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Résiste, prouve que tu existes

Saint Ignace est passé par des résistances fortes dans sa prière et sa relation à Dieu.
Des accompagnateurs du Hautmont nous témoignent des résistances que rencontrent les retraitants d’aujourd’hui qu’ils accueillent et la façon dont ils trouvent à les guider.


Lorsque France Gall chantait les paroles écrites par Michel Berger « Résiste Prouve que tu existes Cherche ton bonheur partout, va Refuse ce monde égoïste Résiste Suis ton cœur qui insiste… », sans doute ne faisaient-ils pas allusion aux résistances que tout homme, toute femme, rencontre lorsqu’il se met à l’écart pour quelques jours devant le Seigneur.
Et pourtant cette petite phrase « Suis ton cœur qui insiste » ne ferait-elle pas écho à une forme de résistance intérieure qui parlerait d’une manière de se tenir debout, en mouvement, en combat et donc en vie … et en vis-à-vis ?
Parce que, c’est bien parce qu’il y a Quelqu’un en face de moi, que « Ça » résiste. Jacob en a fait les frais dans sa longue lutte avec l’ange du Seigneur « il lutta toute la nuit » (Gn 32, 25). Jacob qui veut dire « celui qui supplante » a l’habitude de tromper le Seigneur, de se raconter des histoires, de trouver des alibis pour ne pas avancer vers une relation vraie (avec son père, avec son frère, avec le Seigneur), mais il s’accroche … il s’accroche à l’ange, mais aussi à la réalité de sa vie, à ce qui lui fait honte, à la Parole de Dieu qui dérange, il résiste…


Dans le n° 83 de la revue Vie Chrétienne, Josep Maria Margenat commençait son article1 par ces mots : « Ignace a vécu d’intenses résistances lors de son combat spirituel à Manrèse en Catalogne ».
Ignace dans le sillage de Jacob, nous confirme effectivement que les résistances sont incontournables lorsque l’on se tient devant Dieu et il n’est donc pas étonnant pour les accompagnateurs spirituels du Centre Spirituel du Hautmont que nous sommes, d’en être témoins.

Ces résistances se manifestent de différentes manières.
Résistances liées aux habitudes, à la loi, à la hiérarchie :
« J’ai toujours été accompagné par un prêtre et je ne me vois pas être accompagné par un laïc et encore moins par une femme. Et à la fin de la retraite : « Je me rends compte que j’ai toujours attaché beaucoup d’importance aux paroles du prêtre et, en priant le texte de la Genèse j’ai entendu pour moi Où te caches tu ? J’ai pris conscience que je me cachais derrière les paroles des prêtres, et des bonnes paroles en général, comme si je n’osais me montrer à Dieu telle que je suis. »

« J’ai toujours été dans des maisons de retraites où l’Eucharistie était quotidienne, que va dire ma supérieure, si je n’ai pas la messe tous les jours ? » Et à la fin de la retraite : « Au début cela a été ardu pour moi de ne pas avoir la messe, mais j’ai pris conscience que la Parole que j’ai longuement méditée, était aussi pain de vie pour moi. »

Résistance à lâcher le monde extérieur :
« Mes enfants, mon mari, mon boss, ma vieille maman. … ont besoin de moi, je ne peux pas les abandonner, donc je vais garder mon téléphone allumé, on ne sait jamais… »

« Je profite de ce temps pour répondre à tous les mails que j’ai en retard. »

Dans ces cas l’invitation ferme de l’accompagnateur à cadrer ce lien à l’extérieur – la nécessité ou l’urgence peuvent réellement exister, mais être contenu dans un temps limité – permet doucement au retraitant de mesurer ses attachements et de les ordonner

Résistance au silence, au rien, au très peu :
« J’ai ramené un bon policier, parce que quand même je ne vais pas prier 24 heures. »

« Je profite de ce temps pour écrire pour avancer sur un travail que j’ai en court. »

« Hier j’ai lu le dernier Christus, très bonne lecture, j’y ai appris beaucoup de choses. »

« Dans ma promenade j’ai croisé un autre retraitant, et on s’est parlé. Ça me fait du bien parce qu’on pense un peu les mêmes choses. »

Résistance à l’image ou au vocabulaire des Exercices spirituels :
« J’ai déjà fait quatre fois la première semaine des Exercices, et je ne vois pas où ilsveulent en venir. J’imagine qu’il faut passer par le combatet je n’en ai pas le courage… »

« C’est trop bizarre votre méthode, je trouve cela trop affectif et puis je ne sens rien, je ne vois pas ce que vous voulez dire quand vous parlez de mouvements je préfère lire mon bréviaire. »
Ici c’est une reformulation qui va permettre de faire tomber cette résistance, et parfois une invitation à risquer une autre manière de faire

Résistances liées à la souffrance :
Un homme n’arrive pas du tout à rentrer dans la retraite. Il marche toute la journée. Il semble ruminer intérieurement. Et puis le troisième jour, cette petite phrase « Ce que j’ai fait est trop grave, trop lourd ». L’accompagnateur lui propose d’aller voir un prêtre. Le lendemain il pourra dire « J’ai enfin pu déposer mon fardeau » et de fait il a pu poursuivre la retraite sereinement

Une femme profondément blessée qui elle aussi n’arrive pas à rentrer dans la démarche avec les textes donnés ; l’accompagnatrice est avisée de lui proposer un livre du peintre Chagall et c’est le déclic : « Cet homme qui a été témoin de tant d’horreurs, peut encore parler au Seigneur, alors pourquoi pas moi. »

Résistance à la méthode :
Un retraitant lors d’une retraite d'initiation selon les Exercices spirituels ne rentre pas dans le cadre de la prière tel qu'on lui présente, « Je me débrouille autrement avec ce que je sais faire ». L’accompagnateur se sent poussé à lui proposer, pour les jours qui lui restent, de reconsidérer les choses :« Essayez, vous n’avez rien à perdre ». C'est le mot perdre qui a fait basculer sa retraite, il attendait tellement ! Et dans « l’obéissance » à ce qui était proposé, il a pu faire l’expérience d’une vraie rencontre avec le Seigneur.

Résistance aux images de Dieu :
Un femme panique et souhaite partir dès le deuxième jour de la retraite, « J’ai trop peur 
de ce Qu’il va me demander. » Elle descend prendre le bus … le rate, revient penaude. L’accompagnateur la
ré-accueille en lui disant qu’elle peut juste assister à la prière du soir et du matin avant que ne passe 
le bus du matin, et le lendemain, lors des Laudes, elle entend pour elle-même cette phrase « Vous serez nourris, portés sur la hanche, vous serez choyés sur ses genoux ». Elle réalise qu’elle n’a rien à craindre d’un tel Dieu. Elle peut alors rester et poursuivre la retraite.


Résistances intellectuelles :
Une jeune femme est prête à faire ses vœux définitifs dans la vie religieuse. Elle suit toutes les indications données, prie de longues heures, fait tout bien ; Dans l’accompagnement elle fait des sortes de commentaires de texte, pour elle c’est cela « relire sa prière » mais elle ne semble rien ressentir intérieurement comme si le fait de tout faire bien l’empêchait d’accéder à ce qu’elle sentait. L’accompagnatrice l’envoie à l’extérieur du Centre où elle suit sa retraite et l’invite à s’installer à une terrasse de café juste pour regarder les gens. Au bout de quelques jours, elle fait allusion à un film sentimental et remarque que cela la trouble, parce qu’elle y pense beaucoup. Peu à peu elle reconnaît que cette vie affective lui manquerait. Elle mesure qu’elle fait beaucoup de choses pour Dieu, et que peut être elle pourrait faire les choses avec Dieu, tout simplement. Elle accepte de prendre un temps plus long de discernement et repousse son engagement de vœux définitifs, dans une grande paix.

Nous pourrions continuer ce « catalogue » indéfiniment, mais ce qui compte c’est de voir comment ces résistances mènent finalement le retraitant à ce que « son intelligence s’ouvre progressivement et qu’il réajuste son rapport au monde et à Dieu »1 à charge pour l’accompagnateur d’avoir comme on l’a vu dans l’une ou l’autre des situations exposées, une parole ou une proposition qui fait que la résistance va devenir le terreau de la rencontre avec le Seigneur : Mon créateur existe et je peux exister tel que je suis, avec mes limites, mes imperfections, ma misère, pour faire l’expérience de Sa miséricorde.
Tel Jacob, désormais « boitant », le retraitant peut alors poursuivre ce temps en « convoquant » le Seigneur : « je ne te lâcherai pas que tu ne m’aies béni » … jusqu’à faire l’expérience de sa bénédiction.

Céline Verley
et quelques accompagnateurs
du Centre spirituel du Hautmont



1 – In la revue Vie chrétienne n°83 de mai / juin 2023 Dossier Quel est ton désir ?Rubrique Spiritualité ignatienne – l’article : Quel a été le désir d’Ignace à Manrèse ? signé de Josep Maria Margenat, s.j. ( pages 27 à 29). 

Céline Verley, mariée, mère et grand-mère est façonnée par la spiritualité ignatienne, notamment grâce aux nombreuses années en Communauté de Vie Chrétienne. 
Elle est responsable du pôle de la Vie Spirituelle au Centre du Hautmont et membre de l’équipe de formation à l’accompagnement spirituel pour les diocèses de Lille Arras Cambrai.
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