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Ai-je vraiment prié ?

Nous avons tous fait l’expérience d’un temps d’oraison s’évaporant en vaines songeries bien éloignées de Dieu… Comment relire de telles situations : avons-nous perdu notre temps ? ou était-ce simplement une autre manière de prier ?

Toutes les approches ignatiennes de la prière nous invitent, après avoir prié, à relire et noter quelques mots qui seront la trace de cette rencontre avec le Seigneur. Mais il arrive que, devant cet exercice, nous soyons saisis du syndrome de la page blanche ! Et les questions nous assaillent : « Que puis-je écrire ? », « Ai-je vraiment prié ? »…
Dans le meilleur des cas, j’arrive à repérer quelques points, et à me remémorer comment je m’étais préparé. J’ai lu le texte de la parole de Dieu la veille au soir, ou le matin même ; j’ai décidé de la durée de mon temps de prière, du moment et du lieu, et je m’y suis tenu. J’ai commencé ce temps en me présentant devant Dieu, lui offrant tout mon être, ma mémoire, mon intelligence, ma liberté et ma volonté. J’ai même demandé une grâce, et puis… plus rien. Que s’est-il passé après ? Suivant les moments, j’ai rêvé, j’ai somnolé, j’ai été assailli de tas d’idées, de visages, de situations, de courses à faire, d’inquiétudes… Bref, une foule de distractions. Et le temps imparti est terminé !
Du coup, impossible d’écrire quoi que ce soit en lien avec la parole de Dieu choisie. Impossible de nommer un quelconque mouvement intérieur, une motion de l’Esprit qui m’aurait habité. Impossible de noter une demande, un merci que j’aurais formulé, ou le sentiment d’une présence de Dieu pendant ce temps.

« Ne jugez pas »

Alors, ai-je « vraiment » prié ?
Il ne s’agit pas ici de qualifier la prière, comme on peut parfois l’entendre : « Ai-je “bien” prié ? », « Ma prière va-t-elle être exaucée ? » À ces deux questions, il y a des réponses dans l’Évangile : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugé » (Lc 6,37) et « Votre Père sait ce dont vous avez besoin » (Mt 6,8).  Notre interrogation est plus radicale.
Un conte soufi met en scène un jeune homme qui vient demander à un ermite : « Apprends-moi à prier » et qui ne reçoit aucune réponse. Durant quatre jours consécutifs, il réitère sa demande. Devant le silence persistant de l’ermite, la colère l’envahit.
Alors l’ermite, enfin, lui adresse la parole : « Je n’ai pas répondu car je voulais savoir si ton désir était grand… Car ton désir est déjà une prière. Dieu n’attend rien d’autre, sinon que tu Le cherches ! » Bien malin qui pourrait dire le désir de Dieu à notre égard, même si l’on peut affirmer globalement qu’Il attend une réponse à son amour, lequel est toujours premier dans nos vies. Ce qui est intéressant dans ce conte, c’est : « Ton désir est déjà une prière. » Tout être humain est un être de désir, un désir déposé par Dieu dans l’homme modelé à son image, un désir qui est le signe d’un véritable appel de Dieu. Dieu est présent avant même que nous Le cherchions. C’est Lui qui nous cherche le premier, comme dans la Genèse : « Adam, où es-tu ? » (Gn 3,9).
Saint Augustin commence d’ailleurs ses Confessions en disant : « Notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en Toi. » Puis il développe son propos en rappelant qu’il est dans la nature de l’homme d’être inquiet. Mais « la permanence de l’inquiétude, outre qu’elle est le signe fondamental de sa vulnérabilité et de son péché, atteste que l’homme ne peut renoncer, sous peine d’insignifiance, à son désir, quels que soient les déceptions et échecs rencontrés¹. »
Revenons à notre question et à l’inquiétude qu’elle traduit : ai-je prié ? Même si j’ai le sentiment que Dieu est resté muet, comme moi, je peux quand même dire que j’avais le désir de prier et que je suis resté devant Lui pendant le temps que je m’étais fixé. Si, comme le disent l’ermite soufi et saint Augustin, le désir est réponse à l’appel de Dieu inscrit au fond de moi et est déjà prière, alors je peux affirmer que j’ai prié.
En regardant de plus près ce qui s’est passé pendant ce temps que j’ai qualifié de somnolence ou de distraction, il y a peut-être aussi matière à trouver des traces de prière. Le psaume 127 (126), au verset 2, nous dit : « En vain tu devances le jour, tu retardes le moment de ton repos, tu manges un pain de douleur : Dieu comble son bien-aimé quand il dort. » Bien sûr, ne nous rassurons pas trop vite ! Ce verset invite à ne pas compter sur nos seules forces, qui seraient vaines, mais à mettre en œuvre ce qu’il convient de faire afin de ne pas dormir à chaque oraison : ce peut être l’indication d’un manque de sommeil, d’une activité trop grande à mieux réguler, et que Dieu nous invite à examiner.
Quant aux distractions, aux visages qui m’ont rejoint, même si je me suis contenté de les laisser défiler, ils étaient avec moi sous le regard aimant de Dieu et, après coup, je peux percevoir pour telle ou telle personne un appel à aller la voir, à répondre à l’une de ses sollicitations, à m’enquérir de sa santé. N’est-ce pas Dieu qui les a mises sur ma route ?
En relisant ce qui s’est passé et qui m’a dérouté, je peux donc trouver la trace de Dieu qui m’a parlé autrement. Si, sur le moment, je n’en ai rien fait, Dieu m’attend ailleurs pour lui répondre. Cette prise de conscience n’est-elle pas prière ?

Geneviève Pavy, xavière

¹« L’homme de désir selon saint Augustin », Olivier Champion, Christus n° 182.

Dans le diocèse de Paris, Geneviève  Pavy accompagne une équipe CVX ainsi que des retraites ignatiennes.
Elle est engagée à sa paroisse dans le catéchuménat et l’opération Hiver solidaire.




Les pensées que nous pensons parasites peuvent parfois aussi représenter des appels de Dieu à agir.
© Pascal Deloche / Godong
 

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