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Spiritualité ignatienne - Revue N°89 - Septembre 2024

La prière ignatienne, source d’espérance et d’engagement

Dans le cadre d'une journée régionale de Paris Sud-Ouest (PSO) en mars 2024, Christelle Javary a proposé une réflexion sur la prière ignatienne, à partir de la manière de prier de saint Ignace. Avec son autorisation, voici le texte de son intervention.

Commençons par donner la parole à saint Ignace. Une note intéressante du Récit du pèlerin (1) précise qu’il « entendait tous les jours la grand-messe, vêpres et compliesCette inclination personnelle de saint Ignace pour le culte liturgique persista toute sa vie. En 1554, il confiera au père Ribadeneira : " Si je suivais mon goût et mon inclination, j’établirai le chœur et le chant dans la Compagnie ; je ne le fais point parce que Dieu Notre Seigneur m’a fait comprendre que telle n’est pas sa volonté, et qu’il ne veut pas se servir de nous par le chœur, mais dans d’autres choses de son service " ». 

Dans la Compagnie de Jésus, la mission est prioritaire et la manière de prier s’adapte à ce qui est requis pour la mission. La récitation en commun, plusieurs fois par jour, de l’office au chœur (c’est-à-dire dans la chapelle d’un couvent) aurait représenté un « fil à la patte » pour un ordre de prêtres missionnaires, prêts à partir à l’autre bout du monde si nécessaire. La disponibilité impose une forme d’agilité, de liberté dans le mode de prière. 
Cela montre aussi qu’Ignace n’a pas profité de son statut de fondateur pour imposer aux hommes qui le rejoignent la forme de prière pour laquelle il a le plus de goût. La Compagnie n’est pas « sa petite entreprise » mais l’œuvre de Dieu. Alors Ignace, comme les autres compagnons, se met à l’écoute de l’Esprit Saint et renonce à la prière liturgique, peu adaptée au style de vie missionnaire.

La prière qu’Ignace encourage à pratiquer s’enracine dans la contemplation de l’Incarnation du Fils, dont la raison d’être est de sauver l’humanité qui se perd loin de Dieu. De là naît, fondamentalement, notre espérance. Non pas l’espoir humain, du genre « ça ira mieux demain », « après la pluie le beau temps », « il faut y croire et se retrousser les manches ». L’espérance qui nous habite repose sur ceci : Dieu a décidé de sauver l’humanité, il a envoyé son propre Fils et il tiendra parole, car il reste fidèle même quand nous sommes infidèles. « Les dons gratuits de Dieu et son appel sont sans repentance » (Rm 11, 29).

Terrain de jeu de l'Esprit
Parce que le Fils de Dieu est venu parmi nous, qu'Il s’est fait l’un de nous et nous appelle à le suivre, nous pouvons et nous devons « chercher et trouver Dieu en toutes choses ». Toute notre vie est en quelque sorte le terrain de jeu de l’Esprit Saint. Et c’est la prière qui nous permet de le voir. La prière n’est pas un refuge, une bulle qui protègerait d’un monde décevant, voire hostile. Ce monde, certes, n’est pas encore le monde que Dieu désire (ce que nous appelons le Royaume), mais Dieu aime déjà ce monde et l’Esprit le travaille à la manière d’un ferment dans la lourde pâte humaine. Entre la vie et la prière à la manière ignatienne, il y a une circulation et une irrigation réciproque. La vie nourrit la prière, et la prière nourrit la vie. Ce lien contribue de manière puissante à unifier notre vie sous le regard de Dieu, ce qui est l’une des visées de l’appartenance à la CVX, comme le rappellent les Principes généraux (2).

Ainsi, la matière même de la prière d’Alliance (qu’Ignace appelait "examen"), c’est notre vie, notre journée ou notre semaine selon le rythme que nous avons choisi. « Merci, pardon, s’il te plaît » : trois temps pour repérer là où Dieu a été présent dans ma vie (action de grâce), là où je n’ai pas répondu présent à son appel, j’étais « aux abonnés absents » (demande de pardon) et ce que nous ferons demain ensemble (s’il te plaît), fruit d’un engagement renouvelé de notre part. Le mot de mission peut paraître bien impressionnant par rapport à notre vie ordinaire, mais plus nous vivons sous le regard de Dieu, plus nous nous ouvrons à nos frères. La prière d’Alliance nous invite aussi à discerner les goûts, les capacités et les talents que le Seigneur nous a donnés et que nous sommes invités à mettre à son service. Petit à petit, un chemin se dessine, qui peut nous aider à prendre tel ou tel service ou engagement dans l’Église ou dans le monde.


©️ Adèle Amstrong

« Prendre soin de notre feu intérieur »
L’engagement dans le service ou la mission a besoin de la prière, c’est vital. C’est pourquoi Ignace recommandait à ces compagnons accablés d’occupations ou engagés dans des études exigeantes de leur donner, certes, la priorité, mais conservant au moins la prière d’Alliance, sorte de « minimum syndical ». Le texte final de l’assemblée d’Amiens nous invite, pour garder l’espérance, à « prendre soin de notre feu intérieur », une belle expression qui peut recouvrir plusieurs réalités concrètes : sûrement la prière quotidienne et la messe dominicale, mais aussi des temps de pause plus longs comme une halte spirituelle d’un jour ou d’un week-end, et si possible une retraite selon les Exercices (5 jours pour commencer, puis 7 à 10 jours). 

Un engagement très prenant est souvent le signe d’un cœur « large et généreux » mais peut comporter le risque de s’épuiser physiquement et de s’assécher spirituellement. La confrontation inévitable aux revers, aux déceptions, voire à l’échec peut conduire à un profond découragement, voire à une forme de dépression, qui est parfois le signe qu’on s’est approprié cet engagement comme son propre travail, son œuvre. On s’est en quelque sorte mis à la place du conducteur. Or l’engagement premier, c’est celui de Dieu à notre égard. Dans notre service ou notre mission, nous avons l’honneur de collaborer à l’œuvre de Dieu, puisque c’est lui le maître d’œuvre, le conducteur.


©️ Église des jésuites de Molsheim (Alsace)

« Dynamisés par le silence »
La prière aide à nous situer de manière ajustée, convenable. C’est protecteur pour nous, un peu comme les plombs qui protègent une installation électrique... L’assemblée d’Amiens, qui ne manquait pas d’occupations, a fait le choix de vivre une journée de silence et le document final dit que les délégués ont été « dynamisés par le silence ». En conséquence, une position juste, vraie et tenable nous est proposée : « Nous nous engageons à agir pour le bien du monde [ce qui peut paraître très impressionnant], tout en connaissant nos limites. Nous souhaitons faire de petits pas avec courage et espérance. Nous pouvons être présents sans résoudre ou chercher à résoudre, en demandant à Dieu d’être au milieu de nous. » 

La prière nous aide à habiter sereinement nos limites et à vivre l’adversité sans s’effondrer, selon cette belle parole chez le prophète Jérémie : « Béni soit l’homme qui met sa confiance dans le Seigneur, dont le Seigneur est l’espoir. Il sera comme un arbre planté au bord des eaux, qui étend ses racines vers le courant : il ne craint pas la chaleur quand elle vient, et son feuillage reste vert ; il ne redoute pas une année de sécheresse, car elle ne l’empêche pas de porter du fruit » (Jr 17, 7-8). Étonnant, ce dernier verset… Non pas dans le mode de l’espoir humain : tant pis s’il y a la sécheresse, la pluie finira bien par tomber et alors le juste portera du fruit. Non, c’est maintenant, pendant l’épisode de sécheresse, que le juste porte du fruit. Mystérieux…

En 2024, le pape François invite les catholiques à vivre une année consacrée à la prière, pour préparer nos cœurs au jubilé de 2025. Le pape caractérise la prière comme « voie royale vers la sainteté qui conduit à vivre la contemplation même au milieu de l’action ». Deux choses sont à retenir. D'abord que le fait de progresser en sainteté est notre plus belle et plus grande espérance. En communauté locale, nous partageons notre vie pour nous encourager en nous aidant à repérer, les uns les autres, ce qui porte déjà un fruit de sainteté, et ce qui pourrait en porter davantage. Nous sommes tous des « hauts potentiels » de sainteté… Ensuite, le fait de « vivre la contemplation au milieu de l’action » est une référence à la célèbre formule de Jérôme Nadal, confident d’Ignace pendant une dizaine d’années, et qui définissait le jésuite comme « contemplatif dans l’action ».

Comment vivre plus profondément et partager plus largement ce trésor qu’est la manière ignatienne de prier ? Voici trois pistes concrètes pour notre vie en communauté locale. 1) Renouveler le temps de prière en réunion, qui est parfois marqué par l’habitude, au risque de la routine. Si cela fait trois réunions que nous prions sur l’évangile du jour, il est temps d’explorer autre chose ! En panne d’inspiration ? Des idées à retrouver sur le site « Prie en chemin » et dans la Revue Vie chrétienne. 2) Prier les uns pour les autres. Osons-nous demander la prière de nos compagnons ? Cela suppose un vrai climat de confiance. On peut le demander en réunion mais aussi dans l’inter-réunion, par exemple sur la boucle Whatsapp de la CL, pour confier un rendez-vous professionnel important et délicat ou partager des relations familiales difficiles... Il n’y a pas de « petits sujets », tout ce qui est important pour un compagnon est important pour toute la CL. Un peu comme chez Les Trois Mousquetaires : « Un pour tous, tous pour un ! » 3) Prier ensemble pour le monde : cela fait partie de notre mission de chrétiens et c’est une expérience qui nous construit comme communauté. Un exemple concret : en juin, il y aura les élections européennes. C’est un enjeu important, et nous n’ignorons pas les tensions qui traversent notre société française et peuvent s’exprimer à cette occasion. Nous pouvons prier pour que l’Esprit éclaire nos choix et ceux de nos concitoyens, pour que la campagne électorale soit digne et utile. Cette prière commune peut prendre la forme d’une neuvaine ou d’une durée égale au nombre des compagnons, chacun proposant à tour de rôle une courte indication.

Alors nous serons les témoins, à notre modeste mesure, que la prière ignatienne est non pas « utile » ni « efficace » mais « féconde » et nous aurons la joie d’en discerner les fruits et de nous en nourrir.


Christelle Javary
Avec l'autorisation de l'auteur


Titulaire d’une maîtrise de théologie de l’Institut catholique de Paris (ICP), Christelle Javary est membre du comité de pilotage du groupe « Célibataires en Église ».

Notes
(1)  Coédition Salvator/Fidélité, p. 45.
(2) Première partie, n° 5.
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