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Fruit de Vatican II, un nouveau regard sur la conscience

Il y a soixante ans, la constitution pastorale Gaudium et spes, apport majeur du Concile, a explicité ce qu’est la vraie liberté : poser des actes en étant détaché des attachements désordonnés.

Le 25 décembre 1961, en annonçant la convocation d’un concile œcuménique, le pape Jean XXIII invitait l’Église à vivre une nouvelle Pentecôte, à s’ouvrir au présent¹, à regarder l’apparition d’un monde nouveau. Qu’est-ce que l’homme ? Quel est le sens et le but de sa vie ? Comment les humains peuvent-ils vivre ensemble dans l’unité et la fraternité ? Voilà les questions fondamentales que le concile Vatican II a abordées.
L’anthropologie contemporaine met au cœur de tout la liberté. Au XXe siècle, et encore plus au XXIe siècle, l’être humain se perçoit et se veut libre. En Occident, chacun revendique sa liberté comme le bien le plus précieux. Cette conviction s’exprime dans de nombreux domaines. Elle rejoint des proclamations fortes du Nouveau Testament. Ainsi, Jésus dit aux Juifs : « La vérité vous rendra libres » (Jn 8,32) et saint Paul répète aux Galates : « C’est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés » (5,1). Autant d’affirmations qui évoquent un processus de libération. 
Dans la constitution pastorale Gaudium et spes (GS) de 1965, le Concile s’est particulièrement penché sur les questions du monde moderne. Les Pères conciliaires avaient une haute idée de la liberté, et deux points de GS retiennent particulièrement l’attention : « Nos contemporains estiment grandement la liberté… La vraie liberté est en l’homme un signe privilégié de l’image divine » (n° 16), toutefois cette conception de la liberté ne consiste pas à faire ce que l’on veut à tout instant, mais à poser des actes libres, ce qui requiert d’être libéré des « servitudes des passions » (n° 17). Cela prolonge d’une certaine manière ce qu’écrivait saint Ignace quand il invitait à se libérer « des attachements désordonnés » (Exercices spirituels) pour ordonner sa vie selon des choix libres. Là est la dignité de la personne humaine.

La révélation de Dieu, proposition d’une amitié
Ces deux numéros 16 et 17 de GS insistent, l’un sur la conscience, l’autre sur la liberté. Quel est le lien entre la liberté et la conscience ? Qu’est-ce qu’agir « selon la droite règle de la conscience » (n° 26) ? GS rejoint ici la constitution dogmatique Dei Verbum (DV) publiée un mois plus tôt [lire aussi notre article p. 24, ndlr]. La révélation de Dieu est présentée comme une relation, la proposition d’une amitié : « Dans la Révélation, le Dieu invisible s’adresse aux hommes en son immense amour ainsi qu’à des amis, Il s’entretient avec eux pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie » (DV, no 2). La foi, réponse à cette proposition, ne peut être que libre. L’amour ne s’impose pas.
À ce croisement entre relation, liberté et conscience, Dignitatis humanae, la Déclaration du Concile sur la liberté religieuse promulguéela même année, parle de la nécessité de « se former prudemment un jugement de conscience » (n° 3), ce que l’on peut nommer une « conscience éclairée ». Gaudium et spes n° 16 met aussi en valeur la conscience, « le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre ».
L’être humain doit-il obéir à la loi, aux lois ou à sa conscience ? La tradition morale l’affirme clairement : l’homme doit obéir à sa conscience, à « cette voix qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal ».

Même quand la voix de la conscience semble en tension, voire en contradiction avec la loi, les lois fondamentales ou des prescriptions de l’Église ? Oui, il s’agit toujours d’obéir à sa conscience, mais à une « conscience éclairée ».

Un devoir moral
Notre responsabilité est donc de travailler intérieurement, pour éclairer notre conscience. « C’est un devoir moral d’éclairer sérieusement sa conscience », soulignait le théologien salésien Xavier Thévenot (1938-2004). Mais comment s’y prendre ? C’est un vrai travail qui met en œuvre à la fois la raison et l’affectivité. Devant une situation grave, dans la société ou dans l’Église, on peut avoir une réaction vive qui conduit à un comportement spontané, avec une conviction évidente et tranchée. Éclairer sa conscience implique de faire appel à sa raison, de voir le réel dans sa complexité, d’approfondir sa réflexion au fil du temps sur les grands sujets sociétaux tels la fin de vie, l’accueil de l’étranger, les migrations, la recherche du bien commun…
Éclairer sa conscience suppose aussi d’écouter, de lire, de converser avec d’autres, de se confronter à leurs points de vue, de prier… Ce labeur conduit hors du flou ou du déni, nous fait sortir également de convictions purement subjectives afin que nous puissions poser des jugements. Bref, c’est tout ce travail que la tradition spirituelle appelle discernement². Un thème central dans la pensée ignatienne, et qui consiste en une démarche alliant raison et passion.

Joëlle Ferry, xavière

¹L’adverbe latin hodie (« aujourd’hui ») revient 46 fois dans les textes de Vatican II, et hodiernus (« de notre temps »), 89 fois, sans compter les expressions (monde d’aujourd’hui, temps présent, vie présente, notre époque, nécessités présentes…).
²Lire « Discerner pour s’affermir dans la liberté », Patrick Goujon, Études n° 317, juillet 2012.

Joëlle Ferry est docteur en théologie et en histoire des religions. Élève titulaire de l’École biblique de Jérusalem, elle est professeur honoraire à la Faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris.


Pour décider sans être sous l’emprise des passions et des illusions, il est indispensable de former sa conscience afin de voir le réel dans toute sa complexité.
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