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Lire la Bible - Revue N°91 - Janvier 2025

L’enfant, passeur de l’Alliance

C’est par l’enfant qu’est préservée la mémoire de la famille, mais également celle du peuple de l’Alliance. C’est pourquoi, de Noé à Marie, avoir ou non une descendance est capital dans l’Écriture, et ce, dès les premiers temps de la Révélation.

Les deux Testaments commencent par un faire-part de naissance. Dès le premier livre de la Bible, Dieu promet une descendance à Abraham. Au début du Nouveau Testament, l’ange annonce à Marie qu’elle concevra un fils. Pour Abraham, Isaac est le premier maillon d’un peuple nombreux. Pour Marie, Jésus sera source de salut pour son peuple et pour le monde. 
Certaines naissances ont, en effet, un impact sur toute une nation, voire sur toute l’humanité. C’est pour cela que la Bible déploie des arbres généalogiques dont la fonction première est de situer, comme sur un schéma, les différentes lignées, sans discontinuité. L’enfant devient ainsi le vecteur non seulement de la famille, mais également du peuple de l’Alliance. On pense ici, évidemment, à Moïse qui, trois mois après sa naissance, est caché dans une corbeille par sa mère Jocabed puis abandonné sur une rive du Nil (Ex 2,1). On pense aussi à Samuel, conçu par sa mère Anne à un âge avancé puis confié au prêtre du sanctuaire de Silo (1Sm 1,20-24).


La découverte de Moïse bébé sur les rives du Nil, Nicolas Poussin, 1650.
Copyright : Musée du Louvre © akg-images / Erich Lessing.  


Sur l’enfant, l’Ancien Testament n’est pas avare d’informations. De nombreux usages du temps nous sont bien connus, comme l’imposition du nom ou la circoncision. D’autres, en revanche, nous échappent complètement.
Mais pourquoi, d’après la Bible le désir d’enfant est-il si fort ? Le mythe de la Création, en Gn 2-3, donne une réponse à cette question. Ce mythe présuppose que l’humanité fut créée immortelle à l’origine et qu’elle contracta la mortalité en transgressant l’interdit posé par Dieu dans l’Éden. Adam et Ève ne meurent pas sur le champ, mais devront affronter la mort.
Aussi, en les chassant du paradis terrestre, Dieu leur donne les moyens de contourner la mort, à savoir : la nourriture provenant de la terre et du travail de l’homme pour survivre ; les enfants pour permettre à l’humanité de ne pas s’éteindre au bout d’une génération. Ceci explique la joie des parents – et des grands-parents – lorsque l’enfant paraît et que, par lui, la vie continue. C’est pourquoi, dans l’Ancien Testament, la stérilité est une forme de mort, car mourir sans enfant équivaut à n’avoir jamais vécu.


Sacré dès sa conception
Quelle est l’origine de l’enfant d’après la Bible ? Les processus de la fécondation et de la gestation restent largement inconnus à cette époque. On sait qu’ils présupposent des relations sexuelles, mais on ignore tout de la nidation et du développement du fœtus. On imagine que Dieu, dans le sein maternel, tisse le corps de l’enfant ou baratte le sperme – comme on fabrique le beurre – pour en faire un être vivant (Jb 10,8-11 ; Ps 138,13-16 ; 2M 7,22-23). De ce fait, il est évident que l’enfant est sacré dès sa conception. D’ailleurs, s’il s’agit d’un garçon, il est consacré à Dieu par la circoncision peu après sa naissance. Comment passe-t-on le relais à la génération suivante ? Lorsque les parents ou grands-parents sont sur le point de décéder, ils convoquent leurs enfants et les bénissent. Par ce geste, ils transmettent à leurs héritiers quelque chose de leur propre réussite ; des biens matériels, mais pas seulement. Bénir c’est, en effet, communiquer le plus intime de soi-même et souhaiter bonne chance. C’est un rite de transmission. Noé a béni Sem et Japhet (Gn 9,26-27) ; Isaac a béni Jacob et Ésaü (Gn 27 ; 28,1-4) ; et Jacob a béni ses fils et ses petits-fils (Gn 48-49). « La bénédiction d’un père affermit les maisons de ses enfants », déclare Ben Sira (Sir 3,9).
Mais l’enfant n’est pas la propriété exclusive de ses parents. Il appartient aussi à une nation qui a son histoire. Comment devient-on membre du peuple de Dieu ? Le Deutéronome est sans doute le livre le mieux documenté sur cette question. On retiendra ici quelques traits, à commencer par l’importance du cadre familial. De fait, la transmission de la Loi s’effectue à la fois au niveau de la communauté nationale – politique et religieuse – et au niveau de la famille (Dt 31,12-13). 
Rien d’original en apparence, sinon que la famille joue un rôle capital puisque la plupart des fêtes religieuses y sont célébrées : le sabbat, la Pâque, la récitation trois fois par jour du Chémâ Israël
¹, les prières et les bénédictions avant les repas, et la participation en famille aux fêtes religieuses de la communauté (14,23 ; 31,10-13).

« Quand ton fils te demandera… »
Autre trait marquant l’appartenance des enfants à la nation : la prise en compte de leurs questionnements, comme on peut le lire en Dt 6, 20-24 : « Et demain, quand ton fils te demandera : “Quels sont donc ces édits, ces décrets et ces ordonnances que le Seigneur notre Dieu vous a prescrits ?” Alors, tu diras à ton fils : “Nous étions esclaves du Pharaon en Égypte, mais le Seigneur nous a fait sortir d’Égypte par la force de sa main ; sous nos yeux le Seigneur a accompli des signes et des prodiges grands et funestes contre l’Égypte, Pharaon et toute sa maison […] »
Moïse semble avoir prévu qu’un jour les enfants interrogeraient leurs parents sur la Loi et il donne des éléments de réponse. Mais les questions des enfants portent moins sur le contenu que sur le fondement de la Loi. Aussi l’adulte doit-il évoquer les événements qui fondent la Loi – l’Exode et le Sinaï –, car la Loi assure la permanence de ces événements. En effet, Dieu ne peut pas réitérer ses prodiges à chaque génération.



Le jeune Samuel avec le grand prêtre du sanctuaire de Silo, John Singleton Copley, 1780.
Copyright : Musée Wadsworth Atheneum, domaine public.


Il en va de même pour les rituels des fêtes juives, notamment pour la Pâque (Ex 12,25-27) avec le pain azyme (Ex 13,7-8), et pour les rituels des premiers-nés (Ex 13,14-16). Lors du repas pascal, le plus jeune convive questionne et le plus âgé répond : « En quoi cette nuit est-elle différente de toutes les autres nuits ?
 – Les autres nuits, on peut manger du pain avec levain, toutes sortes d’herbes et on mange assis ; cette nuit on ne mange que du pain azyme, des herbes amères et on mange debout.
 – Pourquoi ?
– Parce que nous étions esclaves de Pharaon en Égypte, mais le Seigneur nous a sortis de là
. »
De même, sur le monument commémoratif de la traversée du Jourdain (Jos 4,6b), il est écrit : « Et quand demain, vos fils demanderont : “Que signifient pour vous ces pierres ?”, vous répondrez : “Les eaux du Jourdain se sont séparées devant l’arche de l’Alliance du Seigneur quand elle passa dans le Jourdain. Les eaux du Jourdain ont été séparées, et ces pierres deviendront un mémorial pour les fils d’Israël à jamais. » Dans tous les cas, le ressort pédagogique est la curiosité insatiable de l’enfant.


Le contenu de la Loi
Une autre caractéristique dans l’Ancien Testament vient encore souligner la place centrale des enfants : l’insistance sur l’écoute et la lecture régulière de la Loi afin de permettre aux adultes comme aux enfants d’en connaître le contenu. « Au bout de sept ans, au temps fixé pour l’année de remise des dettes, à la fête des Tentes […], tu liras cette Loi, devant tout Israël qui l’écoutera. Et leurs fils, qui ne la connaissent pas, entendront et apprendront à craindre le Seigneur votre Dieu » (Dt 31,10-13).
Rien d’étonnant donc à ce que le Deutéronome insiste tant sur la mémoire. Le verbe « se souvenir » y revient dix-neuf fois. Le peuple est invité à préserver de l’oubli les merveilles de Dieu : « Garde-toi de jamais oublier ce que tes yeux ont vu ; ne le laisse pas sortir de ton cœur un seul jour. Enseigne-le à tes fils, et aux fils de tes fils » (Dt 4,9). Et il est invité aussi à commémorer ces merveilles, c’est-à-dire à s’en rendre contemporain. Car Dieu renouvelle son Alliance à chaque génération : « Ce n’est pas avec nos pères que le Seigneur conclut cette alliance, mais bien avec nous, nous-mêmes qui sommes ici aujourd’hui, tous vivants » (Dt 5,3).


Jacques Trublet sj

¹ Les deux premiers mots de Dt 6,4-9, passage devenu la prière centrale des offices du matin et du soir dans le judaïsme : « Écoute, Israël! Le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force. Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur ; tu les rediras à tes fils […]. »
 Professeur émérite d’exégèse biblique aux Facultés Loyola Paris, le père Jacques Trublet a longtemps été aumônier de la Gendarmerie nationale.
 
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