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Se relever, être relevé

Gildas Labey, philosophe, éclaire le sens de la Parole du Christ et de nos paroles humaines invitant à la résurrection. Elles sont à l’œuvre dans nos vies comme un ferment qui nous relève et éveille notre être au-delà de la mort. Tels les mots du père à son « fils prodigue ».

Gildas Labey, philosophe, éclaire le sens de la Parole du Christ et de nos paroles humaines invitant à la résurrection. Elles sont à l’œuvre dans nos vies comme un ferment qui nous relève et éveille notre être au-delà de la mort. Tels les mots du père à son « fils prodigue ».

La Résurrection peut-elle revêtir quelque sens puisque que nous savons ne rien pouvoir ultimement sur la mort ? En achevant leur vie, en la terminant et la détruisant, elle plonge les êtres dans l’irréversible absence. A-t-on jamais vu un mort réellement se relever, se réveiller, ressusciter, pour reprendre les significations du verbe d’origine. Ce terme même de résurrection permet-il de lire quelque chose en toute vie humaine ? Comment penser à nos morts dans cette optique ?

Sans doute avons-nous beau savoir, tous, que la mort est une indépassable limite, beaucoup ne consentent cependant pas à le croire, comme si d’elle-même la vie, se montrant perpétuellement naissante et renaissante, nous invitait à la croire absolument sans fin. Croire en l’inépuisable de la vie, ce serait délibérément se tenir dans une incessante ouverture aux possibles. Davantage encore : croire aussi bien qu’espérer sont deux figures inséparables du désir qui font de nous les vivants que nous sommes, toujours dans l’inachevé et la mort différée, comme si d’être et de se sentir vivant était déjà une victoire sur la mort.

Ces pensées semblent proches de l’idée de résurrection. En vérité elles en sont encore éloignées. Car la résurrection ne signifie pas la perpétuelle renaissance de la vie en général, ni la mort éludée. Et si la vie surabonde après notre mort, ce n’est plus notre vie.

C’est que la Résurrection est d’abord donnée comme un événement dans une histoire personnelle et singulière, celle de Jésus le Christ « … qui a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, a été enseveli, est descendu aux enfers, le troisième jour, est ressuscité des morts… ».

À vrai dire nul besoin d’en dire beaucoup plus pour que déjà quelque chose de ce langage vienne nous habiter, commençant d’éclairer symboliquement des situations d’existence réelles ou possibles.  Que ces mots indiquent-ils sinon que pour se « relever », ou pour être « relevé », il faut être tombé, avoir chuté dans l’en-bas, jusque dans l’enfer de la souffrance et de la douleur, des temps et des lieux de désespérance et de solitude et d’égarement, dans l’enfer des violences subies ou provoquées où l’humanité perd jusqu’à son humanité, jusqu’à sa vie ? Nous pressentons alors ce que ressusciter peut signifier : sortir de l’enfer, s’arracher à tout ce qui nous laissait comme morts, voulait notre mort, se relever, souvent avoir été relevés par un autre descendu à notre rencontre, non pas seulement retrouver vie, mais vivre de façon nouvelle, plus vivante encore peut-être, instruits par le feu de l’épreuve. Reprenant, dans la parabole dite de L’enfant prodigue[1] que l’on peut lire comme une véritable parabole de la résurrection – les mots du père à propos du fils qui s’était lui-même relevé de sa détresse, nous pourrions dire : « Nous étions perdus et nous sommes (re)trouvés ; nous étions morts et nous vivons. »

On objectera qu’il ne faut pas avoir été effectivement mort pour revivre ou ressusciter en ce sens. Les textes sur la Résurrection de Jésus le Christ nous donnent-ils à lire quelque chose que nous ignorons encore ? Des femmes viennent au tombeau, pour oindre son corps, pleurer sa mort. Or voici qu’au lieu de trouver le corps elles rencontrent un messager. La Résurrection est rigoureusement signifiée par cette substitution : à la place du corps manquant, un message adressé, destiné à être communiqué à d’autres : « N’ayez pas peur ! Je sais bien que vous cherchez Jésus le Crucifié. Il n’est pas ici, car il est ressuscité (il est relevé, il est réveillé) comme il l’avait dit » (Mt 28, 5). 

On peut tenir le contenu de ce message pour une fable. Mais qui ne voit que le fait même de substituer une parole à la mort n’est pas pour dire que la mort n’est rien, ni apparente, mais qu’elle n’a pas le dernier mot ?

En lieu et place du corps absent, à jamais pris dans le mutisme de la mort, une parole ressuscite, re-suscite, relève et réveille l’être. Le voici présent dans une parole, présent comme parole, manifesté dans un échange, une communication qui peuvent désormais se transmettre pendant une éternité de vie. La joie qui peu à peu se lève dans le cœur des disciples se reconnaissant au nom de ce Jésus dit ressuscité n’est pas sans rapport avec celle que toute humanité éprouve dans la plus humble conversation, « merveille des merveilles »[2] quand s’y exprime une reconnaissance mutuelle, vérifiant par là qu’on ne vit pas seulement de pain mais de toute Parole.

Ainsi en va-t-il pour nos morts. Il nous en coûte, ô combien !, d’accéder à leur présence sans jamais plus les voir, les entendre, les toucher, les étreindre. Mais déjà lorsque nous les veillons, alors qu’ils sont là, gisant sous nos yeux, et que la mort est passée, nous nous mettons à parler d’eux, pleurs et rires mêlés. Et s’il est vrai que désormais « leur vie est passée dans la nôtre » [3] , alors oui, ils vivent en nous et nous en eux, dans une intimité où, ne pouvant plus les regarder de l’extérieur, nous les « voyons » sans doute en vérité, par-delà les représentations de l’imagination et de la mémoire.

Sans âge maintenant, ils sont ressuscités et ressuscitent toutes les fois que nous les
évoquons, leur redonnant souffle par notre voix, conversant à leur sujet. Ils sont alors ceux au nom desquels la fraction d’une parole nous réunit en chemin dans le même temps où, « le cœur brûlant en nous » (Lc 24,32) tels les marcheurs d’Emmaüs, autour d’une table, nous faisons halte pour la fraction du pain.


Gildas Labey
 
[1] Luc 15,11-32
[2] Emmanuel Lévinas.
[3] Rainer-Maria Rilke.

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