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L’Ancien Testament promeut-il la violence ?

Du meurtre d’Abel par Caïn à la guerre des Maccabées, que de crimes et de batailles dans l’Ancien Testament ! Comment trouver le visage d’un Dieu bon dans ces textes écrits par des hommes, mettant des mots sur des réalités humaines ? Quelques clés.

Du meurtre d’Abel par Caïn à la guerre des Maccabées, que de crimes et de batailles dans l’Ancien Testament ! Comment trouver le visage d’un Dieu bon dans ces textes écrits par des hommes, mettant des mots sur des réalités humaines ? Quelques clés.

Les premières pages de la Bible font assister au meurtre d’Abel par son frère Caïn (Gn 4). Ce meurtre initial se prolonge par une corruption générale de la Création, qui conduit au Déluge (Gn 6–9). L’humanité qui se relève de la catastrophe n’est pas pour autant purifiée de la violence que l’on aurait souhaité voir engloutie. Les patriarches s’engagent dans diverses guerres, mais ce sont surtout les violences intrafamiliales qui sont frappantes. Ses frères préfèrent vendre Joseph plutôt que de le tuer, uniquement parce que l’opération sera plus rentable (Gn 37). Plus tard, il est à peine besoin de mentionner les multiples combats contre les Amalécites, les Philistins, les Ammonites, les Moabites ou les Édomites, qui semblent, page après page, dresser le portrait d’un Dieu violent. Ces passages ont de quoi éveiller chez le lecteur un soupçon : la Bible n’encouragerait-elle pas la violence ?

Une manière trop facile de s’en tirer consiste à s’engager dans le chemin de l’hérésie de Marcion. Au milieu du IIᵉ siècle, celui-ci proposait de distinguer radicalement entre le Dieu violent de l’Ancien Testament, ensemble de textes qu’il refusait d’admettre parmi les Écritures inspirées, et le Dieu d’amour de l’Évangile manifesté en Jésus Christ. Mais Marcion a été condamné : son approche revient à priver les Écritures de leurs racines et à se rendre incapable d’accueillir le salut en Jésus Christ. La généalogie même de Jésus, telle qu’elle apparaît dans les premiers versets de l’Évangile de Matthieu (Mt 1,1–17), le présente comme le descendant de belles et grandes figures, mais aussi de meurtriers, de menteurs et d’adultères.

La question de la violence, comme toutes les questions autour du mal et de la souffrance, rejoint chacun dans son existence, d’une manière très concrète et qui ne peut pas accepter de solutions faciles. Pour ouvrir un chemin de réflexion, on peut partir d’un premier constat : la Bible ne se lit pas d’abord comme un livre de morale. Certes, on y trouve les Dix Commandements et bien d’autres textes qui donnent des indications précises sur la conduite à tenir, mais ce n’est pas d’abord cela qui compte. La Bible n’est ni un code de lois, ni un recueil de préceptes, ni une compilation d’affirmations à croire. Elle est d’abord une histoire. Une histoire qui va de la Création jusqu’à la fin des temps, de l’appel d’Abraham à la proclamation universelle de l’Évangile, du péché à la Rédemption. Une histoire qui contient de la violence – les histoires apparemment sans violence étant souvent des histoires où la violence est cachée, niée ou refoulée.

La Bible n’est pas un livre de morale

La Bible n’est pas un livre de morale, et c’est peut-être pourquoi, dans une grande majorité des cas, il n’y a pas de leçon de morale à en tirer, ou du moins pas directement. David est un bon roi, le grand roi d’Israël, en comparaison duquel les autres rois sont évalués et auquel est promise la royauté de génération en génération jusqu’à la venue du Messie parmi ses fils. Pourtant, David commet l’adultère avec la femme de l’un de ses soldats, Urie. À force de mensonges et de manipulations, il parvient à faire tuer ce valeureux soldat puis, sans scrupules, épouse sa veuve (2Sa 11). Le fait que cette histoire se trouve dans les Écritures saintes est-il une invitation à imiter cette conduite ? Certainement pas. Le lecteur est-il sommé de condamner David ? Peut-être pas non plus. L’histoire est livrée au lecteur afin qu’il puisse réfléchir.

Peut-être doit-il reconnaître dans sa propre vie les mécanismes, les pensées ou les mouvements du cœur qui l’identifient à David. Peut-être doit-il se regarder lui-même à travers cette histoire, de la même manière que David lui-même s’est regardé à travers la fable que le prophète Nathan lui a présentée après son péché – l’histoire d’un riche volant la brebis d’un pauvre – pour le faire réfléchir et lui faire prendre conscience de la gravité de son acte (2Sa 12). Le parcours de David se présente au lecteur comme un miroir dans lequel celui-ci doit reconnaître – et c’est bien sa responsabilité – ce qui constitue sa propre vie, et peut-être sa propre violence.

Certes, la Bible contient de la violence, elle en contient même beaucoup. Mais elle ne contient pas que de la violence, et l’on peut trouver de nombreux contre-exemples. En fait, elle contient de la violence parce qu’elle est une parole humaine, dite par des hommes qui mettent des mots sur les réalités humaines. Bien sûr, la Bible n’est pas que ça. Elle est également la parole de Dieu, inspirée par l’Esprit Saint, et contient ce que Dieu veut dire aux êtres humains. C’est le mystère de ce livre : il est parole de Dieu et il est parole de l’homme (cf. Vatican II, constitution dogmatique Dei Verbum, no 12). Il est une parole de Dieu qui se révèle à l’intérieur d’une parole d’homme, une histoire humaine.

La Bible, et c’est particulièrement vrai de l’Ancien Testament, est donc le livre d’une histoire humaine, d’un peuple qui est certes le peuple de Dieu, mais qui n’en est pas moins humain. Raconter son cheminement ne conduit pas nécessairement à minimiser la violence qu’il contient. De même que les films par lesquels les réalisateurs racontent notre existence présentent un niveau de violence plutôt plus élevé que le niveau de violence réel de notre société, la Bible est racontée par des hommes du peuple d’Israël, inspirés par Dieu, qui donnent à voir la violence à l’œuvre entre les hommes et entre les peuples. Et peut-être ont-ils eu tendance à exagérer cette violence : se peut-il réellement que tous les Égyptiens aient été engloutis dans la mer Rouge (Ex 14,28) ? que le prophète Élie ait massacré sauvagement les 450 prophètes de Baal (1R 18,40) ?

Comment alors tirer parti de la lecture de la Bible comme « parole humaine » et accepter d’y lire des passages violents ? La première réponse, qui pourra paraître trop simple, voire naïve, est celle du « bon sens ». Le concile Vatican II invite les lecteurs à se laisser inspirer par le même Esprit qui permit de rédiger les Écritures (Dei Verbum, no 12). Le lecteur, même peu expérimenté dans la lecture des textes saints, pourra faire confiance à son intuition ou à son bon sens : Dieu « veut-Il » la mort de quelqu’un ? Certainement pas. Celui qui a dit par Moïse « Tu ne tueras pas » (Ex 20,13) peut-Il en même temps vouloir des guerres sanguinaires ? Ce n’est pas possible. Il est vrai que, souvent, le bon sens indique que telle compréhension d’un passage n’est pas possible sans pour autant indiquer ce qu’il s’agirait de comprendre. Il est cependant une première boussole particulièrement utile.

Plus profondément, lire la Bible comme une « parole humaine », en particulier pour ce qui concerne la violence qu’elle contient, peut aider à « faire sortir » cette violence de notre humanité. Un peu comme un film violent devrait avoir pour but d’« exprimer » la violence sans y conduire, à plus forte raison, la Bible vient « mettre des mots » sur la violence qui habite notre cœur et nos sociétés. Peut-être qu’en mettant des mots sur ces mécanismes profonds, elle permet de les reconnaître à l’œuvre et de les tenir à distance. Et peut-être qu’ainsi, elle permet progressivement de s’en éloigner.

Il peut paraître alors cohérent de considérer que la Bible, parole de Dieu et parole de l’homme, vient nommer la violence, afin qu’une fois nommée, cette violence commence à tracer dans le cœur des lecteurs le chemin qui permettra de la contourner, et même de la résorber.

Alain de Boudemange

 


David, ici encore jeune musicien devant son prédécesseur Saül (Rembrandt, 1654), sera à la fois le plus grand roi d’Israël, ancêtre du Messie, et un manipulateur coupable d’adultère.
© Musée Mauritshuis, La Haye, Domaine public



Caïn et Abel, par le peintre italien Giuseppe Vermiglio (vers 1585 – vers 1635). Une violence que les auteurs bibliques nomment pour l’exorciser.
© akg-images / Album / Prisma, Musée national de Valletta, Malte

 

Prêtre de la Communauté de l’Emmanuel dans le diocèse de Versailles, Alain de Boudemange est docteur en théologie biblique. Il est actuellement enseignant-chercheur aux Facultés Loyola Paris.

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