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Expérience de Dieu - Revue N°95 - Novembre 2025

Ma croissance spirituelle avec Thomas Merton

Après cinq années de travail, Agnès Gros a soutenu, en 2023, une thèse de théologie sur le moine trappiste franco-américain Thomas Merton.
Elle témoigne de l’enrichissement humain et spirituel que ce travail intellectuel a représenté pour elle.


Une thèse de théologie peut emmener beaucoup plus loin qu’un travail de recherche, devenir un chemin de croissance, une école de liberté. Plus de cinq ans en compagnie du moine trappiste franco-américain Thomas Merton (1915-1968) m’ont indéniablement ouverte à une autre façon de vivre ma foi. 
Au départ, j’avais le projet de prolonger mes études de théologie, après un mémoire sur le dialogue entre chrétiens et bouddhistes en Occident. Aimant transmettre, écrire et enseigner, j’ai désiré creuser le dialogue interreligieux avec les maîtres spirituels d’Asie. Le petit livre du jésuite Jacques Scheuer Thomas Merton, un veilleur à l’écoute de l’Orient¹ m’a fait découvrir cet auteur. J’ai dit oui au professeur de l’université de Genève, protestant passionné de monachisme, qui me proposait de travailler sur le dialogue de Merton avec les religions d’Asie.
 

Une immense quête spirituelle

Cela m’a conduite à beaucoup lire. Thomas Merton était d’abord un écrivain qui a tenu son journal toute sa vie d’adulte. Le récit de sa conversion, La nuit privée d’étoiles (paru en français en 1961)² et ses journaux (sept tomes !) m’ont fait plonger dans la vie d’un homme habité d’une immense quête spirituelle. Ses hésitations, ses enthousiasmes (pas toujours mesurés), ses lectures et ses lettres échangées avec des personnalités de tout bord me l’ont rendu proche. J’ai goûté la beauté de son écriture, ses poèmes, son lien avec la nature. J’ai apprécié son besoin de silence, de « centrement », sa faculté de réconcilier les opposés, d’aller au-delà du dualisme et des catégories, sa grande ouverture qui résonnait avec mon engagement dans le dialogue interreligieux. Ce qui m’a le plus marquée ? Sa vision profondément positive de l’être humain, habité par l’étincelle divine.
 

Se vider de son moi illusoire

Suivi par un psychiatre à une période de sa vie monastique, Merton a été influencé par le psychanalyste Carl Gustav Jung. Ce qu’il dit du vrai Moi par rapport au faux Moi est très éclairant. À travers ses écrits, j’ai découvert la notion de kénose (du grec kenosis : action de se dépouiller de tout) : se vider de son moi illusoire – que l’on appelle aussi ego –,
s’abandonner à Dieu pour s’ouvrir au travail de la grâce, au-delà du travail sur soi par la seule force de la volonté. J’ai mieux compris comment pouvaient s’articuler spiritualité et psychologie. L’intégration des dimensions de la personne humaine dont parle Merton rejoint les ignatiens parlant d’être aligné, unifié. Cheminer avec Merton a contribué à mon propre chemin d’unification.

Le moine américain a décrit l’expérience mystique qui lui a fait prendre conscience de l’interdépendance entre tous les êtres. Cette expérience a nourri son engagement pour la justice et la paix. Elle a été à l’origine de sa correspondance avec de nombreuses personnes et de belles amitiés spirituelles, au-delà des différences et des barrières. Merton a pratiqué le dialogue de l’amitié : c’est pour moi l’essence du dialogue interreligieux, qui ne se vit pas seulement dans les livres ou la théorie. Il n’a pas hésité à demander des conseils de prière à un maître soufi³. Il a essayé de comprendre ce que la méditation zen pouvait lui apporter, lui qui vivait intensément sa vie monastique. 

Tout comme le bénédictin John Main, fondateur de la Communauté mondiale de la méditation chrétienne (WCCM), Thomas Merton a fait le lien entre la pratique de méditation de pleine présence inspirée du bouddhisme et la prière du cœur des Pères du désert. Cette découverte m’a amenée à prendre contact avec un groupe de méditation chrétienne. J’y ai rencontré des personnes en recherche dont certaines étaient passées par le bouddhisme. Peu à peu, j’ai incorporé dans mon temps de prière quotidienne un moment de méditation silencieuse, de contemplation où l’on descend de la tête au cœur. La foi profonde de Merton en Christ, et son ouverture, m’ont fait découvrir un Christ universel au-delà des conventions, des rites et des appartenances. Dans ma prière, il m’arrive d’être accompagnée par lui, non pas comme par un « gourou », mais comme une personne qui m’est proche par sa vulnérabilité et ses tentations.

L’unification de vie entre travail intellectuel, vie spirituelle et enseignement m’a fait goûter ce qui fut l’un des grands apports de Thomas Merton : la spiritualité à la portée de tous. J’apprécie les occasions de le faire découvrir à des milieux francophones où il n’est pas encore très connu. J’aime réunir des gens de tout bord autour de ses textes. Cela me permet de rejoindre profondément des personnes en recherche spirituelle. Merton est mon compagnon dans cette « mission de vie ».
Dans ma lecture récente de la biographie d’André Louf par Charles Wright, Le chemin du cœur, j’ai retrouvé Thomas Merton et me suis réjouie de l’amitié entre ces deux trappistes qui ont correspondu. 
Ce travail de thèse m’a convaincue que le plus important est la vie spirituelle, ce chemin de croissance où marcher jusqu’à nos derniers jours. Plus qu’une aventure intellectuelle, ce fut une vraie aventure spirituelle, un pèlerinage vers Celui qui est au centre de notre être.

Agnès Gros,
CVX Provence-Méditerranée-Corse 

¹ Éd. Lessius, 2015.
² Albin Michel, 2005.
³ Le soufisme est un courant mystique de l’islam.
 Éd. Salvator, 2017.

Intéressée par le dialogue interreligieux depuis son séjour à Singapour (2000-2009), Agnès Gros est engagée dans l’association Chemins de dialogue et dans un groupe islamo-chrétien à Marseille. Elle est en lien avec des communautés bouddhistes. En 2023, elle a soutenu une thèse sur Thomas Merton en dialogue avec les religions d’Asie à l’université de Genève.



 
Thomas Merton (ici à g., en compagnie du Dalaï-Lama) a nourri sa vie monastique d’influences très diverses, allant du soufisme au bouddhisme en passant par la psychanalyse : il s’agissait pour lui de suivre le Christ au-delà des conventions, des rites et des appartenances.

© Photographie de Thomas Merton et du Dalaï-lama. » Utilisé avec la permission du Merton Legacy Trust et du Thomas Merton Center de l’Université Bellarmine.




Thomas Merton en dialogue avec les religions d’Asie.

Sa contribution à la spiritualité et au dialogue interreligieux,
Agnès Gros,
Études de théologie et d’éthique,
Volume 24,
éd. Lit Verlag, 2024.


 
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