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Au Rwanda, l’Église au cœur d’une réconciliation
Réconcilier des communautés clivées par un génocide sanglant : des Rwandais s’emploient résolument à cette mission impossible depuis des décennies, avec le concours de l’Église. Une volonté de paix sans cesse à réinventer.
Réconcilier des communautés clivées par un génocide sanglant : des Rwandais s’emploient résolument à cette mission impossible depuis des décennies, avec le concours de l’Église. Une volonté de paix sans cesse à réinventer.Trente ans se sont écoulés depuis le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, un événement tragique qui a profondément marqué l’histoire du pays et du monde¹. Malgré l’ampleur des destructions sociales et humaines, le Rwanda a entrepris un processus ambitieux de réconciliation nationale, reconnu mondialement comme un modèle de résilience et d’espoir. À chaque étape de ce processus, l’Église catholique a joué un rôle déterminant en apportant son soutien moral, spirituel et social à la reconstruction du pays.
Après le génocide, reconstruire l’identité nationale a été une priorité. Les camps Ingando² mis en place par le gouvernement ont servi d’espaces éducatifs pour enseigner l’unité et déconstruire les récits de haine. Ces retraites, destinées à des groupes variés tels que les anciens combattants ou les jeunes, ont inculqué le concept de Ndi Umunyarwanda
(« Je suis Rwandais »), une base essentielle pour la réconciliation.
L’Église catholique a soutenu ces initiatives en promouvant des messages de pardon, de fraternité et de solidarité à travers ses enseignements et ses actions pastorales. Les prêtres et religieux ont accompagné spirituellement les participants, en s’appuyant sur les principes bibliques d’amour et de réconciliation. Par cette démarche, l’Église a renforcé l’adhésion au sentiment d’unité nationale dans une perspective éthique et spirituelle.
Une justice enracinée dans la communauté
Le système judiciaire classique étant insuffisant pour traiter les millions de crimes commis durant le génocide, le Rwanda a introduit les tribunaux communautaires Gacaca en 2001³. Ces tribunaux ont permis aux coupables de confesser leurs crimes et aux survivants de connaître la vérité sur leurs proches, tout en favorisant la réconciliation. L’Église catholique a encouragé la participation active à ce processus en prônant un équilibre entre justice et pardon. À travers ses homélies et son accompagnement pastoral, elle a aidé les communautés à accepter la vérité tout en promouvant la guérison. Les membres du clergé ont également joué un rôle de médiateurs dans les conflits, renforçant ainsi les bases d’une justice participative enracinée dans les valeurs chrétiennes.
La préservation de la mémoire est un pilier fondamental de la réconciliation au Rwanda⁴.
Des lieux comme le Mémorial du génocide de Kigali témoignent des horreurs passées tout en sensibilisant les générations futures à l’importance de la paix.
Construire l’avenir
L’Église catholique a contribué à cette mémoire collective en organisant des messes commémoratives, des prières et des activités éducatives dans ses paroisses. Ces initiatives ont permis de maintenir vivante la conscience collective tout en offrant un espace spirituel pour le deuil et l’espoir. Les cérémonies annuelles, combinées aux efforts de l’Église, ont renforcé l’engagement envers le message « plus jamais ça ».
Diverses initiatives sociales et économiques ont été lancées pour reconstruire la confiance. Le programme Girinka, qui offre des vaches aux familles pauvres, symbolise la solidarité et la réconciliation économique. L’Église catholique a encouragé cette initiative en mobilisant ses ressources et en promouvant les valeurs chrétiennes de partage. En complément des efforts gouvernementaux pour réduire les disparités économiques, l’Église a joué un rôle crucial à travers ses écoles, ses hôpitaux et ses programmes caritatifs pour contribuer à la réduction des inégalités. En fournissant des services essentiels aux communautés marginalisées, elle a renforcé les bases d’une paix durable.
Le chemin restant
Malgré les progrès, le Rwanda fait toujours face à des défis persistants, notamment les traumatismes psychologiques et les tensions résiduelles. L’Église catholique continue d’accompagner les survivants grâce à des services de counseling (conseil, assistance, accompagnement) spirituel et psychologique. Elle joue également un rôle actif dans la pastorale de l’unité et de la réconciliation, en promouvant une culture de la paix à travers l’éducation et le dialogue. Les programmes éducatifs des écoles catholiques, axés sur les valeurs de tolérance, d’inclusion et de respect mutuel, sont essentiels pour former les générations futures à éviter les erreurs du passé.
En 2024, trente ans après le génocide, le Rwanda incarnait ainsi un exemple exceptionnel de résilience et de réconciliation. L’engagement de l’Église catholique, combiné aux efforts du gouvernement et des citoyens, avait permis de transformer un passé tragique en un avenir d’espoir et d’unité.
Pacifique Rugina Kabanda,
CVX au Rwanda
Cet article entend présenter des dispositifs susceptibles d’avoir contribué à une réconciliation, et ne constitue en aucun cas une prise de position de la Rédaction sur les aspects sociopolitiques qui pourraient y être liés.
¹ Crisis. History of a Genocide, Gérard Prunier, Columbia University Press, 1997.
² Ingando. National Solidarity Camps, Republic of Rwanda, 2001.
³ Ces tribunaux coutumiers rétablis afin d’accélérer les procédures ont été clôturés en 2012. Voir The Gacaca Courts. Post-Genocide Justice and Reconciliation in Rwanda : Justice without Lawyers, Phil Clark, Cambridge University Press, 2010.
⁴ Dans le nu de la vie. Récits des marais rwandais, Jean Hatzfeld, Seuil, 2003.
Pacifique Rugina Kabanda préside la CVX au Rwanda. Il travaille dans le domaine des infrastructures en télécommunication

En 2022, à Nyanza, un ex-prisonnier, ayant déjà purgé sa peine, demande pardon publiquement : un processus de guérison collective mis en place dans les communautés rwandaises.
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