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Lire la Bible - Revue N°95 - Novembre 2025
Lire l’Évangile de Matthieu
La prochaine année liturgique, qui commence avec l’Avent, est une année « A » : c’est l’Évangile de Matthieu qui sera lu à la messe. Un récit ancien, qui ressemble à ceux de Marc et Luc, mais présente pourtant de riches spécificités. Explications d’une exégète.L’Évangile de Matthieu est le premier du Nouveau Testament, en tête des 27 livres qui le composent. Cette place privilégiée est l’indice que ce texte a été très tôt reçu et lu dans les premières communautés chrétiennes. Dès le IIe siècle, probablement du fait de son contenu largement consacré à l’enseignement du Christ, il a été reçu comme l’Évangile de l’Église. C’est lui que les Pères de l’Église citent le plus souvent.
Il présente d’étroites ressemblances avec ceux de Marc et de Luc. Les discours et récits que ces trois Évangiles rapportent peuvent être mis en parallèle et ainsi « vus ensemble » (en grec synopse), d’où leur qualification d’« Évangiles synoptiques ». À l’exception de quelques versets, la totalité de l’Évangile de Marc (écrit vers 70) est présente chez les deux autres (écrits une dizaine d’années plus tard) et en constitue donc la source principale. Indépendamment de Marc, Matthieu et Luc ont puisé, de manière indépendante, d’une part à une autre source – ce qui explique les versets qu’ils ont en commun –, et, d’autre part, à des traditions propres à chacun d’eux. C’est à partir de ces diverses sources, héritées de la tradition apostolique, et à la lumière de leur foi au Christ ressuscité, qu’ils ont raconté l’histoire de la vie et de la mort de Jésus de Nazareth, pour témoigner, à leur tour, de la Bonne Nouvelle de la venue du Sauveur promis par Dieu à son peuple.
À la croisée des chemins
L’Évangile de Matthieu se situe « à la croisée des chemins ». Plusieurs arguments tirés de sa lecture conduisent à penser que son auteur était un juif appartenant à une communauté majoritairement judéo-chrétienne – des juifs ayant accueilli le message des Apôtres et devenus disciples du Christ. Il vivait à la fin du Ier siècle, dans un contexte de très grande tension avec la synagogue, et ce, alors que l’horizon de sa mission, reçue du Christ, était le monde païen. Par ailleurs, en proclamant, à travers l’enseignement de Jésus, les valeurs du royaume des cieux, Matthieu ne pouvait être qu’en désaccord avec les revendications des autorités romaines. Ainsi situé au carrefour de ces trois mondes – la communauté juive du premier siècle, le monde païen, les autorités romaines –, son récit est un témoin privilégié de la naissance du christianisme.La présence de nombreuses citations scripturaires est une des caractéristiques de l’Évangile de Matthieu. Introduites par la formule « Tout cela arriva pour que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète… », elles inscrivent la nouveauté inouïe des événements rapportés dans la continuité de l’agir sauveur de Dieu et en dévoilent la « plénitude » de sens (selon la racine du verbe grec plèroun, accomplir). Dès les premiers chapitres du récit, l’ensemble de la vie de Jésus est placé sous le signe de l’accomplissement des Écritures. Conformément aux prophéties d’Isaïe, Il est le « fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, […] « Dieu avec nous » (Mt 1,22-23) ; « la lumière qui se lève pour le peuple au milieu des ténèbres » (Mt 4,15-17) ; Celui, qui, tel le Serviteur souffrant du livre d’Isaïe, « a pris nos infirmités et s’est chargé de nos maladies. […] En son nom, les nations mettront leur espérance » (Mt 8,17 ; 12,17). Plus loin, lors de son entrée à Jérusalem, Il est Celui qu’annonçait le prophète Zacharie : « Voici que ton roi vient à toi, humble et monté sur une ânesse et sur un ânon » (Mt 21,4-5). L’Évangile de Matthieu est donc celui de l’accomplissement en Jésus des promesses de Dieu à son peuple Israël.
Une autre caractéristique de ce texte est le lien étroit qu’il établit entre ce thème de l’accomplissement des Écritures et la manière dont il s’est incarné en Jésus. Jésus Lui-même, par deux fois, définit sa mission comme « accomplissement » de la volonté de son Père : « Il nous convient d’accomplir toute justice », affirme-t-Il à Jean Baptiste, lors de son baptême (Mt 3,15). Pour Matthieu, la « justice », c’est « ce qui rend juste » devant Dieu. L’« accomplir » suppose d’être pleinement fidèle à sa volonté, qu’Il a révélée dans la Loi, comme chemin de vie et de salut. Tel est le sens de la venue de Jésus. La théophanie qui suit le confirme : après cette parole, Jésus est immédiatement reconnu comme « Fils bien-aimé » par la voix céleste qui accompagne la descente de l’Esprit de Dieu sur Lui.
Précisément, accomplir la Loi pour faire advenir la justice de Dieu est au cœur du sermon sur la Montagne : « N’allez pas croire que je suis venu abroger la Loi ou les prophètes. Je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. […] Car je vous le dis : si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, non, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (Mt 5,17-20). La suite du récit montrera que Jésus est devenu Lui-même ce chemin d’accomplissement de la Loi. En s’engageant à sa suite, ses disciples pourront redécouvrir le projet d’amour de Dieu contenu dans la Loi et entrer dans une « juste » relation avec Lui. Comme le rappellera la finale de l’Évangile de Matthieu, cela passe par l’attention accordée aux plus petits et à ceux qui souffrent. Cet Évangile est donc celui de l’accomplissement en Jésus de la justice et de la Loi de Dieu.
La spécificité du récit de Matthieu tient enfin à la présence de quelques paraboles qui ne se trouvent pas chez les autres évangélistes. Tout en nous dévoilant des aspects nouveaux de l’enseignement de Jésus, ces paraboles contribuent à en illustrer la richesse et la diversité. La manière dont Matthieu les a organisées dans la structure d’ensemble de son Évangile est également originale et signifiante. Six paraboles dites « paraboles du Royaume » sont regroupées dans le chapitre 13, parmi lesquelles la parabole du Semeur et celle du Grain de moutarde font partie de la triple tradition (mais situées dans un autre contexte chez Marc et Luc) ou de la tradition Matthieu-Luc pour la parabole du Levain. Reliées par la thématique du Jugement, les paraboles de l’Ivraie, du Trésor, de la Perle et du Filet sont propres à Matthieu. En les juxtaposant, celui-ci met sa communauté en garde : son engagement à vivre les valeurs du Royaume enseignées par le Christ engage chacun ultimement devant Dieu et décidera de son salut éternel ou de sa privation pour toujours de l’héritage du royaume des cieux.
Thème du pardon
Une autre parabole propre à Matthieu figure, au chapitre 18, dans le discours que Jésus adresse à ses disciples alors qu’Il marche vers sa Passion à Jérusalem. Centrés sur ce qui fonde leur vie communautaire, ses propos laissent une large place au thème du pardon et invitent les chrétiens à prendre conscience du pardon inconditionnel de Dieu, dont le pardon entre frères doit être le signe. Un peu plus loin dans le récit, on trouve une autre parabole matthéenne, celle des Ouvriers de la onzième heure (20,1-16) liée au thème de la justice de Dieu. À ceux qui concevaient la rétribution comme un salaire dû, Jésus montre que la bonté de Dieu dépasse les catégories humaines ; Il les invite à ne pas éprouver de jalousie face à la générosité de l’amour divin.Quant à la célèbre parabole du Jugement dernier (25,31-46) qui conclut le dernier discours de Jésus, il est important de la situer dans la cohérence de ce qui la précède. Alors que ses disciples ont interrogé Jésus sur le moment et les signes annonciateurs de la venue du Fils de l’homme (Mt 24,3), Il les exhorte à « veiller » en étant fidèles à Dieu dans le quotidien de leur vie (cf. la parabole des Dix vierges en 25,1-13). Les disciples le savent : c’est en se montrant, à l’instar de Jésus, solidaires de tous les « petits » qu’ils témoigneront de leur foi envers le Christ et de leur engagement à sa suite sur le chemin du Royaume. Ils pourront ainsi espérer vivre pour toujours de l’amour miséricordieux de Dieu, sans risquer de se condamner aux tourments éternels d’une vie séparée de Lui.
Odile Flichy

L’appel de Matthieu par Jésus, Le Caravage, 1609. Matthieu appartenait sans doute à une communauté judéo-chrétienne.
Copyright : © église Saint-Louis-des-Français, Rome / Licence Creative Commons CC0 1.0 Universal

L’acteur Paras Patel incarne saint Matthieu dans la série chrétienne The Chosen.
Copyright : © 5&2 Studios.
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Docteur en théologie, Odile Flichy est maître de conférence émérite aux Facultés Loyola-Paris et membre de l’Association catholique française pour les études bibliques (ACFEB). Elle est l’auteur de : L’Évangile de Matthieu, coll. «Mon ABC de la Bible », Odile Flichy, éd. du Cerf, 2016.
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