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Que faire après les abus ?
Le raz-de-marée des révélations d’abus sexuels dans l’Église et dans la société a profondément ébranlé nos repères, les relations hommes-femmes, adultes-enfants, clercs-laïcs. Pouvons-nous en sortir ?
Le raz-de-marée des révélations d’abus sexuels dans l’Église et dans la société a profondément ébranlé nos repères, les relations hommes-femmes, adultes-enfants, clercs-laïcs. Pouvons-nous en sortir ?Il fut un temps où l’on faisait confiance. Je n’arrive même plus à me souvenir comment cela était. Petite fille, j’allais me confesser, et c’était normal que l’on ferme la porte puisqu’il s’agissait de mon intimité. Maintenant, il faut une vitre pour que le prêtre et l’enfant restent visibles en permanence et se sentent protégés. Mais ce n’est pas facile de se mettre à genou, de parler, de pleurer derrière une vitre !
Tous les jours, on entend un nouveau récit d’agressions sexuelles : après les frères Philippe et Jean Vanier, puis l’abbé Pierre – pour ne parler que des plus médiatiques –, c’est maintenant l’institut Bétharram, le Dr Le Scouarnec et Gérard Depardieu… Sans oublier tout ce qui reste encore au-dessous du seuil du dicible : les abus sexuels dans les familles et ceux commis par des femmes. Ces faits sont encore tellement difficiles à entendre que l’on n’en parle pas. Pourtant, les personnes victimes sont bien là, je peux en attester.
Certes, de tels abus sexuels ont toujours existé. Ce sont les révélations qui sont nouvelles, l’attention qui est portée à ces situations, et surtout la capacité que nous avons de rapporter les dommages sur les victimes et leurs souffrances à leur cause, c’est-à-dire à l’agression sexuelle. Si ces actes n’avaient pas de conséquences, ne faisaient pas basculer des vies dans l’inconnu des traumatismes, des reviviscences, des dissociations, on n’aurait pas besoin d’en parler. Mais pour les personnes victimes, il y aura toujours un avant et un après.
Ailleurs, des femmes subissent des viols, des petites filles sont mariées de force, des enfants assistent à des scènes atroces… La sexualité, qui doit être douceur et jouissance de l’amour, est aussi expression d’un instinct dominateur ou pervers, une arme de guerre.
Autrefois, on faisait attention à ne pas se promener la nuit dans certains quartiers par peur de se faire agresser. Aujourd’hui, les femmes revendiquent de pouvoir vivre sans contraintes et d’être respectées. Notre génération marche sur trois pattes qui ne s’harmonisent pas : le désir individuel de faire ce que l’on veut quand on veut, sans restriction ; le souhait du statu quo ; enfin, la prise en considération des effets délétères et parfois meurtriers des abus sexuels et de pouvoir. En ce qui concerne la relation aux enfants, nous mettons en place un cadre ultra-réglementé qui peut nuire à la spontanéité des rencontres, tandis que les statistiques à propos du nombre d’enfants et d’adolescents qui consultent des sites de pornographie sont effrayantes.
Quant aux prêtres, on ne leur fait plus d’emblée confiance ; les fidèles les ont descendus de leur piédestal, et certains ont même cessé de fréquenter les sacrements. Dans l’Église, tous sont discrédités à cause des failles de la hiérarchie. En même temps, la recherche de spiritualité, qui existe réellement, peut prendre des formes diverses qui n’évitent pas les risques d’abus et de dérives parfois graves.
Des prédateurs
Les abus sexuels sont massivement – mais non exclusivement – le fait de prédateurs masculins et d’hommes atteints de paraphilie (c’est-à-dire qu’ils ont une pratique sexuelle qui diffère des actes considérés comme normaux, ou éprouvent une attirance sexuelle considérée comme anormale). Pour autant, doit-on avoir pour objectif une « féminisation » de la société ? Il a fallu hurler avec les brebis blessées et abandonnées. Seuls les journalistes ont réussi à faire entendre le cri de ces personnes victimes. Le phénomène international MeToo, les collectifs de personnes victimes, les récits témoignages se sont dressés, tels les étendards d’une nouvelle génération qui n’accepte plus les tapes sur les fesses, les propos scabreux, la « promotion canapé », l’utilisation des enfants comme objets sexuels, les « petites gâteries » aux prêtres pour qu’ils réussissent mieux leur mission… Le silence sur ces faits, maintenu pendant des décennies, a favorisé la mise en place de ces forfaitures et a considérablement aggravé les dommages aux personnes.Il semble que, désormais, trois voies sont ouvertes devant la société actuelle. La première consiste à s’affranchir de toutes les limites, de tous les repères ; la seconde revient à rêver d’un bien-être où abonde le déni ; la troisième serait de s’enfermer dans la désespérance de l’homme corrompu. Pourra-t-on dépasser ces trois voies ?
La science aborde mieux la prise en charge des auteurs de violence sexuelle et celle des personnes victimes. On apprend à mieux repérer certains signaux, tant chez les potentiels abuseurs que chez les personnes victimes. La notion de consentement libre et éclairé progresse. La société tend ainsi vers un plus grand respect de la dignité des femmes, une meilleure protection des enfants et des personnes vulnérables. Dans l’Église, la prise de conscience de la nécessité de faire contrôler et aider par des personnes réellement compétentes, et qui ne soient pas juges et parties, commence à faire son chemin. Une fois la confiance retrouvée, on pourra réamorcer l’annonce joyeuse du Salut, qui a été partiellement engloutie par les immondices des abus sexuels et spirituels.
Isabelle Chartier Siben
C’est à dire Web, association d’aide aux victimes d’abus physiques, psychiques et spirituels. cestadireweb.org
Médecin, psychothérapeute et victimologue, Isabelle Chartier Siben accompagne depuis plus de trente ans des personnes victimes et est experte auprès des instances civiles et religieuses en France et à l’étranger. Présidente de C’est à dire web, une association d’aide aux victimes d’abus (cestadireweb.org), elle est l’auteur de 3 jours dans la nuit. Carnet d’une victimologue au cœur des abus, éd. Emmanuel, 2024.

Le 5 octobre 2021, Jean-Marc Sauvé, président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), remet son rapport à Mgr Éric de Moulin-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France.
© image KTO



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