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Contrechamp - Revue N°89 - Septembre 2024
La prière pour guérir du mal à l’âme
Coach depuis une quinzaine d’années, Alexandra Puppinck Bortoli fait un parallèle entre les symptômes de l’acédie et ceux de certains de ses clients.C’est dans le cadre de mes études de philosophie que j’ai rencontré la notion d’acédie, sujet qui se situe au croisement de la philosophie, de la théologie et de la psychologie. Plus tard, je me suis formée au coaching et j’ai pu observer des parallèles entre les symptômes de l’acédie, décrits par les Pères du désert, et ceux dont se plaignaient certains de mes clients. Ces personnes avaient comme oublié leur âme ; elles se sentaient agitées ou déprimées, enfermées dans un univers étroit et matériel, et se plaignaient d’une absence de sens dans leur existence.
En écrivant mon livre (1), je me suis rendue compte que j’avais moi-même vécu des moments d’acédie : il m’arrivait d’être dans une hyperactivité ou au contraire dans un découragement et un désengagement. Je vivais, dans ces moments-là, à la surface de moi-même, éloignée de ma vie intérieure et de mes valeurs. J’ai toujours eu la foi mais elle n’était plus vivante ! L’épreuve d’un divorce douloureux m’a ramenée à l’essentiel. La solitude que je vivais alors m’a redonné une soif de spiritualité et un désir plus vif de vivre en adéquation avec ma foi. Ce fut un long chemin pour redécouvrir la saveur d’une vie spirituelle… Pouvoir mettre un mot sur ce mal-être m’a aidé à le combattre.
© P. Lissac / Godong
Depuis deux millénaires
L’acédie consiste à ne plus prendre soin de son âme ; cette négligence peut amener à tourner le dos à Dieu ou au contraire à s’investir plus que de raison - telle une marionnette sans âme. Lorsque l’acédie nous frappe, le cœur n’y est plus…
Notre société s’est construite sur des valeurs rationnelles et matérielles qui tendent à faire oublier la spiritualité. Du coup, on retrouve les caractéristiques de l’acédie chez bon nombre de nos contemporains : hyper-consommation, hyper-communication, zapping, fatigue, lassitude, aigreur, cynisme envers la religion…
A l’origine, l’acédie faisait partie des péchés capitaux. Plus tard, cette notion a été remplacée par la tristesse, puis par la paresse qu’il faut comprendre comme une paresse spirituelle. Parler de péché peut effrayer aujourd’hui, mais ils sont une formidable grille de lecture qui a fait ses preuves depuis deux millénaires. Les péchés nous éloignent de ce qui est bon pour nous, les vertus nous y mènent. Comme les autres péchés, l’acédie fait dévier du chemin qui mène à la joie.
Comme l’écrivait Évagre le Pontique au IVe siècle, l’acédie est un effondrement : l’âme s’enfonce et n’est plus portée vers le ciel, il y a « atonie de l’âme ». Le moine atteint d’acédie ressent un vide spirituel qui l’entraine dans une agitation et une instabilité, il finit par vouloir fuir sa cellule et sa vocation. L’ennui l’accable, il se met à bavarder, papillonner, dit Jean Cassien au Ve siècle. L’acédie est alors la porte ouverte à tous les vices pour compenser l’absence de sens dans laquelle elle plonge le malheureux. Pour Thomas d’Aquin, au XIIIe siècle, l’acédie est caractérisée par une tristesse accablante, une lassitude qui dégoute de toute participation à l’œuvre de Dieu ; l’homme n’est plus co-créateur de sa vie avec Dieu. L’acédiaque sombre dans la tristesse car, en se détournant de Dieu, il se prive de la joie spirituelle.
Dans cet état, le moine acédiaque développe de l’amertume et de l’aigreur face à la vie, du ressentiment et de la rancœur envers les autres, du dégoût pour tout ce qui touche à Dieu et à la vie spirituelle.
Le démon de midi
Le « démon de midi » (en référence aux heures les plus chaudes du jour au cours desquelles le moine est tenté d’abandonner ses efforts), que l’on assimile à l’adultère chez l’adulte de 40-50 ans, est en réalité une conséquence de l’acédie. Pour compenser le vide spirituel et la perte du sens de sa vocation et de ses engagements, l’acédiaque se laisse aller vers les autres péchés capitaux (gourmandises, luxure…).
De même que le moine acédiaque est las de tout ce qui, jusque-là, faisait sa joie (la prière, le silence, ses frères…), vers 40-50 ans, il peut nous arriver d’éprouver de la lassitude face à tout ce qui, jusque-là, nous procurait de la joie (notre conjoint, notre famille, nos engagements, notre travail…). Comme le moine se sent étriqué dans sa vie, nous nous sentons à l’étroit dans la nôtre. À quoi bon ? Nos pensées deviennent relativistes et nihilistes et on se prend à rêver à une autre vie.
En réalité, il n’y pas d’âge pour succomber au « démon de midi ». Certains jeunes présentent tous les symptômes de l’acédie.
Espérer une prise de conscience
Certes, nous ne sommes pas toujours conscients de nous être détournés de notre vie spirituelle. Mais il se peut qu’un jour une souffrance ou un manque se fassent sentir comme une nostalgie indéfinissable… Une prise de conscience peut alors avoir lieu.
Souvent confondue avec une maladie psychologique telle que la dépression, l’acédie est en réalité une maladie de l’âme dont la racine est spirituelle. Elle peut cependant présenter des symptômes dépressifs - a contrario, un dépressif peut continuer d’avoir une vie spirituelle. Dépression et acédie partagent donc des symptômes communs mais n’ont pas les mêmes racines.
L’acédie peut donc devenir un rappel à l’ordre dans l’exercice de sa vie spirituelle et de sa manière de vivre. Elle interpelle : « il y a un truc qui ne va pas dans ta vie ; retrouve la joie de vivre en Dieu ». Pour se libérer de l’acédie, il faut alors renouer avec sa vie intérieure et réveiller sa sensibilité spirituelle.
Recueilli par Claire Lesegretain
- Le mal à l’âme, de la mélancolie à la joie, Cerf, 2023, 217 p., 8,50 €.
© A.P.
Diplômée en philosophie de l’Institut catholique de Paris et coach certifiée, Alexandra Puppinck Bortoli accompagne des particuliers et des professionnels depuis de nombreuses années. Elle est également conférencière.
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