Impression Envoyer à un ami
Blandine Dahéron

Ils m’ont révélé son visage

Blandine s’est engagée une dizaine d’années comme bénévole au sein de la communauté de l’Arche, qui accueille des adultes avec déficience mentale. Quand la rencontre avec le plus petit est devenue, pour elle, rencontre avec le Christ.


Vendredi matin, début juillet 2006. En route vers l’atelier peinture de la communauté de L’Arche Le Sénevé, où je me rends « juste pour découvrir », mon mental s’affole : « Que vais- je faire dans cette galère ? Je ne connais rien au handicap ! Comment vais-je leur parler ? » L’inquiétude monte…

Bien vite, je repère le combat intérieur (merci saint Ignace) :« Lorsque Marie-Françoise [amie de la Communauté de Vie Chrétienne et bénévole à l’Arche], m’a proposé de la rejoindre une matinée, j’ai été surprise, mais j’ai aussi ressenti de la paix et de la joie. Donc, je maintiens le cap ! »

J’arrive à l’heure, au cœur du vignoble. En descendant de la voiture, le calme ambiant, le chant des oiseaux et le parc verdoyant et ensoleillé m’apaisent immédiatement. Je suis touchée par la simplicité des lieux, l’accueil et la gentillesse de tous – personnes accueillies, bénévoles et salariés ; par le « Bonjour ! Tu t’appelles comment ? » de Carine et les « alléluias » d’Hélène pendant qu’elle peint des fleurs, son « thème préféré ». Chacun œuvre à son rythme, tout en papotant – quel contraste avec mon stress de journaliste ! – et nous partageons tisane ou café vers onze heures, à l’ombre des arbres. Le temps semble s’être arrêté.

« À l’Arche, on vit une expérience »

Aujourd’hui, comment relire ce bénévolat d’une dizaine d’années, vécu au sein de plusieurs ateliers (peinture, jardin, découverte…), ses joies et déserts ? En parallèle, est née une relation d’amitié avec la communauté, vécue en couple, et qui perdure au rythme des sorties, fêtes, pèlerinages et invitations des foyers de vie.

Je rends grâce pour tous les cadeaux reçus dans la relation. Pour le lien noué avec les personnes accueillies, dont beaucoup m’ont « déplacée ». Pascale m’a ainsi conquise avec son sourire immense et ses exaltations, mêlant tendresse débordante et autoprotection. Elle m’a appris le don gratuit, le respect, la non-maîtrise. Alors que j’accompagnais Maïna en binôme lors d’un pèlerinage, cette dernière commençait systématiquement par me dire « non », pour finalement accepter mes demandes avec enthousiasme. Garder patience. Joseph, que nous avons conduit au foot pendant quelques mois, se réjouissait de nous retrouver, mais pouvait aussi se fermer : ce n’était pas facile. Mystère insondable de l’autre.

Bien sûr, je demande pardon pour mes erreurs : faire à la place, parler à la place, perdre patience, penser à autre chose, ne pas être vraiment là. Comme bénévole, il ne s’agit pas de « faire », de « rendre service », mais « d’être avec », de « vivre au présent ». Ne pas anticiper. Recevoir, écouter. Devenir des amis.

« Ici, à l’Arche, on vit une expérience. En vivant avec la personne qui a été rejetée, on trouve une paix, une joie. On découvre Dieu quand il est passé, par l’expérience. En vivant avec des gens, en étant en communion avec eux, on découvre qu’ils nous transforment et nous font du bien. C’est aussi simple que ça », m’expliquait Jean Vanier, alors que je rédigeais un livre pour dire comment mes amis de l’Arche, les « plus petits » de l’évangile, et tant d’autres personnes, étaient devenus « visages du Christ »(1).

Jésus est présent dans la rencontre vraie

Être bénévole à l’Arche m’a permis d’accueillir pas à pas ma vulnéra- bilité et d’oser changer de métier. « Jésus est venu nous libérer de nos compulsions, de nos peurs, de nos préjugés, pour qu’il y ait une rencontre vraie. Les personnes avec un handicap rendent Jésus présent à travers cette rencontre vraie. Leur quête, c’est la relation : la simplicité, le rire, la joie, la rencontre, le jeu. C’est très simple et libérant. »
 
L’amitié des personnes avec handicap mental est venue patiemment fendiller mes carapaces. Leur « bonjour Blandine ! » in- conditionnel me saisit à chaque rencontre, m’appelant à l’exis- tence. Depuis trois ans, mes visites au Sénevé se font plus rares. Pourtant, à chaque fois, Françoise me demande genti- ment : « Et ton mari, ça va ? » Son attention fidèle me bouleverse. Oui, le Seigneur est là, dans l’accueil de son amitié et le partage d’une joie simple.
Blandine Dahéron
 


1. Ils m’ont révélé ton visage, Salvator, mars 2014: 

       


Photo: « Thomas et Alix, assistante, lors de la fête du Sénevé ».

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