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Expérience de Dieu - Revue N°93 - Mai 2025

« Le Seigneur m’a libéré de la drogue et de la délinquance ! »

Trafiquant de drogue dès l’âge de 16 ans, Rodrigue Tandu a vécu une conversion foudroyante à Paray-le-Monial. Aujourd’hui âgé de 45 ans, il contribue à rapprocher de grands patrons des caïds des cités désireux de changer de vie.

Depuis tout petit, j’ai été épargné. Je n’ai pas fait de prison alors que la plupart de mes « potes » en ont fait. Le Seigneur me préparait à une mission. J’ai perdu ma mère très tôt, à 7 mois, et j’avais la rage par rapport à cette injustice. Ça me rendait violent. J’avais pourtant reçu beaucoup d’affection de ma grand-mère paternelle, qui m’avait élevé.
À partir de la Seconde, au lycée de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), j’ai décroché et j’ai commencé à « zoner », puis à « dealer ». J’ai géré un point de vente de drogue, puis deux, puis plusieurs, et je suis parvenu à gagner jusqu’à 3 000 € par jour. J’ai goûté au pouvoir de l’argent : les femmes, les boîtes de nuit, les voitures que je conduisais sans permis dans la cité… Je suis devenu dépendant au shit [résine concentrée de cannabis, ndlr], à l’alcool, tout en étant en permanence sous tension. J’étais dans la violence. Deux fois, j’ai été placé en garde à vue puis inculpé pour coups et blessures.

Peur d’aller en prison

En 1999, trois laïques consacrées de la Communauté de l’Emmanuel se sont installées dans la cité. Je faisais tout pour les esquiver, jusqu’au jour où j’ai demandé à une sœur de prier avec moi, après une fête de la musique. Il y avait eu une bagarre violente et j’avais peur d’aller en prison, car il y avait eu un mort. Peu à peu, je me suis lié d’amitié avec sœur Claire. Elle me disait : « Rodrigue, change d’amis, tu changeras de vie ! »
À l’été 2002, elle m’a invité à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire) pour la session des jeunes de l’Emmanuel. C’était la campagne, je n’étais pas habitué. Il y avait plein de bourgeois ; tous étaient bienveillants, et ça m’a interpellé. À Bondy, en Seine-Saint-Denis, on ne peut pas être gentil ; si quelqu’un l’est, on se dit que c’est intéressé.
Dès le début de la session, il y a eu la procession du Saint-Sacrement. Je ne savais pas ce que c’était. Je me disais : « Ils prient une boule ! » Ça m’intriguait, car je sentais une grande force qui m’attirait, une douceur et un amour qui me saisissaient. Quand je me suis approché, j’ai commencé à « chialer » car je ne me sentais pas digne. Je me suis agenouillé et j’ai demandé pardon. J’ai d’abord cru que le shit me tournait la tête. Puis j’ai entendu une voix me dire : « Va chercher ce que tu as apporté et jette-le ! » Je suis allé chercher la provision de shit que j’avais apportée pour cinq jours et j’ai tout jeté. Depuis ce jour-là, je n’ai plus jamais touché à la drogue. Le Seigneur m’a libéré.

« J’ai trouvé une boule magique et on va être sauvés ! »

Je n’allais pas à la messe, je cherchais seulement l’adoration et la confession. Je croyais que j’étais devenu saint. Je pensais : « Je vais dire à mes “potes” que j’ai trouvé une boule magique et on va tous être sauvés ! »
Je suis revenu à Bondy en chantant des alléluias. Peu à peu, grâce à mes échanges avec sœur Claire, j’ai compris que c’était Jésus qui était venu me chercher. Je me suis rapproché de l’église de Bondy et de l’Emmanuel. Je n’étais plus en phase avec mes amis, alors je me suis éloigné d’eux. J’ai payé mes dettes et suis sorti de la délinquance. Je vivais de petits boulots. J’ai appris à me contenter de peu, à gérer la frustration du « tout, tout de suite ».

Sœur Claire m’a proposé de rejoindre l’École de charité et de mission (ECM) de la Communauté de l’Emmanuel¹ ; j’y ai rencontré des jeunes qui avaient fait de grandes écoles. J’ai suivi aussi le cycle du Curé d’Ars² pour réfléchir à une éventuelle vocation sacerdotale. C’est à Paray que j’ai trouvé ma vocation. J’ai entendu la voix me dire : « Rodrigue, ce n’est pas dans une église que je te veux, c’est dans la rue. Va, aime et pardonne. Va et relève les genoux affaiblis. » Le Seigneur, quand Il parle, on ne comprend pas bien, on Le reçoit… C’est après qu’on comprend. Sa parole est une parole vivante ; c’est au fur et à mesure qu’Il t’éclaire. Là où Il te veut, en fin de compte, tout est facile.
Ça a été facile pour moi d’entrer aux Apprentis d’Auteuil pour me former et devenir éducateur spécialisé. J’ai travaillé ensuite au Rocher³ pendant six ans, aux Mureaux puis à Paris. Je me suis rendu compte que les gens qui ont fait de grandes études, ils sont très forts intellectuellement, alors que nous, gens des quartiers, on a une intelligence relationnelle mais on pèche sur le plan de la méthode. Je me suis dit qu’il fallait mettre en contact des chefs d’entreprise et des caïds. C’est l’objectif de l’association Réseau des deux cités que j’ai cofondée il y a six ans avec des patrons de grands groupes : aider des centaines de jeunes des banlieues à faire une remise à niveau pendant trois ans, puis à se former en alternance et à changer radicalement de vie.

Recueilli par Claire Lesegretain

¹ L’ECM est ouverte aux 25-35 ans désireux de se former sur la foi. La formation se fait en cours du soir, avec quelques week-ends et une retraite à Rome.
² Cycle composé de quatre week-ends, d’une retraite de cinq jours et du Triduum pascal avec une équipe de prêtres et de laïcs pour aider à discerner et à poser des choix.
³ Fondée en 2001 par la Communauté de l’Emmanuel, l’association Le Rocher est aujourd’hui implantée dans neuf quartiers prioritaires : assolerocher.org

 

D’anciens caïds au service du bien commun
Dans son ouvrage De la cité de Bondy à la cité du Bon Dieu (Artège, 2024), Rodrigue Tandu explicite l’ambition de son association. Le Réseau des deux cités entend mettre au service de la société les réels talents que des jeunes des cités ont jusque-là déployés dans la délinquance :
« Ces jeunes caïds se forment aussi à un “leadership authentique” qui consiste à agir en conscience et qui suppose la volonté de déployer ses propres capacités d’action et de relation au service du bien commun, en sachant que ce bien commun commence par soi-même, par la transformation de soi-même et l’ouverture à l’autre. Le bien commun, c’est la recherche de ce qui est bon pour tous. Il faut sortir de cette position nombriliste, égoïste, individualiste, et se refuser à tout voir sous l’angle de l’intérêt. Pour moi, on ne peut être pleinement humain qu’en étant en relation, donc en société. Vivre en société n’est pas fait pour répondre à des intérêts mais pour devenir plus humain. On devient soi-même qu’en étant avec d’autres et en se rendant service les uns les autres. »


Les cités, un monde d’argent facile grâce aux trafics, mais où la gentillesse gratuite est inenvisageable.
© Abaca Press / Alamy Banque d’Images

 

Né en 1979 à Kinshasa, en République démocratique du Congo, Rodrigue Tandu est arrivé à 7 ans à Bondy. Il est marié et père de trois enfants. Son bureau pour le Réseau des deux cités est situé dans une tour du quartier d’affaires de La Défense (Hauts-de-Seine).

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