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Julien Lambert

Prier en marchant, avec les créatures

Vivre une marche contemplative, d’un jour ou d’une semaine, dans la nature, peut être l’occasion d’une démarche de conversion écologique à la lumière de Laudato Si’. Ouvrir ses cinq sens pour GOUTER la plénitude de vie que nous offre la Création, se laisser interpeller par elle et vivre sobrement, c’est une prière…


Se reposer des villes, se réinscrire de tout notre être dans la Création : c’est une prière, un acte de conversion en soi. Dépasser peur et culpabilisation, pour se laisser plutôt transformer à partir de la gratitude envers cette plénitude de vie retrouvée sous le vaste ciel.

Une minute de théologie écolo

S’offrir le plaisir trop évident de quitter la ville, de marcher dans de beaux paysages, peut se conjuguer avec les impératifs de conversion écologique les plus sérieux. Cette conviction « politique » tient à l’expérience d’un lien à Dieu dans la prière redécouvert au cœur de la nature.
« Tout est lié » comme dit Laudato Si’ : le changement courageux de nos styles de vie dépend autant d’une compassion ressentie pour la Création en souffrance, que d’une foi libératrice dans le fait que nos efforts de colibris se transforment en réponse adéquate à ce défi titanesque. Or le Dieu des miracles discrets, qui seul permet cette germination et réalimente nos espoirs d’avenir, se réapprend Lui-même dans le foisonnement sacré de la nature ; une splendeur devant laquelle nos cœurs citadins se sont insen- sibilisés, devenus étrangers… pratiquement athées.

Se faire du bien pour faire du bien

Qu’on s’offre une journée de solitude ou une semaine de retraite, qu’on se laisse guider par les surprises du chemin ou par un texte biblique ou de Laudato Si’, il ne s’agit pas tant de se « recueillir » que d’accueillir le trésor déjà-là, la pléthore inaperçue de « mots d’amour » cachés entre brins d’herbes, feuillages et nuages… avec un cœur de pauvre, toutes préoccupations urbaines laissées au vestiaire.

Poser les bagages, lâcher d’abord les armes, même celles du noble combat écologique, pour nous rappeler que la nature – et Dieu ! –, avant de devoir être secourue, nous constitue et nous comble. La prière se résume d’abord aux retrouvailles avec notre corps en mouvement, ses articulations, notre peau caressée par le vent. La conversion commence ici : en redécouvrant les satisfactions simples offertes par l’air, l’eau et la terre, gérer mes propres énergies (psychiques aussi) m’évite de compenser épuisements et frustrations par une boulimie d’écrans, de sucre ou d’achats pulsionnels.

Sentir autrui souffrant

Le changement de conscience s’opère à travers cette ouverture des sens : l’« environnement » inerte redevient création frémissante, de maîtres nous redevenons des hôtes. Ni tourisme ni bien-être pour autant : la marche nous fait aussi voir notre sœur nature blessée, asphyxiée par notre « civilisation ». Le poids de nos trains de vie, sur les humains et les écosystèmes à l’autre bout du monde, connu par les médias, peut descendre de la tête au cœur. Se sentir émotionnellement solidaire avec ces inconnus qui souffrent – le souffle seul qui nous relie en exerce la conscience – : un déclic décisif pour désirer changer, même modestement. Notre compassion est d’abord engourdie, nous refoulons tant d’inquiétudes : une méditation sensorielle nous aidera ; l’air de rien d’abord, se surprendre à em- brasser une écorce, caresser une mousse, délacer nos chaussures et sentir la terre sous nos pieds. Une affection réincarnée pour le monde peut alors libérer des larmes d’enfant devant tant de beauté oubliée, réveiller la sève printanière d’une fureur de vivre et d’agir, un cri de dépit sincère aussi… Peur, rage et impuissance devant les désastres écologiques, qu’il est aussi bon d’exprimer : de là renaît une pure prière qui tutoie Dieu. Dans le silence, les mots lentement sédimentés, qui ont du poids, sèment les graines d’une relation neuve, à Celui qui nous relève nous donne forces et idées.

Alors, comment prier concrètement ?

En lâchant méthodes et longs textes, en réouvrant d’abord notre attention à la vie qui est là, à la nature qui parle à nos émo- tions. Respirer, écouter au fond du silence. Percevoir toujours moins de choses, toujours mieux.

En forêt comme en ville, marcher lentement « à l’affût », guidé par ce qui m’interpelle ; rester comme devant un buisson a dent, ne pas interpréter mais laisser venir à moi ce qui se dit là, pour moi.
Je peux humblement me mettre à la place d’un animal ou d’un arbre, découvrir de l’intérieur la dignité de cette vie autre, lente, sobre et discrète.

Puis les mots peuvent s’épanouir : le Dieu de Job me déplacer avec « Où étais-tu quand je fondai la terre? » (Job 38,4), Jésus me faire voir l’insouciance des « oiseaux du ciel et des lys » (Matthieu 6), les créatures bénir Dieu dans leur langue (Daniel 3, Psaume 148) ou gémir avec les opprimés (Romains 8,22, Psaume 22), s’éclairer les liens secrets entre les êtres et moi (Laudato Si’ n° 89, 92, 228…).
 
Julien Lambert s.j.
 
Crédit photo: © Lia Antico

 






 

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