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Contrechamp - Revue N°94 - Septembre 2025
Consentir, comme un acte de libération intérieure
Même lorsque l’on est écrasé par la maladie, le deuil, la dépression, il est encore possible de supplier Dieu d’accorder une grâce de libération. Dans ces situations, la liberté du chrétien peut trouver sa source dans la contemplation de la Croix.Il n’est pas rare que la prière ouvre des voies nouvelles, insoupçonnées, inespérées. Tel se voyait dans une impasse qui, d’un cœur généreux et sincère, a demandé à Dieu de l’aide. Il s’en est trouvé, par un de ces concours de circonstances, ces « alignements de planètes » qui font bel et bien penser à une bienveillante réponse à nos supplications. Impossible de rien prouver ni réfuter. On touche ici au regard de la foi qui peut apercevoir des anges là où, parfois, on ne verra goutte : « N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges », rappelle la lettre aux Hébreux (13,2). L’humilité de la foi est de rigueur.
Mais quand frappe le sort, et que l’on se heurte en soi à quelque chose que rien n’apaise, après des années, comment « vivre avec l’irréparé », pour reprendre le titre du beau livre d’Isabelle Le Bourgeois¹ ?
Ne passons pas trop vite
Pour tenter de vivre, nous n’avons qu’un lieu vers lequel nous rendre par la méditation recueillie et intelligente des Écritures : la Passion, et son moment crucial : « Mon Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné ? » (Mt 27,46). Jésus meurt, dit le Credo. Ne passons pas trop vite.Sur la Croix est mise à nu la relation de Jésus à Dieu. Que reste-t-il quand il ne reste rien à espérer ? Un cri, non celui du rejet de Dieu qu’on « gueulerait » à la face de la foule, mais un cri lancé à ce Dieu que Jésus dit toujours sien, alors même que les masses se moquent de son attachement à ce Dieu qui ne vient pas.
Aucun rapport de force entre Dieu et l’homme ici, aucune transaction, aucun chantage. Une déclaration : « Mon Dieu, je n’ai pas d’autre Dieu que Toi… » Quand il ne reste rien, il peut rester Dieu. Jésus n’assimile Dieu à rien, pas même à une aide ou à un soutien… Les Écritures ne nous disent pas que Dieu alors lui apparut. Elles ne racontent rien de ce qui se produisit, pour que nous puissions affirmer par la foi que Dieu L’a ressuscité. Mais aux rencontres qui s’ensuivent, avec les femmes, les compagnons, la foule, et non sans malentendus, « ils Le reconnurent » (Lc 24,31).
Dans une formule remarquable, Ignace de Loyola, dans la quatrième semaine des Exercices spirituels, où il nous entraîne à contempler le Ressuscité, invite à reconnaître « les saints effets de la Résurrection ». Par où Dieu passe-t-Il ? Écarter qu’Il puisse nous accompagner dans la maladie, dans nos pires dépressions et défigurations, ce serait prétendre savoir, et vouloir à la place de Dieu, qu’Il soit ici plutôt que là, dans les eaux du baptême plutôt que sur la Croix, dans le vin des noces plutôt qu’auprès des possédés. Ce serait encore entrer en concurrence avec Dieu que de décréter a priori où Il doit se trouver. Découvrir sa présence nous laisse plutôt pantois.
Il appartient à Dieu de se manifester là où il n’est plus guère possible qu’on L’attende. Qui sait alors comment, dépouillés de toute image de Dieu, de tout contenu quant à ce que nous imaginons être son mode d’intervention, nous pouvons L’apercevoir « même de loin », comme Moïse devinant à proche horizon la terre qu’il ne foulera pas, s’éprouvant ainsi avec les siens en exil « étrangers et voyageurs sur la terre » (Hb 11, 8-13) ? Voilà qui libère en dépouillant.
Comme Job
Se trouver comme Job sur le tas de détritus dans lequel notre vie a sombré, n’en pouvoir plus des douleurs, de l’irréparable, de la mort qui vient… et pourtant s’adresser encore à Dieu, garder espérance en Lui. Elle peut vraiment sembler héroïque, cette espérance, alors même qu’elle n’abandonne pas l’humilité de celui qui ne fait que croire sans vraiment savoir.Espérer en Dieu nous conduit à un intense combat contre les images et les pouvoirs dont on L’affuble. Les tentations du Fils au désert nous en avertissent. Elles ne précèdent pas la connaissance de Dieu, elles l’accompagnent. Dieu passe, Il console, en supprimant non les conditions de l’oppression, mais la menace qu’elles font peser sur la foi en ce lien par lequel Il nous tient, invisible. Un rien d’espérance et de bonté qui fait toute la différence, et ne ressemble pourtant à rien d’autre qu’à Dieu qu’on n’a pas vu. Qu’on aura juste reconnu à son passage, à force de scruter les Écritures et ses effets en nous.
Le risque de la pensée magique
Certes, notre vie de prière court toujours le risque de la pensée magique. Le monde est animé de puissances avec lesquelles il faudrait négocier pour que leurs influences soient bénéfiques. Symétriquement, il faudrait en écarter les maléfices, sanctions de nos comportements. Nos malheurs pourraient même n’être que l’arbitraire de forces supérieures qui manipulent nos vies. La prière est alors vue comme un moyen de transaction, associé à des offrandes pour remercier, à des sacrifices pour supplier. L’Olympe règle le destin fatal des humains.Mais nous pouvons espérer être délivrés de ce qui nous entrave. En ce sens, l’attente – « Frappe et on t’ouvrira » (Mt 7,7) – n’enferme pas et ne risque pas non plus de décevoir. Elle peut ouvrir à plus de liberté intérieure. L’espérance ne peut surgir que comme une nécessité intérieure, jamais comme une obligation morale.
Patrick C. Goujon sj
¹Albin Michel, 2024.
Docteur en théologie et en histoire, Patrick Goujon, 55 ans, est rédacteur en chef des Recherches de science religieuse. Professeur aux Facultés Loyola Paris et chercheur à Campion Hall (Oxford University, Grande-Bretagne), il a publié notamment Prière de ne pas abuser, Seuil, 2021.

Une clé pour décider sans se faire piéger par ses illusions sur Dieu est de contempler
la Passion et la Résurrection du Christ.
© Pascal Deloche / Godong
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