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Repères ignatiens / Repères ecclésiaux - Revue N°92 - Mars 2025
Car nous sommes tous frères
Pas facile de pardonner, difficile de réunifier… Mais pourtant, ô combien essentiel ! L’encyclique Fratelli tutti du pape François livre des clés précieuses pour y parvenir : la rencontre et le dialogue.Est-il légitime de parler de la nécessité de se réconcilier ? Mettre fin à un conflit, pardonner à un agresseur ne se décrète pas, et peut même être non envisageable. Pourtant, ce n’est pas un luxe ! Chercher à recréer des liens cassés n’est ni facultatif ni obligatoire, mais simplement vital, essentiel pour soi et pour les autres, puisqu’il faut vivre ensemble.
Mais comment sortir du blocage, surmonter les rancœurs qui minent certaines relations, ne pas se résigner quand le sentiment d’impuissance menace l’espérance ? Un texte puissant sonne l’alarme : Fratelli tutti, l’encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale publiée par le pape François en 2020. Ce texte est tout entier imprégné d’Évangile : « Nous, chrétiens, nous ne pouvons pas cacher que si la musique de l’Évangile cesse de vibrer dans nos entrailles, nous aurons perdu la joie qui jaillit de la compassion, la tendresse qui naît de la confiance, la capacité de la réconciliation qui trouve sa source dans le fait de se savoir toujours pardonnés et envoyés. Si la musique de l’Évangile cesse de retentir dans nos maisons, sur nos places, sur nos lieux de travail, dans la politique et dans l’économie, nous aurons éteint la mélodie qui nous pousse à lutter pour la dignité de tout homme et de toute femme » (n° 277).
Pourquoi tant de violences dans le monde ? Le pape s’interroge. Fidèle à son ancrage ignatien, il part du réel pour dresser un certain nombre de constats affligeants touchant à l’injustice et au mépris des pauvres. Le diagnostic opéré dans le premier chapitre est terrible : « Les ombres d’un monde fermé. »
Des petits pas consentis par chacun
L’enjeu ultime se révèle politique, sa portée universelle. Ce qui est en danger quand l’autre n’est plus vu comme un frère, c’est la fraternité. Sur ce point, aucun geste de réconciliation n’est anodin. La paix mondiale et une coexistence commune se construisent à partir des petits pas consentis par chacun.
Pourtant, le rêve se heurte à nos limites : « La raison, à elle seule, est capable de comprendre l’égalité entre les hommes et d’établir une communauté de vie civique, mais elle ne parvient pas à créer la fraternité » (n° 272). Je veux et je ne peux pas… Le cœur humain est divisé, rempli de peurs et de contradictions. C’est pourquoi le pape invite à un travail intérieur radical, à la fois personnel et collectif, qui suppose de se réconcilier avec soi-même et de consentir à ses paradoxes, les siens comme ceux des autres.
« Quand deux vérités s’affrontent, c’est qu’elles en cachent une troisième plus profonde, qui les unit et les dépasse », disait le dominicain Henri Lacordaire (1802-1861). Tenir ensemble ce qui s’oppose, sans rien perdre de ce qui est précieux, « voici un principe indispensable pour construire l’amitié sociale : l’unité est supérieure au conflit. Il ne s’agit pas de viser au syncrétisme ni à l’absorption de l’un dans l’autre, mais de la résolution à un plan supérieur qui conserve en soi les précieuses potentialités des polarités en opposition » (n° 245). Ne retrouve-t-on pas ici « l’a priori favorable » cher à Ignace ? Sauver à tout prix dans la proposition de l’autre ce qui peut être sauvé. Sans craindre le combat, car Dieu verse sa lumière dans les blessures de nos vies comme dans les fractures sociales : « La vraie réconciliation, loin de fuir le conflit, se réalise plutôt dans le conflit en le dépassant par le dialogue et la négociation transparente, sincère et patiente » (n° 244).
Pour renouer les fils coupés, pas de meilleure « arme » en effet que la parole. Mettre des mots sur le mal séparateur, c’est déjà poser les bases d’un pont. « Au nom de Dieu, nous déclarons adopter la culture du dialogue comme chemin, la collaboration commune comme conduite, la connaissance réciproque comme méthode et critère » (n° 285).
Se laisser surprendre
Le dialogue entre deux adversaires peut s’imaginer comme une rencontre entre deux voyageurs. Chacun se quitte lui-même pour rechercher la part de vérité dans ce qu’il considère comme l’erreur ou la faute de l’autre. En même temps, le voici lui-même en quête de la part d’erreur ou de faute inhérente à sa propre position. Rencontrer l’autre, non pour le convaincre – dans convaincre, il y a « vaincre » – mais pour l’entendre et, qui sait, se laisser surprendre jusqu’à accepter d’être enrichi par son point de vue.
Si le dialogue n’aboutit pas, alors, on peut encore délier l’autre et le laisser aller vivre sa vie en dehors de soi, en espérant pour lui un avenir digne. Si l’on ne peut pardonner, choisir de respecter. Si l’on ne peut tendre la main, décider de ne plus agresser. Si l’on ne peut aimer, cesser au moins de haïr. Lâcher prise et choisir la paix. Le pardon n’est pas l’oubli mais la décision libératrice de vivre et de laisser les autres vivre en dehors de nous. « L’essentiel, c’est de ne pas agir pour nourrir une colère qui nuit à notre âme et à l’âme de notre peuple, ou par un besoin pathologique de détruire l’autre qui déclenche une course à la vengeance » (n° 242). Rien n’est simple, mais avec la grâce de Dieu, tout est à espérer !
Isabelle Parmentier

© Avec l’aimable autorisation de Blandine Daheron
Christ de Péronne, créé par des collégiens, des lycéens et des catéchistes à Péronne (Somme) en 1982 : le visage d’une culture du dialogue.
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