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Pierre De CHARENTENAY

Des équilibres géopolitiques en bouleversement

Le recours à la force, l’augmentation des inégalités et la résistance des peuples, soumis ou rebelles, sont les trois indices des bouleversements géopolitiques actuels que Pierre de Charentenay, s. j. révèle par son analyse.

Le recours à la force, l’augmentation des inégalités et la résistance des peuples, soumis ou rebelles, sont les trois indices des bouleversements géopolitiques actuels que Pierre de Charentenay, s. j. révèle par son analyse.


Inutile de se lancer dans de grandes démonstrations pour conclure que notre planète est soumise à des transformations profondes. Au sortir de la Guerre froide, après 1989, nous avions pensé que le monde entrait dans une nouvelle vie, celle de la démocratie généralisée, de la paix assurée et de la « mondialisation heureuse ». C’est ce qu’annonçait Francis Fukuyama1 quand il parlait de la fin de l’histoire¹.
Les années qui suivirent démentirent cruellement cette projection : le terrorisme s’est étendu pour atteindre son sommet le 11 septembre 2001 à New York sans cesser de menacer la paix par la suite. Le réchauffement climatique s’est révélé une autre menace faisant des milliers de victimes de catastrophes de plus en plus grandes. Les guerres menées par la Russie déstabilisent le monde entier.
Analysant ces événements, nous retenons trois facteurs majeurs de déséquilibre, le recours à la force contre le droit, le développement des inégalités, la réaction des peuples entre soumission et rébellion.
 

Le recours à la force contre le droit

Contrairement à ce qu’on avait pu rêver après la chute du mur de Berlin, la démocratie ne s’est pas généralisée. Les régimes autoritaires se sont au contraire renforcés. La Russie, la Chine, l’Iran et bien d’autres pays comme le Venezuela, le Myanmar ou la Corée du Nord sont devenues des dictatures qui menacent l’ordre international.

Les horreurs et les drames de la Deuxième Guerre mondiale avaient poussé l’ensemble des nations à constituer un ordre du droit, représenté par l’ONU qui avait réussi à rédiger une Déclaration des droits de l’homme. Les conflits seraient désormais abordés par la négociation et par l’application du droit international. Mais cette organisation comportait déjà ses limites, notamment avec le droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Ainsi pendant la guerre froide, l’URSS n’a cessé de s’opposer aux conclusions des débats des démocraties du monde. Pourtant l’ONU réussissait à promouvoir une limitation des armements nucléaires, et un début de culture du dialogue.

Cet ordre du droit se trouve bouleversé depuis quelques années par la volonté de quelques nations de lui supplanter une culture de la force. La Russie en est l’exemple après les conflits qu’elle a suscités en Géorgie en 2008, dans l’occupation de la Crimée en 2014 et l’invasion de l’Ukraine au début 2022. La Chine se fait moins belliqueuse mais son discours est celui de la force contre Taïwan et les États-Unis. Elle occupe déjà militairement des îles qui appartiennent aux Philippines et ne cesse de tisser ses liens stratégiques et militaires avec l’Afrique et récemment avec l’Arabie Saoudite. Cette évolution de la culture du droit vers celle de la force n’augure pas d’un avenir pacifique.

 

La permanence des inégalités

Le projet de mondialisation heureuse et le discours si fréquent sur la recherche de la justice n’ont pas trouvé d’applications concrètes dans la réduction des inégalités. Si une classe moyenne s’est effectivement développée dans beaucoup de pays, et notamment en Chine, la pauvreté reste endémique dans la majorité de l’Afrique, en Inde et en Amérique latine, sans compter l’impressionnante cohorte de personnes marginalisées dans les pays développés. Les témoignages réunis ici viennent illustrer cette constatation.

Le ruissellement des richesses ne s’est pas produit, ni au niveau national ni au niveau international. De nouveaux indicateurs comme celui de la santé révèlent la profondeur de ces inégalités, notamment dans la période Covid. L’ONU est toujours sollicitée pour les programmes d’alimentation en faveur de
183 millions de personnes en 2022. 45 millions de personnes sont menacées de famine dans 43 pays. Le réchauffement climatique augmentera ce nombre dans les années qui viennent.

 

Les peuples entre soumission et rébellion

Face à la multiplication des contraintes de type économique ou de niveau politique, notamment les limites mises à la liberté d’expression ou de mouvement, les populations ont longtemps subi en silence ce qui leur était imposé. C’est toujours le cas en Russie où l’opinion publique est relativement passive même si quelques individus, comme Alexeï Navalny, se lèvent face à l’oppression.

Mais dans plusieurs pays, les vents de rébellion se multiplient. En Iran, la jeunesse manifeste au prix de sa vie mais ne veut pas céder sur sa liberté face à un régime qui impose sa loi religieuse depuis plus de quarante ans. En Chine, alors que les Ouïghours sont écrasés dans l’indifférence générale, des foules se sont battues contre des mesures imposant l’isolement répété, au point où Pékin commence à céder sur la politique Zéro Covid. Bravant une surveillance de tous les instants, les opposants prennent des risques sur leur vie quotidienne et sur leur carrière. Au Myanmar, des peuples entiers se sont levés contre la dictature militaire qui a répondu de la manière la plus féroce en torturant et en brûlant des villages.
Dans le cas très particulier de l’Ukraine, c’est tout un peuple qui se lève contre une invasion menée par son voisin : la Russie avait prévu d’atteindre Kiev en quelques jours puis de soumettre tout le pays. La résistance de l’armée soutenue par la population et par un président omniprésent a défait ces projets et renverser la dynamique.
Face à des pouvoirs très violents, les foules ne se laissent plus abattre. Elles prennent tous les risques pour retrouver leur liberté et leur droit de vivre. Le doit des peuples a le dernier mot.


Pierre de Charentenay, s. j.

¹Francis Fukuyama Le Grand Bouleversement : La nature humaine et la reconstruction de l'ordre social, Éd. de La Table Ronde, 2003,
 

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