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Hervé LE HOUEROU

"Vouloir ce que Dieu veut"

Qu’est-ce que « faire la volonté du Père » ? Comment la découvrir et s’ajuster à celle-ci ? Hervé Le Houérou s.j. nous donne quelques repères de discernement et nous éclaire pour comprendre que la « volonté de Dieu » s’articule avec notre désir profond.


Dans l’évangile de Matthieu, à la toute fin du Discours sur la montagne, Jésus proclame « Il ne suffit pas de me dire : “Seigneur, Seigneur” ! pour entrer dans le Royaume des Cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux » (Matthieu 7, 21). Le message est à la fois clair et déroutant : il ne suffit pas de confesser que Jésus est Seigneur ; il faut faire…, « faire la volonté du Père ». Mais alors que faire ? Les disciples envoyés par Jésus en mission ont beaucoup « fait » semble-t-il. Ils ont enseigné, guéri les malades, délivré des démoniaques. Ce n’était apparemment pas suffisant. La preuve, Judas « n’a pas tenu la distance ». On sait où ça l’a conduit. Alors, pour nous, que comprendre ? Quels
repères nous donner ?

Il apparaît en effet qu’on peut se croire au plus près de Jésus, qu’on peut imaginer répondre à son appel, et agir en son nom, sans véritablement le laisser travailler en nous… pour au bout du compte se retrouver dans l’impasse. Parmi les disciples, Judas a dévié mais il n’est pas le seul. Alors que Jésus se tient sur le mont de la Transfiguration, certains de ses disciples restés dans la plaine ne réussissent plus à guérir un enfant épileptique (Marc 9, 18). Jusquelà tout leur réussissait. Ils semblaient avoir les « pouvoirs », or là ça ne « marche » plus !

En réalité, le plus grand piège sur notre route à la suite du Christ n’est sans doute pas de « dire » mais de vouloir « faire » sans prendre conscience qu’il manque un essentiel au faire. Notre action doit être reçue sinon elle est vide. Or, au fil du temps, si l’on n'y prend garde, la relation au Seigneur se distend, s’affadit. On se laisse encombrer par l’accessoire. On prie moins, moins longtemps, moins souvent. Il y a tant d’urgences apparentes dans notre quotidien… et en plus il faudrait trouver du temps pour Dieu ! C’est ainsi qu’on s’éloigne insensiblement du Seigneur et qu’on se détourne de sa « Volonté ».

Or sa Volonté est le pivot de toute vie. Sa Volonté est un amour qui parle au coeur et qui devient moteur de l’action de celui qui l’écoute.
« Quiconque écoute ces paroles que je viens de dire et les met en pratique », dit Jésus (Luc 6, 43-49). Faire la volonté de Dieu signifie en fait passer de la confession de foi qui même sincère demeure pour une part extérieure (Qu’on se souvienne de la confession de Simon-Pierre à Césarée – Marc 8, 33) à un « faire » habité par la Présence… Une vie qui accueille la Parole et la laisse se développer. C’est exactement l’attitude de Jésus se recevant du Père : « Je ne fais rien de moi-même… Je fais toujours ce qui lui plaît » (Jean 8, 28-29)… A Gethsémani : « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » (Matthieu 26, 39).
 

C’est précisément ce à quoi nous invite Ignace. « Chercher et trouver la volonté de Dieu » est la visée première des Exercices spirituels (1re annotation ES14). Mais une seconde visée la complète à la toute fin de la 20e annotation (ES20 10) : « Plus (l’âme) s’unit ainsi à lui, plus elle se dispose à recevoir des grâces et des dons de sa divine et souveraine bonté ». Il n’y a pas une mais deux Volontés, celle de la créature et celle du Créateur et Seigneur. L’objectif à notre niveau est de chercher à les accorder. Notre liberté est convoquée en ce lieu-là ! Pour ce faire, il s’agit de commencer par cerner ce que nous-mêmes, nous voulons. Par ce travail sur le désir, la spiritualité ignatienne contribue à mettre à jour notre identité profonde, à nous faire grandir en liberté intérieure, à nous faire entrer plus entièrement dans une histoire d’amour.

Dans le cadre des retraites, cette démarche est d’une certaine manière posée dans chaque oraison. Chaque temps de prière commence par une demande de grâce : « Demander ce que je veux et désire ». Cette demande est fondamentale car elle oriente la suite. C’est par elle que la Parole peut porter en nous un fruit cohérent, cohérent parce que orienté de manière juste.

Ceci étant, la question qui se pose à nous est : « Qu’est-ce que je veux ? » Notre désir, même partiellement désensablé, demeure brouillé. Globalement nous voulons des solutions, des soulagements. La pédagogie des Exercices nous invite plus que jamais à nous engager dans le mystère d’une Relation et non dans la recherche d’une réponse. Se tourner vers le Christ, voilà l’essentiel ! L’aventure spirituelle que balise Ignace commence ainsi par un décentrement et un recentrement. Le Principe et Fondement (ES23) vise à intégrer que la vie nous est donnée par un Autre. « Louer, révérer, servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme » : il faut entendre pleinement ces trois verbes. Ils permettent de nous tenir au bon endroit, en créature qui ne met pas les moyens à la place de la fin et qui donne toute sa place au Maître et Seigneur. Ignace ajoute : « Et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme, et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il a été créé ». Car il importe que l’homme reconnaisse que tout lui est donné pour croître et progresser dans son identité de Vivant. Il doit accueillir le « cadeau de la vie » et s’appuyer sur lui en croyant que la grâce aujourd’hui, comme hier la Manne au désert, ne lui fera pas défaut. Vivre cela c’est prendre conscience que nous sommes à la fois pauvres et riches, pauvres de ne rien posséder, riches de tout recevoir de l’Amour à l’oeuvre.

Ce que Dieu veut et ce que nous voulons vraiment se résument en cette seule réalité : « Aimer ». Mais Dieu a aimé le premier. Il s’identifie même à cet amour premier. L’homme-créature (chacun de nous), dans son mystère de refus de ce qui lui donnerait vie en abondance, doit toujours veiller à s’accorder à cet Amour pour entrer dans sa dynamique, le mouvement même de la vie. Le parcours des Exercices nous permet de nous déterminer, de nous situer, de nous reconnaître en tant que créature comblée à qui tout est donné par Dieu.

En résumé, la seule manière de vouloir ce que Dieu veut, c’est de vouloir nous donner à lui, et en nous donnant de tout recevoir. Ce tout recevoir s’accorde en fait à notre désir profond. (cf. le Suscipe de l’Ad Amorem). (ES234)

 
Hervé Le Houérou s.j.
assistant national
de la Communauté de Vie Chrétienne
Photo: Jésus à Gethsémani : « Non pas ce que je veux, mais ce que  tu veux »
Crédit photo: © Charles Schug / iStock

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