Menu
Lire la Bible - Revue N°90 - Novembre 2024
La mer, symbole de mort, école de vie
Très présente dans la Bible, la mer – yam, en hébreu est un univers à part. Elle est tout à la fois symbole de lʼimmensité de Dieu et source dʼinterrogations métaphysiques pour lʼhomme.Espace géographique liquide et mouvant, espace de commerce mondial et de course effrénée au profit, espace de loisirs et de rêve, espace dont les fonds sont riches en promesse pour l’avenir de l’humanité, espace où se jouent de grands enjeux stratégiques, la mer est au cœur non seulement des débats politiques et environnementaux mais aussi des conflits actuels les plus redoutables. La littérature biblique, œuvre d’un peuple qui, contrairement à ses voisins méditerranéens, ne s’est jamais lancé dans des conquêtes maritimes, porte un regard spécifique sur la mer et interroge encore nos contemporains, croyants ou non.
Réalité cosmique créée
Pour la Bible, un seul terme, yam, désigne une étendue d’eau quelle qu’elle soit : mer Rouge, mer Méditerranée ou encore « mer » de Galilée (le lac de Tibériade). Cette étendue d’eau n’est jamais considérée comme une divinité. En ce sens, les auteurs bibliques se démarquent de leurs voisins gréco-romains ou mésopotamiens. La mer, réalité cosmique créée, est, à leurs yeux, fonction du mystère du Dieu unique que les Hébreux confessent au milieu des peuples polythéistes qui les entourent.
Dès le premier récit de la Création (Gn 1), les eaux de la mer sont créées avant de laisser place à la terre pour que la vie humaine puisse s’y développer. L’humanité, en effet, ne peut vivre dans la confusion des eaux, que ce soit celles du premier jour, celles du Déluge ou celles de toute mer déchaînée à l’extrême. Elle a besoin pour se développer d’un espace sec. C’est pourquoi Dieu « rassemble l’eau des mers comme une digue, Il met en réserve les abîmes » (Ps 32,7). Autrement dit, Il rend la vie possible.
Face à la mer, qui n’a pas été saisi par l’infini qui en émane ? Qui n’a pas été travaillé par la question qu’elle pose : la transcendance de Dieu, sa grandeur, sa beauté ? « Plus que la voix des eaux innombrables, plus superbe que le ressac de la mer, superbe est Yahvé » (Ps 92,4).
Toutefois, le Dieu unique ne se confond jamais avec sa Création. Il crée et domine les éléments sans se laisser dominer par eux, sans se confondre avec eux. Tout en rapportant la Création à Dieu, la Bible n’encourage pas à défier la nature. Elle n’ignore pas que la mer peut être parfois d’une extrême violence au point de menacer la vie des êtres humains. Elle invite au contraire à entrer dans une humilité à son égard, comme l’apprennent les marins à force de naviguer.
La Bible ne condamne pas l’utilisation de la mer. Jamais elle ne traite les marins avec mépris. En cela, elle se distingue de bien des poètes romains ou grecs, qui ont décrit la mer avec plus d’emphase que la Bible tout en considérant la navigation comme impie et le marin comme un homme aux mœurs dépravées. Et ceci, au moment même où s’opérait le développement de la navigation en Méditerranée. La Bible, elle, parle toujours des marins avec sobriété et respect : « Descendus en mer sur des navires, ils faisaient négoce parmi les grandes eaux ; ceux-là ont vu les œuvres de Dieu, ses merveilles parmi les abîmes » (Ps 106, 23-24).
Dʼune saisissante actualité
Qui mieux que saint Paul, cet étonnant voyageur qui sillonne la Méditerranée au milieu du Ier siècle pour annoncer la Bonne Nouvelle, peut enseigner que la mer est une école de vie ? « Trois fois, écrit-il, j’ai fait naufrage. Il m’est arrivé de passer un jour et une nuit dans l’abîme ! » (2Co 11,25). Cette appréhension de la mer ne reste pas sans effet. La Bible en tire une symbolique qui est fonction du mystère de Dieu. C’est pourquoi on ne peut l’approcher qu’à partir de la compréhension religieuse que le peuple a eue de la Création. Les textes bibliques ne cherchent pas à donner une explication scientifique des phénomènes marins ou à se prémunir contre eux – ce n’est pas de leur ressort. La Bible part de la réalité physique de la mer et en tire un enseignement inédit. De fait, elle est d’une saisissante actualité car, à travers la mer, elle interroge l’homme sur son angoisse, sa quête de sens et même sur l’au-delà.
La mer n’est pas le repère des démons comme le croyaient les Anciens. La tempête n’est pas due à l’agitation d’un monstre marin, Léviathan ou Neptune. La mer n’est pas davantage une puissance négative qui combattrait l’homme, et même Dieu. Pour la littérature biblique, la mer reste cet élément puissant dont la force naturelle a la capacité d’engloutir l’être humain, quelles que soient les prouesses techniques de ce dernier pour l’aborder. Or, précisément, cette puissance physique qu’elle représente vient questionner non seulement nos idées mais aussi notre mode de vie. Si par son immensité et sa beauté la mer ouvre à la question de la transcendance, par ses excès redoutables elle ébranle aussi nos contemporains dans leurs certitudes les plus établies. Elle les invite à avoir un lien juste avec la Création, loin de toute crainte irrationnelle et de toute superstition.
La mer est l’un des meilleurs symboles pour signifier l’expérience de la mort.
© Chantal Reynier
La mer est le symbole adéquat pour signifier l’expérience humaine la plus irrémédiable, à savoir la mort. Or, la mort en mer est la plus terrible puisqu’elle est synonyme de privation de sépulture. « Sauve-moi, ô Dieu, car les eaux me sont entrées jusqu’à l’âme » (Ps 68,2) : cet appel venu des profondeurs du cœur est celui de toute personne plongée dans la détresse. Alors que les Anciens étaient sous l’emprise des éléments qu’ils pensaient être des dieux en furie et qu’ils cherchaient à apaiser, la Bible, elle, nous met devant Quelqu’un. Le psalmiste s’adresse à Dieu et s’écrie : « Toi qui m’as fait voir tant de maux et de détresses, Tu reviendras me faire vivre. Tu reviendras me tirer des abîmes de la terre » (Ps 71,20).
Aucun symbole n’est plus signifiant de la mort que cette mer en furie capable d’anéantir l’être humain en une seule vague. À cet égard, ce qui arrive à Jonas est emblématique. Les aventures de ce prophète sont présentées dans un récit mythique dont le sens est explicitement symbolique. Dieu, pour le sauver alors qu’il est passé par-dessus bord, fait intervenir un gros poisson qui engloutit le prophète (Jon 2). Celui-ci reste trois jours et trois nuits dans le ventre de ce poisson. Confronté à la mort, il se tourne alors vers Dieu : « Les eaux m’avaient environné jusqu’à la gorge, l’abîme me cernait. L’algue était enroulée autour de ma tête. À la racine des montagnes j’étais descendu, en un pays où les verrous étaient tirés sur moi pour toujours. Mais de la fosse Tu as fait remonter ma vie, Yahvé, mon Dieu » (Jon 2,6-7).
Face à l’océan, qui n’a pas été saisi par une impression d’infini ?
© Chantal Reynier
© Chantal Reynier
L’histoire de Jonas rejeté sain et sauf sur la terre ferme, la terre habitable, fait comprendre que l’agir de Dieu est toujours au profit de l’homme ; il est toujours en vue de donner la vie. On comprend dès lors pourquoi la plongée dans les eaux du baptême – baptizein signifie « plonger » en grec – est adéquate pour signifier la plongée dans le mystère pascal de la mort-Résurrection du Christ. Les eaux ont toujours un caractère ambivalent : elles sont les eaux de la mort et les eaux de la vie.
Victoire sur la mort
C’est pourquoi, bien plus tard, au Ier siècle de notre ère, Jésus profite de l’agitation des eaux du lac de Tibériade pour signifier à ses disciples ce que représente l’existence humaine face à la mort. La tempête (Mc 4,35-41) apparaît alors comme le lieu de l’affrontement à des confins qui ne sont pas seulement géographiques. En apaisant la tourmente, Jésus révèle de façon symbolique ce que sera sa victoire sur la mort après sa Passion. Là encore, il ne faut pas chercher d’explication scientifique à ce geste, même si les tempêtes sont fréquentes sur la « mer » de Tibériade. Jésus révèle la singularité de son identité. Le récit de la tempête apaisée permet de comprendre symboliquement qu’aucune puissance de mort ne peut atteindre l’homme. Le Christ, dans sa Résurrection, apparaît comme Celui qui triomphe d’une nature qui nous tient emprisonnés. Il est le gage que tout être humain sera avec Lui soustrait au pouvoir de la mort. Quel meilleur symbole ? Quelle plus grande espérance ?
Chantal Reynier, bibliste
Spécialiste des écrits pauliniens, Chantal Reynier est l’auteur de plusieurs ouvrages aux éditions du Cerf, dont La Bible et la mer (2003), Saint Paul sur les routes du monde romain. Infrastructures, logistique, itinéraires (2009), Paul de Tarse en Méditerranée. Recherches autour de la navigation dans l’Antiquité (Ac 27-28,16) (2006), Tempêtes. Quatre récits bibliques (2011), À la gloire du Père. Louer Dieu avec saint Paul (2024).
Télécharger la revue n° 85 gratuitement
La revue n° 85 sera disponible dans votre dossier Téléchargements
Pour télécharger une autre revue, cliquez sur l'image de la revue souhaitée ci-dessous.
La revue n° 85 sera disponible dans votre dossier Téléchargements
Pour télécharger une autre revue, cliquez sur l'image de la revue souhaitée ci-dessous.