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Contrechamp - Revue N°93 - Mai 2025

Changer son regard pour mieux se parler

Depuis les années 1970, la Communication non violente (CNV) est de plus en plus utilisée en médiation. En incitant à voir en l’autre une même humanité, cette approche favorise des relations pacifiées.

Avant d’être en relation respectueuse et pacifiée avec une autre personne, il est indispensable d’être à l’écoute de ce qui se passe en soi. Le quotidien offre bien des occasions de tension ; il est alors urgent de suspendre son agitation pour prêter attention à ce qui agace, ce qui est en colère à l’intérieur de soi. Accueillir cet état émotionnel, sans vouloir tout de suite chercher des solutions, est un préalable pour surmonter les situations de tension, voire de conflit. Il s’agit d’adopter le postulat que chaque être fait ce qu’il fait le mieux qu’il peut, compte tenu de son passé, de ses blessures, de ses croyances et de ses représentations.

L’artisan de paix peut utiliser les outils de la Communication non violente (CNV)¹ du psychologue américain Marshall Rosenberg (1934-2015) dans des situations où de l’adversité, du non-attendu, du non-espéré viennent frapper à sa porte. Les interactions entre individus, quelles que soient leurs intentions, apportent leur lot de « dé-rangements », de « ça ne devrait pas être ainsi ! », et deviennent des obstacles à la qualité du lien. Il y a donc décalage entre les attentes non formulées, les intentions explicites ou implicites des uns et des autres. « La violence est l’expression tragique et maladroite de besoins insatisfaits », disait Marshall Rosenberg. Désamorcer ce mécanisme en prenant en compte les valeurs derrière la frustration apporte un regard neuf sur les moyens de contribuer à la paix.

Les conflits, indissociables de toute relation humaine

Plutôt que de fantasmer des structures idéales où la symétrie serait de mise entre tous, comme une sorte de bienveillance partagée et régulée, il est plus opérant de considérer les tensions et les confrontations, voire les conflits, comme indissociables de toute relation humaine. Il est donc prioritaire de mettre en place de nouvelles habitudes de communication pour une bonne santé relationnelle, même en situation à haute intensité.

Prenons l’exemple de François qui croise en ville un collègue, Paul, membre de la même association que lui. Paul lui dit : « Tu n’es jamais présent aux réunions ! » François sent de l’agacement et a envie de se justifier, de corriger cette généralisation, « jamais ». Dans ce genre de réaction en « miroir », François répondra : « Tu es injuste ! J’ai eu un empêchement, effectivement, ce jour-là. C’est toi qui étais absent depuis le début de l’année… »

Une forme de méditation

Si François est formé à la CNV, il s’arrêtera quelques secondes – on parle d’auto-empathie – afin de différer sa réaction immédiate (de justification ou d’expression de son irritation). Grâce à ce regard tourné vers l’intérieur – dans une forme de méditation –, il recherche le contact avec ses sensations, ses pensées, ce qui lui permet de suspendre sa réactivité en ping-pong. En fait, le message de son collègue – « Tu n’es jamais présent aux réunions ! » – dissimule une frustration que François va pouvoir rejoindre au lieu de prendre ce message contre lui et d’accumuler du ressentiment.

Ainsi, dans un dialogue de type CNV, François demandera à Paul : « Tu n’as pas l’air content. Que s’est-il passé pour toi ? » Et Paul pourra s’expliquer : « À la dernière réunion, je voulais montrer des documents à un nouveau venu et je n’ai pas pu les trouver. Avec toi présent, j’aurais pu m’en sortir. »

Cet exemple illustre le piège du langage « statique », avec jugement et généralisation. Lorsque l’on reçoit une formulation comme un reproche, on risque de vivre du ressentiment. Au contraire, si l’on s’entraîne, par une pratique régulière de la CNV, à comprendre que les critiques ou les reproches expriment plutôt une attente frustrée de son interlocuteur, on se libère du désir de vouloir rétablir « sa propre » vérité sur la situation.

Mais attention, accueillir l’autre ne signifie pas qu’on lui laisse le pouvoir sur soi. Les besoins sont précieux, parce qu’ils représentent la puissance du vivant. Des besoins non comblés invitent à actualiser son processus vital. Si nous nous résignons à ne pas honorer nos besoins, nous pouvons entrer en souffrance, voire en dépression. La CNV renforce donc le courage pour trouver les ressources en soi, dans l’environnement, auprès des autres, pour transformer les situations et retrouver la joie de vivre.

Pour cela, il est nécessaire de sortir du « qui a tort, qui a raison », de développer sa capacité à exprimer ses valeurs, ce qui compte pour soi, de savoir se protéger en exprimant un vrai non et un vrai oui, sans chercher à être reconnu ou aimé de quiconque. Il est essentiel de repérer les attachements et les croyances qui rendent prisonnier du regard des autres et des conditionnements sociaux. Dans ce domaine, Marshall Rosenberg considérait la demande (en opposition à l’exigence) comme un pilier de l’exercice de transformation. Quand on fait une demande, on accepte de ne pas être pleinement satisfait, sans pour autant se décourager, et sans punir l’autre. Quand un interlocuteur nous fait une demande, on choisit librement de dire oui – parce que ce oui respecte nos propres limites – ou non – sans céder à la peur d’être exclu ou rejeté. Demander est une façon de reconnaître son interdépendance avec les autres humains et de s’ouvrir à sa propre vulnérabilité.

Geneviève Bouchez Wilson
et François Dusson

¹ CNV : cnvfrance.fr
 


Il est nécessaire d’apprendre de nouvelles habitudes de communication pour oser exprimer nos propres besoins tout en respectant l’autre.
© Pascal Deloche / Godong
 

Geneviève Bouchez Wilson, formatrice certifiée du Center for Nonviolent Communication (CNVC), est médiatrice et coordinatrice pédagogique de l’Association pour la communication non violente (ACNV) France. Consultante en organisation, elle a coécrit avec Pascal Molho le livre La communication non violente, coll. C’est malin Poche.

François Dusson, formateur certifié du CNVC, a présidé l’ACNV France de 2006 à 2012. Il est animateur de groupes de pratique CNV depuis 2002.

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