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Expérience de Dieu - Revue N°94 - Septembre 2025

Avec les pauvres, se laisser déplacer spirituellement

Au service du diocèse de Rodez après avoir longtemps hésité sur sa voie, Anne Ferrand témoigne de son parcours et de ses combats. Un cheminement qui l’a conduite à participer, avec droit de vote, au récent Synode sur la synodalité.

46 ans, cela fait maintenant huit ans que je suis au service du diocèse de Rodez (Aveyron). Il m’a fallu du temps pour discerner ma place [lire encadré, ndlr]. En tant que célibataire consacrée dans un diocèse rural, depuis 2021, j’espérais une vie fraternelle, partagée au service de la mission. Mais celle-ci n’a pas d’espace pour être pensée ni inventée, sans doute parce que la préoccupation, tant du clergé que des chrétiens, est « d’avoir » des prêtres, et qu’une consécration féminine diocésaine « ne sert pas » selon les cadres en place...
Comme il y a, pour moi, une nécessité d’être avec les plus pauvres, j’ai rejoint la diaconie de Rodez et j’accompagne une fraternité de la Pierre d’angle¹ avec des personnes en grande précarité. Ce lieu me déplace spirituellement et me permet d’être à l’écoute de ceux dont la parole et l’expérience sont souvent disqualifiées dans la société et l’Église. Parallèlement, je me suis orientée, pour poursuivre mes études, vers la formation théologique universitaire en ligne Domuni² et vers les Facultés Loyola à Paris. Je chemine avec la chaire Jean Rodhain, spécialisée dans la théologie à l’école des plus pauvres, avec, entre autres, Étienne Grieu, François Odinet et Laure Blanchon.
Ces études de théologie me nourrissent. Depuis 2024, je prépare une Licence canonique de théologie, à l’écoute des pauvres et des souffrants. Une telle licence dure deux ans normalement mais, du fait du Synode sur la synodalité qui s’est tenu dans l’Église de 2021 à 2024, je ne finirai cette Licence canonique qu’en 2026. J’ai, en effet, été appelée par le pape François, comme membre du Synode romain, avec droit de vote.
Au cours de ces trois dernières années, j’ai beaucoup écouté, tant dans mon diocèse que durant le Synode, et je reste très
marquée par les cris de souffrance des pauvres, des personnes d’orientations sexuelles diverses, des femmes. Sans être féministe, on ne peut faire abstraction de la difficulté à parler de la place des femmes en Église ou des victimes d’abus de toutes sortes. Comme tant d’autres pauvres, elles répètent : « On ne nous écoute pas. » Les cris entendus viennent comme blesser le corps ecclésial, gêner le système en place, et nous obliger à être davantage fidèles à l’Évangile pour vivre dans une Église élargie, plus à l’écoute. Cette mise sur la table de tant de blessures indicibles m’a profondément ébranlée, et je me sens désormais en désir d’accueillir et d’accompagner, dans mon cheminement spirituel et dans ma vie ecclésiale.

Là où on n’est pas attendu

Rejoindre les pauvres, c’est certainement habiter en milieu rural, là où l’on n’est pas attendu et où il faut sans cesse trouver des lieux et des personnes avec qui se nourrir, partager. L’expérience synodale permet certainement de vivre quelque chose de cela en accueil réciproque. Ainsi, dans le cadre de ma mission de formation dans le diocèse de Rodez, nous avons organisé trois journées, en novembre, décembre et janvier derniers, pour déployer cette expérience, la relire, en saisir les enjeux et mettre en pratique la conversation dans l’Esprit³, avec l’aide de facilitateurs formés. Ce fut une expérience spirituelle extraordinaire ; elle nous a rendus témoins de quelque chose qui nous dépasse et nous pousse à davantage. Un nouveau champ s’est ouvert et nous avons goûté – au sens ignatien – à ce que l’on peut désirer pour notre Église : la confiance, la liberté et la joie.

Recueilli par Claire Lesegretain

¹ Inspiré par le père Joseph Wresinski, ce mouvement compte 36 fraternités en France – www.lapierredangle.eu

² Animée par les dominicains – www.domuni.eu

³ Méthode de discernement en groupe dans la prière, développée dans la spiritualité ignatienne, pratiquée pour les travaux du Synode sur la synodalité et encouragée par celui-ci.


Chercheuse de routes
« J’ai grandi dans un village aveyronnais, fille unique de parents engagés en Église, engagée moi-même au Mouvement eucharistique des jeunes. Ma mère était commerçante, puis éducatrice ; mon père était fonctionnaire, ouvert à l’international du fait de sa coopération en Côte d’Ivoire. À 24 ans, après trois ans comme professeur des écoles dans la campagne toulousaine, je suis partie de 2004 à 2007 avec la Délégation catholique pour la coopération à Lima (Pérou) comme éducatrice dans un collège intégrant des jeunes filles handicapées. Avec mes collègues péruviens, nous avons proposé pendant les week-ends et les vacances des espaces alternatifs autour de l’art et du sport. Pour prévenir la violence et l’exclusion, nous avons monté l’association Urpicha (« petite colombe » en quechua), qui est depuis vingt ans un témoignage d’espérance et de fidélité. Cette expérience fondatrice m’a montré combien l’Évangile se lit et se vit aux côtés des plus pauvres. Leur force d’espérance et de vie est un don pour nous.
À mon retour en France, j’ai enseigné douze ans dans le diocèse de Toulouse, tout en menant une recherche vocationnelle. J’ai expérimenté la vie religieuse jusqu’au noviciat, puis commencé des études de théologie à Toulouse. Je les ai interrompues au bout de deux ans, à 35 ans, pour partir à nouveau six mois au Pérou. Au retour, je me suis rendue disponible pour une mission d’Église. Et le diocèse de Rodez m’a appelée pour prendre en charge la formation permanente des adultes. »


Consacrée dans l’Ordo virginum. Anne Ferrand est laïque en mission ecclésiale dans le diocèse de Rodez, au service dela formation permanente et de la diaconie, étudiante en deuxième cycle aux Facultés Loyola Paris et membre de la XVIe Assemblée du Synode pour une Église synodale.




Le hameau de Vines, dans la commune de Cantoin est caractéristique de cet Aveyron rural que sert Anne Ferrand.
© Église catholique en Aveyron, photo : Pascal Fournier

 
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