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Jean François

Parler de soi en communauté locale

Évoquer sa vie personnelle devant une petite assemblée, lors d’une réunion, est un exercice délicat, qui met en jeu la pudeur, la confiance. Il se heurte souvent à deux écueils : l’excès de parole, la généralisation. Comment parler de soi ?



Pas de communauté locale (CL) qui n’ait expérimenté l’une de ces deux dérives lors d’un tour de table consacré au partage personnel. La première est l’excès de parole, attaché à chaque détail d’une situation, qui se vit souvent sous forme de compte rendu linéaire, visant l’exhaustivité. On pourrait l’appeler la logorrhée ou déferlement de langage. Je dis tout, sans choisir. Pour la seconde, à l’inverse, la tendance est à masquer son propos derrière une apparence impersonnelle. On pourrait, cette fois, parler de généralisation, de témoignage désincarné. Je ne dis rien de moi en me fondant dans un grand tout.

Dans les deux cas, est oublié le grand principe de la spiritualité ignatienne : le discernement. Nous sommes des chercheurs de signes. Nous essayons de repérer l’Esprit à l’œuvre dans le monde et en nous-mêmes. Cet Esprit au travail est aussi en travail. Il fait naître chez nous des mouvements, des conversions, parfois des ruptures. Restituer cette observation, lors d’un partage en CL, nécessite à la fois un effort de sélection (ce sentiment, cet acte, cet événement plutôt qu’un autre) et un effort d’illustration (un lieu, un moment, un prénom). à ces conditions, ma relecture peut être un aliment pour la réflexion et la prière de l’autre. Elles se manifestent d’autant mieux que mon intervention est – avant la réunion – méditée et préparée, notamment par écrit.

Comment éviter la logorrhée ? En ayant conscience de ce qu’un partage n’est pas: un autoportrait, une confession, une psychanalyse. Il nécessite, même si tout peut théoriquement se dire, une part de discrétion, d’humilité consistant à prendre conscience que tout n’est pas au même niveau d’intérêt. La confusion peut par exemple, s’installer entre mouvements psychologiques et mouvements spirituels. Le risque est grand, également, de placer sur le même plan les faits (ce qui m’arrive) et l’effet (ce qu’ils produisent). Tout exprimer ou trop exprimer revient à se décharger sur les autres du discernement qu’on n'a pas eu le temps ou la patience de faire. Mais en livrant un tableau saturé de soi-même, on rend la tâche très difficile à ses compagnons. Plutôt qu’en vrac, mieux vaut se proposer au détail…
 
Comment éviter la généralisation ? Il s’agit là encore, d’un travail sur soi. Cette tendance peut exprimer une forme de paresse, un manque de confiance dans ceux qui m’écoutent ou encore une pudeur. Elle peut aussi refléter une dépréciation : « Je ne suis pas intéressant », la banalité de ma vie ne recèle rien qui fasse sens. Étaient-ils extraordinaires, les pêcheurs choisis par le Christ comme disciples ? La Samaritaine, Zachée, le centurion romain ? L’Évangile nous apprend que toute histoire d’homme est sacrée, levain du Royaume. Ignace nous encourage, dans la prière biblique ou d’alliance, à nous ancrer dans le concret, le factuel. Parler de ma gêne devant les SDF n’a pas de réalité si je ne cite pas celui-ci, ses habits, son recoin, son regard et cette peine ou ce froid qui m’ont saisi à ce moment précis.

Parler de soi devant les autres est un risque. Il implique, sans être impudique, de vaincre une pudeur. Mais comment recevoir de l’autre si l’on n’a pas donné de soi ?

 
Jean François

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