lorsque chacun est profondément ancré dans sa propre tradition, tout en ayant une connaissance approfondie de la tradition de l’autre. Il est essentiel d’être conscient que chrétiens et musulmans n’ont pas la même conception de Dieu et que les mêmes mots ne recouvrent pas pour eux la même réalité.
Dans un contexte d’amitié entre personnes de différentes confessions, par exemple à l’occasion d’un deuil, il est tout à fait possible de se réunir pour un temps de recueillement silencieux et d’exprimer sa prière pour la personne décédée, même si l’on ne prie pas tous de la même façon. Il se vit alors quelque chose qui nous dépasse, et qui réconforte profondément. Méditer silencieusement ensemble, entre bouddhistes, chrétiens ou musulmans, est tout à fait possible. Chacun se concentre sur ce qui est important pour lui : le nom de Jésus, un mantra comme Maranatha, sa respiration, etc. Des gestes symboliques (allumer une bougie, s’agenouiller ou s’incliner…) peuvent parler davantage qu’une prière formulée.

Agnès Gros,
CVX Provence Méditerranée Corse

¹  Prêtre du diocèse de Lyon, Jules Monchanin (1895-1957) fut un pionnier de l’inculturation du christianisme en Inde et du dialogue entre hindous et chrétiens.
²  Distinction faite dans les documents du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.
³  En référence au meurtre de sept trappistes du monastère de Tibhirine, en 1996, pendant la guerre civile algérienne.
⁴  Instance informelle qui, depuis 1990, réunit les responsables religieux locaux.

Intéressée par le dialogue interreligieux depuis son séjour à Singapour (2000-2009), Agnès Gros est engagée dans l’association Chemins de dialogue et dans un groupe islamo-chrétien à Marseille. Elle est en lien avec des communautés bouddhistes. En 2023, elle a soutenu une thèse sur Thomas Merton en dialogue avec les religions d’Asie à l’université de Genève.


Prière interreligieuse pour la paix, à Notre-Dame de la Garde à Marseille, le 1er janvier 2025. À droite, le cardinal archevêque Jean-Marc Aveline.
Copyright : © Agnès Gros.






                 
 
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