« Aider au discernement est l’un des meilleurs services que l’on puisse rendre »

Dans le cadre de notre partenariat, retrouvez l’intégralité de cet entretien dans le prochain numéro de Christus de janvier 2025 (revue-christus.com).

Vous vous êtes rendu à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire) dans le cadre du 350e anniversaire des apparitions du Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie Alacoque. Pourquoi ?

Père Arturo Sosa : La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus est vivante depuis longtemps dans la Compagnie de Jésus. Le rôle joué par saint Claude La Colombière¹ auprès de sainte Marguerite-Marie a renforcé cette dévotion dans la Compagnie. En 1688, six ans après la mort de La Colombière, sœur Marguerite-Marie a eu une vision finale dans laquelle le Seigneur confiait aux sœurs de la Visitation et aux jésuites la tâche de diffuser la compréhension du mystère du Sacré-Cœur. Lentement, l’idée qu’il s’agissait d’un appel du Seigneur et de l’Église a fait son chemin parmi les jésuites. En 1883, la 23e  Congrégation générale de la Compagnie a accepté cette mission ! Depuis lors, des centaines de jésuites et de communautés ignatiennes ont promu cette spiritualité.
C’est une dévotion qui aide à vivre l’intuition originelle d’Ignace de Loyola et de ses premiers compagnons lorsqu’ils insistèrent pour appeler leur communauté naissante « Compagnie de Jésus ». Elle représente bien le désir d’avoir Jésus Christ comme unique centre de vie, de s’enraciner dans son
amour comme source de fécondité apostolique. Personnellement, je bois à cette source depuis mon enfance, au collège San-Ignacio de Caracas et au sein de ma famille qui allait régulièrement communierles premiers vendredis et consacrait le mois de juin à la prière au Sacré-Cœur – ma mère s’appelait Margarita-Maria !

À Paray, vous avez renouvelé la consécration de la Compagnie au Sacré-Cœur de Jésus. Quel est le sens d’une telle consécration ?
A. S. : Consacrer la Compagnie au Cœur de Jésus, c’est demander la grâce que nous puissions toujours nous donner de tout notre cœur au Christ et contribuer à sa mission de réconciliation et de justice. Dans le cadre de l’année ignatienne de 2021-2022, j’avais renouvelé la consécration de la Compagnie au Cœur de Jésus lors de l’eucharistie de clôture à Loyola. Cela coïncidait avec le 50e anniversaire de la consécration faite en 1972 par mon prédécesseur, le père Pedro Arrupe ; à cette occasion, il avait rappelé que la spiritualité ignatienne se fonde sur la connaissance et l’amour profond de Jésus Christ, représenté dans son Cœur, et conduit à incarner cet amour au service de sa mission, avec une attention particulière aux plus démunis. Le renouvellement de la consécration au Cœur de Jésus en 2021 a souligné ce qui en était le fil conducteur : voir toutes choses nouvelles dans le Christ, comme l’a fait Ignace tout au long de sa vie. Le premier supérieur général à consacrer la Compagnie au Cœur de Jésus fut le père Pieter Jan Beckx, en 1872.

En quoi la figure de Claude La Colombière a-t-elle du sens aujourd’hui ?
A. S. : En 2019, nous avons reçu du pape François la mission d’incarner dans notre vie et dans nos apostolats les quatre Préférences apostoliques universelles qui, par mandat de la 36e Congrégation générale, sont le fruit d’un long processus de discernement de la Compagnie. La première de ces Préférences est d’« indiquer le chemin vers Dieu à travers les Exercices spirituels et le discernement ». Saint Claude La Colombière a été un compagnon spirituel efficace : sa contribution au discernement de l’authenticité des expériences mystiques de sainte Marguerite-Marie est un clair exemple de l’importance de cette dimension du charisme de la Compagnie. La manière dont ce saint a exercé ce ministère fait de lui une référence et un encouragement à se former à l’un des meilleurs services que l’on puisse rendre aujourd’hui. Il est très important d’avoir des personnes capables d’éclairer les processus de discernement avec la pénétration nécessaire dans un monde caractérisé par la superficialité, la surcharge d’informations, la prolifération de fausses nouvelles et les théories du complot. De tels accompagnateurs, capables de guider la pensée critique, la profondeur des réflexions et la recherche du sens, sont des forces remarquables pour la transformation personnelle et sociale.


© Province EOF
Le père Arturo Sosa à l’église Saint-Ignace de Paris, le 15 septembre 2024.


En France, la dévotion au Sacré-Cœur est un peu oubliée…
A. S. : Mais en Amérique latine, en Afrique et en Asie, elle est très vivante… Dans les pays où la Compagnie de Jésus est présente, l’objectif est de promouvoir le Réseau mondial de prière du pape² avec le Mouvement eucharistique des jeunes (MEJ), pour offrir une vie spirituelle personnelle qui engendre une disponibilité généreuse à la mission apostolique de l’Église. Le renouveau de cette dévotion, le « Chemin du Cœur »³, est proposé comme une spiritualité intégrale qui conduit à l’engagement apostolique.

En quoi la dévotion au Sacré-Cœur rejoint-elle la spiritualité ignatienne ?
A. S. : La spiritualité ignatienne est intensément affective. Elle conduit à tomber amoureux du Seigneur à travers une connaissance intime de sa Personne, une affection pour Celui qui s’est sacrifié pour nous donner une vie nouvelle. Le Cœur de Jésus est en harmonie avec notre cœur afin que nous puissions reconnaître sa présence et éveiller en nous l’envie de « servir Dieu en toute chose ». Ainsi, la spiritualité ignatienne, fondée sur l’amitié avec Jésus, conduit à un engagement apostolique, contribuant à la réparation de ce qui a été brisé par le péché, et invitant à s’engager dans la mission de réconciliation et de justice qui conduira à la transformation des relations avec les êtres humains, avec l’environnement et avec Dieu.


Bon nombre de laïcs qui vivent de l’esprit d’Ignace de Loyola sont déjà associés
à la diffusion de sa spiritualité. Comment pourraient-ils l’être davantage ?
A. S. : Il y a des laïcs vivant la spiritualité ignatienne dans 92 pays, à travers les groupes paroissiaux de l’Apostolat de la prière, le MEJ ou la Communauté de Vie Chrétienne (CVX). Les membres de CVX vivent la spiritualité ignatienne et la partagent dans leurs apostolats. Certains sont impliqués dans l’accompagnement des Exercices, dans la formation spirituelle et dans l’administration des centres spirituels accueillant des retraites. Dans différentes parties du monde, d’importantes initiatives ont été lancées pour la formation des laïcs à l’accompagnement des Exercices ignatiens sous leurs diverses formes. De là naissent diverses initiatives adaptées aux différents contextes culturels et sociaux.   


© Compagnie de Jésus / Don Doll sj
Supérieur général des jésuites, Arturo Sosa est également l’assistant ecclésiastique mondial de CVX.


Devrait-il y avoir davantage de laïcs vivant de la spiritualité ignatienne associés à la gouvernance de la Compagnie ?
S. : Il y a de plus en plus de laïcs vivant de la spiritualité ignatienne qui s’engagent dans des œuvres apostoliques ou des instances de coordination et de gouvernement de la Compagnie de Jésus. Les résultats sont prometteurs. La présence des laïcs dans le gouvernement apostolique de la Compagnie ouvre de nouvelles possibilités de croissance ou d’amélioration de la qualité des services rendus.

En France, il n’y a pratiquement plus aucun jésuite parmi les assistants régionaux ni parmi les accompagnateurs d’équipes locales CVX. Pourtant, dans d’autres pays, il y a toujours des jésuites accompagnateurs en CVX.  Comment l’expliquez-vous ?
A. S. : Il ne peut y avoir une explication générale… Reconnaissant le lien étroit qui a existé et qui continue d’exister entre la Compagnie de Jésus et CVX, il faut souligner, comme quelque chose de très positif, sa maturité en tant que mouvement laïc doté d’une autonomie pour développer son propre charisme et s’organiser au sein d’une Église de plus en plus laïque, comme le voulait le concile Vatican II. Une partie de la croissance de CVX s’est également produite dans des zones où la présence des jésuites est rare ou a diminué. Une conséquence de cette maturité est l’existence d’un plus grand nombre de laïcs, de prêtres diocésains ou de religieux et religieuses d’autres congrégations liés à la spiritualité ignatienne et formés pour accompagner les communautés locales (CL) en tant qu’assistants ecclésiastiques.
Comme vous le savez, je suis l’assistant ecclésiastique mondial de CVX, et j’ai le soutien d’un excellent vice-assistant, le père José de Pablo. Nous avons systématiquement promu la maturation de CVX en tant que mouvement laïc capable de trouver les meilleures conditions pour développer la vie chrétienne de ses membres. Nous avons repositionné le rôle des assistants ecclésiastiques de telle manière qu’ils contribuent efficacement à soutenir les fondements de la vie spirituelle et à accompagner sa croissance sans entrer dans des fonctions de direction, à aucun niveau de l’organisation de CVX. CVX est l’une des plus belles expériences de synodalité qui existent, et peut constituer le ferment du rêve de Vatican II d’une Église comme peuple de Dieu qui marche ensemble. C’est précisément ce que le pape François promeut avec force.

Recueilli par Thierry Anne sj et Claire Lesegretain
  ³ Itinéraire spirituel en neuf étapes créé en 2009 par le Réseau mondial de prière du pape, qui aide à se rendre disponible à la mission de compassion du Christ pour le monde.


Né en 1948 à Caracas (Venezuela), Arturo Sosa est entré en 1966 dans la Compagnie de Jésus. Après des études de théologie, puis de sciences politiques, il a enseigné. Provincial des jésuites du Venezuela de 1996 à 2004, il s’est opposé à la « tyrannie populaire » des présidents Chavez et Maduro. Il travaillait à la Maison générale des Jésuites à Rome lorsqu’en 2016, il a été élu supérieur général de la Compagnie – premier non-Européen à recevoir cette mission.   

Aller plus loin :
Les Préférences apostoliques universelles de la Compagnie de Jésus
Le dossier jésuites.com présentant le sens de cette visite, le programme, les institutions visitées et un récit de chaque journée