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Repères ignatiens / Repères ecclésiaux - Revue N°95 - Novembre 2025

Quand l’Église utilisait la peur de l’au-delà

Alors qu’au milieu du XIXe siècle, la pastorale de la peur était encore efficace, aujourd’hui son évocation prête à sourire. Pour autant, elle était accompagnée de consolations. L’Église, désormais, ne laisse-t-elle pas trop souvent l’homme désemparé face au désespoir ?

Peut-on assigner une origine à la pastorale de la peur ? L’Évangile lui-même n’use-t-il pas d’un tel procédé, notamment avec la parabole de Lazare et du mauvais riche (Lc 16,19-31) ? L’auditoire de Jésus n’était-il pas conduit à s’identifier à cet homme qui, jouissant de ses biens sur cette terre, s’est refusé à regarder celui qui souffrait à sa porte et se retrouve ensuite dans un lieu de souffrance éternelle, tandis que le pauvre Lazare est dans la béatitude ?
Au Moyen-Âge, comme en témoignent les tympans d’églises et de cathédrales, la perspective du Jugement dernier est très présente : sous l’égide du Christ et de saint Michel, l’humanité est dirigée vers le paradis ou l’enfer. Puis, lorsque se posera la question du destin de l’individu, conduisant le fidèle à s’interroger – non sans quelque angoisse – sur sa destinée future, on sera amené à « inventer » le purgatoire (selon l’expression de l’historien Jacques Le Goff), ouvrant ainsi la possibilité d’un « rachat » après la mort grâce aux prières des vivants.

Véritable contrition ?

Le concile de Trente (1545-1563) accordera une grande importance au sacrement de pénitence. Il distinguera deux formes pour la contrition requise : la première, qui serait parfaite, découlant du sentiment d’avoir offensé la bonté de Dieu ; la seconde, appelée attrition, procédant de la crainte du châtiment. L’attrition seule est-elle suffisante ? Les théologiens en doutent. Mais la majorité des chrétiens est-elle capable de parvenir à une véritable contrition ? 
Au XVIe siècle, l’archevêque de Milan, saint Charles Borromée, avec ses Instructions aux confesseurs, donne un bon exemple de la pastorale de la peur dans le cadre du « tribunal de la pénitence » : « Lorsqu’un confesseur voudra exciter son pénitent à la douleur de ses péchés, il sondera son naturel pour reconnaître s’il se conduit par crainte ou par amour. S’il découvre que la crainte fasse le plus d’impression sur son esprit, il lui représentera la multitude, l’horreur, l’énormité et la saleté de ses péchés, les peines terribles qu’il a encourues pour l’éternité, les châtiments que Dieu a faits autrefois, comme la punition d’Adam, pour un seul péché de désobéissance, […] les peines de purgatoire, les cruels tourments de l’enfer. Un autre motif de crainte sera encore de lui représenter combien ses péchés seraient punis, même de la justice temporelle, s’ils étaient connus. Or quoiqu’ils soient cachés aux hommes, ils sont pourtant connus de Dieu, dont la justice sera beaucoup plus rigoureuse pendant toute l’éternité. »

Cependant, comme l’a expliqué l’historien Jean Delumeau, la pastorale de la peur est accompagnée de consolations : l’Église n’enferme pas l’homme dans le désespoir. Le proverbe en a conservé le souvenir : « À tout péché miséricorde. » Outre le sacrement de pénitence, on n’oublie pas les saints protecteurs, en premier lieu la Vierge Marie. De nombreux moyens sont proposés aux fidèles pour surmonter leurs peurs et se rassurer : les pèlerinages, les processions, le culte des reliques… L’intercession de l’Église semble ne connaître aucune limite avec le sanctuaire de Montligeon (Orne), fondé en 1884 par l’abbé Paul Buguet, qui encourage la célébration de messes au profit des « âmes les plus délaissées du purgatoire ».
Au début du XXe siècle, dans de nombreuses régions, l’autorité du clergé sur les fidèles a fortement baissé. Son emprise ne s’exerce plus que sur une population réduite et majoritairement féminine. Par ailleurs, le discours de l’Église sur l’au-delà et la figure de Dieu maître de la nature sont remis en cause, respectivement, par la philosophie des Lumières et le scientisme. Quant aux discours sur le diable et l’enfer, ils amènent les « esprits forts » à sourire.
Alors que la catégorie de péché (liée à la notion de permis/défendu) est toujours présente chez les catholiques militants du milieu du XXe siècle, d’autres sentiments prennent progressivement le dessus, notamment celui de la proximité avec le Christ, mieux connu par la méditation des Écritures. Les homélies se nourrissent davantage de la parole de Dieu, plus abondante dans la liturgie, et les fidèles sont encouragés à la méditer par eux-mêmes. La morale se dégage de la casuistique inquisitoriale pour se présenter comme une « suite du Christ », valorisant la responsabilité du fidèle.
Certes, la pastorale de la peur a été longtemps présente, mais elle était accompagnée aussi de moyens de consolation. Aujourd’hui, elle a fait place à un appel, pour le fidèle, à s’engager à la suite du Christ, dans une relation d’amour. Si la première approche était tournée vers la masse, la seconde est plus élitiste, car elle appelle à une démarche de foi personnelle. Elle correspond bien davantage à la situation de notre pays où l’Église n’atteint plus qu’une frange de la population. Mais une question demeure : en abandonnant la pastorale de la peur, n’a-t-on pas aussi oublié les consolations, en courant le risque de laisser le chrétien seul face à ses peurs ?

Daniel Moulinet

Vicaire général du diocèse de Moulins, Daniel Moulinet est professeur à l’Université catholique de Lyon (UCLy). Membre de l’équipe de recherche Religions, sociétés et acculturation (Resea) du Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (CNRS), il est aussi responsable des archives historiques et de la bibliothèque diocésaine de l’évêché de Moulins.


L’Enfer, Jérôme Bosch, vers 1501. Longtemps, la pastorale de la peur fut accompagnée de consolations.
© Musée de l’Ermitage, Saint  Petersbourg / Licence Wikimedia Commons

 
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