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Repères ignatiens / Repères ecclésiaux - Revue N°91 - Janvier 2025
Devenir saint, une ambition à servir
En quel sens encourager le désir de sainteté que ressentent certains jeunes ? Dans le cheminement des futurs jésuites, deux années sont prévues pour le purifier en le confrontant au service du prochain. Les explications d’un ancien maître des novices.Un élan au fond d’eux-mêmes, prêt à s’épanouir s’ils lui laissent libre cours : ne serait-ce pas ce que pressentent les jeunes catholiques qui ambitionnent de « devenir des saints » ? Le Dictionnaire de spiritualité explique : « En son essence, la sainteté s’identifie à la charité, c’est-à-dire à l’amour en son sens le plus pur, et la sanctification n’est pas autre chose que le cheminement vers une charité plus grande envers Dieu et le prochain. Or la charité n’a pas sa source en l’homme, mais en Dieu¹.»
Nous nous étonnons parfois de constater cette ambition radicale chez de jeunes adultes, en ce monde où le calcul et la technicisation sont devenus nos maîtres. Pourtant, cet élan habite les disciples de Jésus depuis le début du christianisme. Dès l’apparition des premières communautés ecclésiales, la question de la sainteté a fleuri. Les nouveaux adeptes de « la Voie » ont cherché à imiter le Christ jusqu’à risquer de perdre leur honneur ou leur place dans la société, jusqu’à risquer la mort. Mais ne nous trompons pas, il y a plusieurs manières d’aborder la sainteté.
Vie et bonheur
Deux passages bibliques, entre autres, viennent nous interpeller quant au sens de notre existence. Il y a cette parole de Dieu adressée à son peuple qui approche de la Terre promise : « Je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bonheur, la mort et le malheur […]. Tu choisiras la vie pour que tu vives » (Dt 30,19). Et puis, il y a cette question des impies : « Qui nous fera voir le bonheur ? » (Ps 4,7). La vie et le bonheur ! Les juifs de l’Ancien Testament étaient taraudés par le risque de se tromper de voie, c’est-à-dire de rater leur existence terrestre. Plus tard, au temps de Jésus, nous entendons comme en écho ce cri provenant du cœur d’un juif érudit : « Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? » (Mt 19,16).
Trouver le sens de notre existence, la direction à lui donner, un itinéraire qui plaise à Dieu, tels sont les mouvements qui traversent le cœur des croyants. Et ils sont mêlés à la fois d’un fabuleux désir et d’une crainte. Car chacun sent bien le travail des forces adverses, la capacité à la distraction aussi. C’est pourquoi Jean Cassien², par exemple, ira faire le tour des Pères du désert en Égypte à la recherche d’une sagesse propre à mieux conduire sa vie, à mieux mener le combat spirituel. Ces découvertes s’avéreront utiles pour lui-même, pour ses moines et moniales à Marseille, pour nous encore aujourd’hui.
J’ai eu l’immense joie d’être témoin du parcours d’un bon nombre d’étudiants et de jeunes professionnels, d’accueillir et d’accompagner des novices jésuites. Leur point commun est un grand désir : désir de Dieu, désir d’une vie qui rayonne du Christ. Ces jeunes hommes et femmes le formulent souvent ainsi : « Grandir en sainteté », ou « Dieu, premier servi ». Nous y voilà : l’ambition de nombreux jeunes catholiques aujourd’hui est une ambition de sainteté. Il s’agit tout d’abord de nous en émerveiller. Puis de déceler ce qui est encore à émonder, à affiner, à encourager. Car on observe parfois une confusion entre désir d’une vie sainte et quête d’un salut personnel. Le Dictionnaire de spiritualité le précise bien : la sainteté est intimement liée à la charité. Grandir en sainteté, c’est-à-dire en tant que fils et fille de Dieu sur terre, passe par autrui. Il ne s’agit pas seulement d’un cheminement solitaire, tourné vers sa vie intérieure, mais aussi d’une vie orientée vers notre prochain, lequel est visage du Christ.
Une maturité plus grande
Au noviciat jésuite, comme dans tout noviciat ignatien, les « expériments »³ assurent cette fonction. Les deux années d’initiation à la vie religieuse aident à approfondir la vie d’oraison, la relation intime avec notre Seigneur. Elles visent tout autant à exposer les novices à la réalité humaine en sa grande diversité. Servir humblement à travers des tâches domestiques, se mettre au service de personnes âgées ou marginalisées… Voilà un chemin de purification de notre désir, un chemin qui attise en nous le désir de Dieu. Oui, l’ambition initiale de sainteté conduit à une maturité plus grande de notre vie de foi, et cela passe par l’humilité et des actes concrets.
Que nous soyons novices, étudiants ou jeunes professionnels, la croissance en sainteté conduit à découvrir un appel dans l’appel, celui de rejoindre la famille des enfants de Dieu. Et nous voici convoqués à œuvrer à la communion entre ses membres. Et nous voici bénéficiaires de leur expérience. Et nous voici mendiants de leur présence. « Vous êtes concitoyens des saints, vous êtes membres de la famille de Dieu […]. En Lui [le Christ], vous êtes, vous aussi, les éléments d’une même construction pour devenir une demeure de Dieu par l’Esprit Saint » (Ep 2,19.21).
Ignace de Loyola et ses premiers compagnons, dans le document de fondation intitulé Formula instituti, présentent rapidement leur nouveau mouvement à l’adresse de celui qui voudrait les rejoindre, en expliquant que cette petite Compagnie appelle à servir dans la vigne du Seigneur et, par là, à sauver son âme. Un peu plus loin, ils font appel à cette magnifique expression de « chemin vers Dieu ». Se dépenser dans le service apostolique est un chemin de sainteté. Devenir serviteur de la mission du Christ participe à réaliser notre vocation humaine et spirituelle. Servir devient chemin vers Dieu.
Thierry Anne, sj
¹ Aimé Solignac, article « Sainteté de l’homme » dans l’ouvrage collectif édité sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus Dictionnaire de spiritualité, tome 14, colonne 192, éd. Beauchesnes (1933 à 1995), en ligne sur www.dictionnairedespiritualite.com.
² Moine du IVe siècle, Jean Cassien a rédigé l’introduction de la première règle monastique en Occident.
³ Dans la spiritualité de saint Ignace, expérience qui provoque des déplacements et éclairages intérieurs tels que le novice voit sa vocation éprouvée, c’est-à-dire émondée, précisée, et souvent renforcée (voir www.jesuites.com).
Maître des novices à Lyon durant huit années pendant lesquelles il a aussi accompagné des équipes jeunes de la CVX, Thierry Anne est depuis 2021 rédacteur en chef de la revue Christus et directeur de la maison Magis à Paris. Il a également dirigé le Réseau jeunesse ignatien, devenu le Réseau Magis.

Premiers vœux de novices jésuites venus d’Italie, en Hongrie, en septembre 2024. Se dépenser dans le service apo stolique est un chemin de sainteté.
Copyrigtht : © Péter Pásztor / Compagnie de Jésus (Licence Wiki Commons).
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