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Air du temps - Revue N°93 - Mai 2025

Avis de gros temps sur la démocratie

La montée des populismes en Occident, notamment aux États-Unis avec le retour au pouvoir de Donald Trump, interroge sur les campagnes électorales et leurs instances de contrôle. Plus grave : la crise de l’engagement citoyen met en péril toutes les démocraties.

La démocratie ? Beaucoup de questions convergeaient en Europe sur ce thème avant même les élections aux États-Unis. Désormais, c’est tout le contexte européen qui est en train de changer. Comment interpréter cette montée généralisée des souverainismes et des populismes depuis plus d’une décennie ?

Le choc est rude

En réalité, les tensions n’ont jamais réellement disparu : à côté des progressistes, attachés aux droits humains fondamentaux, se sont toujours trouvés des souverainistes qui estiment que le niveau d’intégration dans l’Union européenne est trop fort. De leur côté, des nationalistes vont jusqu’à proposer des politiques de « re-migration » des étrangers extraeuropéens jusque chez eux. Pour les personnes qui se sont impliquées dans la construction européenne après la Seconde Guerre mondiale, le choc est rude. Pourtant, des instances et des procédures de consolidation de l’État de droit existent en Europe.

Il faut donc comprendre ce qui se passe. Le Forum mondial de la démocratie, organisé tous les ans par le Conseil de l’Europe en présence de centaines d’ONG, est un bon lieu pour s’informer. Le dernier en date, du 6 au 8 novembre 2024 à Strasbourg, avait pour thème « Démocratie et diversité : pouvons-nous dépasser les clivages ? » Le relais européen permanent de l’Action catholique des milieux indépendants (ACI) y a participé activement. Ce temps d’information et de rencontre véritable a permis d’aborder des questions aussi déterminantes que la désinformation ou les récits politiques clivants, y compris dans le cadre de campagnes électorales.

De fait, les processus électoraux, au lieu d’aider à départager les meilleures propositions, peuvent conduire à cristalliser les amertumes et les revendications de tous ordres. Les élections font finalement le jeu de populismes dangereux. En Europe, le cas le plus emblématique a été celui de la Roumanie, où un parti extrémiste est arrivé en tête lors des présidentielles de décembre 2024 à la suite d’une campagne illicite sur le réseau social TikTok, obligeant la Cour constitutionnelle roumaine à annuler les élections. En Allemagne, l’opinion publique préfère oublier la tentative de coup d’État qui a eu lieu en 2022 ; ses principaux responsables, les Reichbürger (citoyens du Reich), ont été jugés en 2024.

Il faut donc réfléchir aux moyens de sensibiliser les citoyens aux risques que représente le populisme pour leurs libertés et leurs droits fondamentaux. C’est ce que certains mouvements d’Église – parmi lesquels l’ACI – ont fait en France lors de la campagne pour les élections européennes de juin 2024, en organisant une vingtaine de débats publics, parfois isolément, parfois en partenariat avec d’autres mouvements. Ces débats furent l’occasion de constater que les inégalités (socio-économiques, de genre, générationnelles, ethniques…) alimentent les discours clivants qui, à leur tour, peuvent déclencher des choix électoraux fragilisant les démocraties. La vigilance s’impose donc.

Explorer des pratiques électorales novatrices

En effet, si les élections deviennent des arènes où s’exacerbent les clivages – malgré des valeurs démocratiques profondément ancrées –, il y a lieu d’explorer des pratiques électorales novatrices et plus inclusives pour dépasser les simplismes et favoriser l’unité au sein de sociétés en tension. Des associations et des programmes universitaires comme le Centre de recherche international sur la barbarie et la déshumanisation (Cribed)¹, que dirige Cathy Leblanc, professeure de philosophie à l’Institut catholique de Lille, travaillent en ce sens, pour analyser les fondements de la démocratie et l’émergence des post-totalitarismes. On peut aisément les rejoindre².

Mais il est important aussi de chercher comment contrer les campagnes de désinformation, en particulier celles qui se répandent sur Internet et les réseaux sociaux. Ces campagnes sont souvent, en réalité, une modalité des « guerres hybrides » menées aux portes de l’Europe par des grandes puissances dont l’objectif est de manipuler l’opinion publique, de semer la discorde et d’éroder la confiance dans les institutions démocratiques. La France a été victime d’une attaque de ce genre : peu après l’attaque du Hamas sur Israël le 7 octobre 2023, un couple de Moldaves a été expulsé après avoir multiplié les tags d’étoiles de David sur des murs de Paris ; ils ont reconnu avoir agi « sur commande d’un tiers ». Ces tags antisémites visaient à tendre encore davantage les relations entre communautés musulmane et juive dans notre pays.

Phénomène plus inquiétant encore : toutes les démocraties européennes sont confrontées à une crise de l’engagement citoyen. Parmi les conditions préalables permettant à la société civile de favoriser de tels engagements citoyens, figure la possibilité pour les organisations démocratiques de s’associer librement. Ces organisations contribuent à favoriser la participation de tous, à créer un capital social et un climat de confiance qui jouent un rôle déterminant dans l’élaboration des résultats démocratiques. Un engagement des citoyens pour un renouveau démocratique passe d’urgence par le soutien à la participation des plus jeunes.

Il faut par conséquent approfondir et soutenir les nouvelles formes d’engagement des jeunes et leurs prises de décisions citoyennes. Et ce, en favorisant des espaces de dialogue constructif, en encourageant la compréhension mutuelle, la solidarité et la paix. Il est vital de dégager avec eux des solutions politiques qui transcendent les intérêts étroits et servent le bien commun. Les associations devraient mieux partager leurs compétences en la matière, pour être plus fortes ensemble, pour former les personnes, préparer les agendas politiques et mieux connaître les sujets qui sont au cœur de la vie des citoyens. Une éducation pour donner des outils et de l’espoir est possible.

Jean-François Petit,
Assomptionniste

 

¹ theologie-catholille.fr/cribed
² www.cathyleblanc.fr

 


Donald Trump en campagne électorale à Sacramento, en Californie.
© akg-images / UIG / Visions of America/UIG

 

Jean-François Petit, docteur en philosophie, enseigne à la faculté de Philosophie de l’Institut catholique de Paris. Il a publié de nombreux ouvrages, dont : Michel Foucault et Michel de Certeau, le dialogue inachevé (Parole et silence, 2020) ; La crise moderniste revisitée (Karthala, 2019) ; La personne au secours de l’humain (Parole et silence, 2018).

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