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Prier près de celui qui est éprouvé
Les récits évangéliques ne cessent de montrer la tendresse du Christ envers les personnes et les foules. Là est la source de la prière de compassion pour les personnes éprouvées, qui diffère de la prière d’intercession.
Les récits évangéliques ne cessent de montrer la tendresse du Christ envers les personnes et les foules. Là est la source de la prière de compassion pour les personnes éprouvées, qui diffère de la prière d’intercession.
Il est habituel de distinguer plusieurs sortes de prières, telles que l’action de grâces, la demande de pardon ou l’intercession pour autrui. Il existe aussi une forme spécifique de prière que l’on peut désigner par les mots « prière de compassion ».
Compatir signifie, mot à mot, « souffrir avec ». Dans l’expérience humaine, la compassion désigne l’attitude qui consiste non seulement à se tenir en présence d’une personne fragile, blessée, atteinte dans son corps ou dans son esprit, mais à se laisser soi-même toucher par son épreuve et, s’il est possible, à lui apporter réconfort et secours. Elle peut aussi s’exercer vis-à-vis d’un groupe ou d’une population victime de l’injustice, de la guerre ou de tout autre fléau. Or, la prière peut être elle-même une forme de compassion.
Abraham implore
Certains textes de l’Écriture sainte suggèrent bien une telle prière. C’est le cas, par exemple, dans l’épisode où Abraham implore le Seigneur à propos de Sodome : « Vas-tu vraiment supprimer cette cité ? Ou lui pardonner à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? » (Gn 18,24). De même encore, lorsque le psalmiste supplie Dieu pour les membres les plus éprouvés de son peuple : « Ne livre pas à la bête la gorge de ta tourterelle, n’oublie pas sans fin la vie des tiens dans le malheur […]. Que l’opprimé ne soit plus déshonoré, que le pauvre et le malheureux louent ton nom ! » (Ps 73,19.21). Comment ne pas deviner, en amont de ces demandes, la compassion du psalmiste, bouleversé par le malheur de ses frères et qui implore son Seigneur de leur venir en aide ?
Jésus lui-même a connu la prière de compassion. On le devine à travers certains épisodes de son ministère : Jésus est « saisi de compassion » devant tant d’hommes et de femmes qui sont « comme des brebis sans berger » (Mt 9,36), ou en présence d’une foule affamée (Mt 15,32), ou devant les deux aveugles de Jéricho (Mt 20,34), ou encore devant la veuve de Naïn qui a perdu son fils unique (Lc 7,13)… Ne peut-on alors penser que cette compassion a d’abord tenu une très grande place dans sa prière elle-même ?
Une immense compassion envers ses disciples
Et si, dans l’Évangile de Jean, avant que Lazare sorte de son tombeau, Jésus rend grâce à son Père de L’avoir exaucé (Jn 11,41), n’est-ce pas justement parce que, par compassion, Il avait demandé à son Père de rendre la vie à son ami défunt ? Dans ce même Évangile, en tout cas, la longue prière qui suit le discours après la Cène présuppose une immense compassion de Jésus envers ses disciples et tous ceux qui croiront en Lui : « Lorsque j’étais avec eux, je les gardais en ton nom que Tu m’as donné ; je les ai protégés […]. Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont Tu m’as aimé soit en eux, et moi en eux » (Jn 17,12.26).
Surtout, l’Évangile de Luc rapporte cette parole de Jésus à l’heure de la Croix : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). La compassion de Jésus s’exerce ainsi à l’égard de ceux-là mêmes qui L’ont crucifié. Et dans l’épître aux Hébreux, saint Paul commente : « Nous n’avons pas un grand-prêtre incapable de compatir à nos souffrances » (He 4,15), mais le Christ lui-même a manifesté sa compassion envers ceux qui s’approchent de Lui, et « Il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur » (He 7,25).
La prière de compassion est proche de l’intercession, dans la mesure où elle conduit souvent à formuler telle ou telle demande ; elle s’en distingue cependant, car elle désigne l’expérience même de se sentir proche d’autrui au point d’être affecté par son épreuve et de le présenter humblement à Dieu. Témoigner, dans la prière, de la compassion pour des personnes atteintes par le malheur, ce n’est point se substituer à elles. Mais c’est manifester que l’on est soi-même atteint d’une manière ou d’une autre par leur épreuve, et que l’on peut même en souffrir. C’est attendre et demander que Dieu puisse leur offrir d’être délivrées de leurs maux ou, tout au moins, soutenues et fortifiées. C’est laisser se creuser, en soi-même, le désir de leur apporter l’aide nécessaire, fût-ce par une simple présence à leurs côtés.
La prière de compassion peut se nourrir tout particulièrement d’un regard sur les saints : un François d’Assise, dont la compassion ne s’étendait pas seulement à ses frères humains mais à toutes les créatures ; une Thérèse de l’Enfant-Jésus qui, dans la solitude de son carmel, portait le souci des plus grands pécheurs et priait pour qu’ils se convertissent ; ou plus que tout la Vierge Marie, justement désignée comme Notre-Dame de Compassion, car elle compatit avec l’humanité souffrante et ne cesse de présenter cette humanité à son Fils, en sorte qu’il est possible de se tourner chaque jour vers elle et de lui dire avec les mots de l’Ave Maria : « Priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. »
Michel Fédou sj,
Facultés Loyola Paris

Légende photo : La compassion envers les personnes qui souffrent prend sa source dans l’attitude du Christ, profondément ému par les malades, les brebis sans berger, et même ses bourreaux.
© Pascal Deloche / Godong
Entré à la Compagnie de Jésus après une agrégation de lettres classiques, Michel Fédou a été ordonné prêtre en 1984. Docteur en théologie, il a consacré sa vie à l’enseignement et à la recherche en patristique et dogmatique, tout en s’engageant dans le dialogue œcuménique. Professeur émérite aux Facultés Loyola Paris, il a reçu le prix Ratzinger en 2022.