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L’art d’émonder les arbres fruitiers

L’art d’émonder les arbres fruitiers

Les arbres de mon jardin ont fleuri… Mais au moment où j’écris ces lignes, c’est l’heure d’oser ce que le Seigneur fait dans sa vigne pour qu’elle porte « beaucoup de fruit » (Jn 15,1-8). Peu assuré, au cœur de l’hiver, je me replonge, sécateur en main, dans le Traité de la taille des arbres fruitiers. Cet ouvrage paru en 1875 et signé de Julien-Alexandre Hardy¹ reprend les théories et les expériences de Jean-Baptiste de La Quintinie, jardinier du Roi Soleil, et des nombreux arboriculteurs qui l’ont suivi. J’aime ce livre, ces dessins, ce vocabulaire savant, qui transmettent un savoir-faire aiguisé au cours des siècles. J’admire la patience de ceux qui, saison après saison, ont noté leurs gestes de l’hiver, en ont retrouvé la trace dans le foisonnement du printemps, ont gardé mémoire du fruit de l’été, pour intervenir à nouveau… Expérimentations menées à la vitesse où poussent les arbres, par des contemplatifs férus de science.

Je pose le manuel et vais retrouver mes poiriers pour mettre en œuvre la taille « trigemme ». Sur chaque coursonne (rameau), il faudra laisser trois yeux (ou dards) : deux pour le fruit, un pour le bois. Pour que le fruit vienne, il faut que la sève soit rare : chez les poiriers comme chez nous, celui qui est trop bien nourri ne fructifie pas. Ainsi, sans l’œil qui « part à bois » et pompe la sève pour former une brindille, les deux autres ne produiraient pas de fruits. Là, grâce au premier, ils deviendront bourgeons, bourses, lambourdes, puis se gonfleront d’orgueil pour produire. À l’été, la brindille stérile découvrira, à sa base, les fruits qu’elle a rendus possibles.

Tailler, c’est délicat, comme toute relation. Il faut oser une décision. Constater que cet arbre ne m’est pas intime : je ne reconnais même pas mes coups de sécateur de l’an dernier. M’appuyer sur des règles apprises, mais constater que rien ne ressemble aux schémas. Me soucier d’abord de ne pas blesser. Savoir que si je me trompe, le fruit viendra plus tard, mais viendra un jour.

Moi aussi, j’ai besoin que d’autres prennent le risque de m’émonder. Ma femme, mes amis, mes compagnons sont des arboriculteurs zélés. J’aimerais leur dire parfois : « Laissez-moi faire un peu de bois ! développer mes brindilles – oisives, stériles, mais pleines d’élan ! Vous verrez venir, naturellement, la saison d’Apollinaire : “Les fruits tombant sans qu’on les cueille²” ! » Mais leur exigence me remet en place.

François Huber,
CVX Paris Bonne-Nouvelle
 

¹ Souvent réédité, par exemple chez SHS éditions en 2023.
² Poème « Automne malade », in Alcools, 1913.


Chez les poiriers aussi, le rameau trop bien nourri ne porte pas de fruit...
© redstallion / iStock

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