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Accompagner l'Atelier Justice

Réceptacle de la violence du monde, les acteurs de justice sont, par leur travail, les garants du respect de la dignité et de la responsabilité humaine, à la recherche d’une plus grande vérité. Accompagnateur de l’Atelier Justice de la Communauté de Vie Chrétienne, Dominique Gonnet, s.j. raconte comment il soutient leurs discernements.



Réceptacle de la violence du monde, les acteurs de justice sont, par leur travail, les garants du respect de la dignité et de la responsabilité humaine, à la recherche d’une plus grande vérité. Accompagnateur de l’Atelier Justice de la Communauté de Vie Chrétienne, Dominique Gonnet, s.j. raconte comment il soutient leurs discernements.


Quelle pratique d’accompagnement avez-vous au sein de l’Atelier Justice ?
Je n’étais guère préparé à cette tâche, j’avais seulement quelque lien avec le droit par ma thèse sur La liberté religieuse à Vatican II[1], quand la demande m’est venue en 1997 d’accompagner au niveau national l’Atelier Justice naissant. En écoutant les acteurs du monde de la justice, j’ai été tout de suite touché, au point d’en être souvent ému, par quatre éléments essentiels : le fait que le monde de la justice est le réceptacle de la violence du monde ; la capacité des acteurs du monde de la justice qui rendent compte dans un discours objectif et serein, reposant sur le droit, de situations aussi conflictuelles que complexes, engageant la dignité et la responsabilité de l’être humain ; la capacité qu’ont des magistrats et avocats dans le débat contradictoire que le procès rend possible de confronter les points de vue dans une recherche de vérité. Cette exigence est commune à tous les autres acteurs.      
Enfin, je témoigne de la capacité des acteurs du monde de la justice à permettre aux personnes d’avancer à la fois sur la reconnaissance de la culpabilité pour les coupables et sur une amorce de réconciliation pour les victimes par les décisions prises.
Cela est plus apparent en ce qui concerne le droit pénal, peut-être moins visible en ce qui concerne le droit civil, mais cela reste vrai pour la recherche de justice dans tous les conflits qu’il s’agisse de personnes morales ou physiques. Cette expérience n’est pas sans lien avec celle du discernement, et on peut rappeler ce que saint Ignace appelle le troisième temps d’une élection : « Après avoir ainsi parcouru le sujet et réfléchi à tous les aspects de la chose envisagée, je regarderai de quel côté la raison incline davantage. » (Exercices spirituels 182).
Bien sûr, saint Ignace rappelle toute l’importance du choix devant Dieu, et il prend le même symbole que celui de la Justice : la balance qu’elle porte avec les yeux bandés au fronton des tribunaux.
 
« Que je me tienne au milieu, comme au centre d’une balance, pour suivre ce que je sentirai être davantage à la gloire et à la louange de Dieu notre Seigneur et au salut de mon âme. » (ES 179).
 
Voilà la façon de remettre devant Dieu cette expérience qui engage profondément les rapports humains avec leurs tensions et leurs grâces.
Or l’Évangile interroge l’institution judiciaire et le jugement. Il rappelle qu’il y a quelque risque de se retrouver en prison quand on n’est pas arrivé à se mettre d’accord en chemin et que votre adversaire vous livre au juge (Cf. Mt 5, 25). Autant dire que la justice tranche et qu’elle n’a pas pour rôle de suppléer à nos incapacités humaines à chercher le dialogue, le compromis, la médiation et la réconciliation. Jésus dit encore : « Homme, qui donc m’a établi pour être votre juge ou l’arbitre de vos partages ? » (Lc 12, 14). 

De manière plus générale, Jésus invite à ne pas juger (Mt 7, 1), et cette question revient souvent dans les partages des différents ateliers Justice de la Communauté de Vie Chrétienne. Quel paradoxe pour des personnes qui sont appelées professionnellement à juger, mais aussi pour tous les acteurs du monde de la justice ! Ce sujet a été l’objet de la session d’été 2014 de l’Atelier Justice[2].

Dans nos ateliers, plusieurs membres n’appartiennent pas à la Communauté de Vie Chrétienne. Je suis attentif à veiller avec le ou la responsable au déroulement de la réunion, et en particulier au tour de table du premier tour. Ce qui me paraît essentiel, c’est dans la préparation des réunions, comme dans les réunions d’équipe de la Communauté de Vie Chrétienne, le fait que la Parole de Dieu doit toujours être confrontée au récit de la pratique.         
En fait, même si le droit obéit à des règles strictes, les marges des décisions rendent possible un jeu où la foi peut éclairer l’acteur du monde de la justice.


À quel discernement êtes-vous attentif face à la « soif de justice » ?
Dans l’histoire de l’Atelier Justice, j’ai été marqué par le discernement qui a conduit un avocat au cabinet florissant à devenir magistrat, avec une rémunération bien inférieure. Il a reconnu lui-même que la réflexion avec l’Atelier avait joué un rôle dans sa décision. Je pense qu’à l’origine il y a un critère de discernement important, c’est la recherche du plus grand service là où j’en suis de mon histoire avec le Seigneur : « Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. » (Mt 20, 26). Ne pas se mettre à la place de Dieu est essentiel, car la justice est humaine. Comment sera-t-il possible d’avancer en humanité dans le contexte tendu du prétoire comme le rappellent les témoignages ? Le discernement porte sur la justesse de l’attitude que l’on prend à l’égard des justiciables et entre collègues, mais aussi sur les choix à faire. De ce point de vue, l’Atelier Justice s’est engagé depuis le 1er octobre 2009 à une prière mensuelle avec un thème libre préparé par un membre de l’Atelier chaque mois, avec l’intention que chacun prie pour les autres membres de l’Atelier.

Comment articulez-vous les différents points de vue des avocats, magistrats…
Les magistrats et avocats sont dans un face à face à l’audience. Mais on peut dire aussi que les autres acteurs du monde de la justice qu’ils soient dans la police, la médiation, l’aumônerie de prison, les services juridiques d’une entreprise, etc. ne se rencontrent pas beaucoup, l’institution préservant leur indépendance réciproque : chacun est forgé par sa propre conception de la justice au centre de laquelle il se place volontiers. C’est pour cela que l’Atelier Justice est si important pour ses membres, puisqu’il permet cette confrontation des
 
[1] La liberté religieuse à Vatican II. La contribution de John Courtney Murray, s.j., coll. Cogitatio Fidei 183, Éd. du Cerf, Paris 1994.
[2] Revue Vie Chrétienne, n° 32 – nov-déc. 2014, p. 36.

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