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Spiritualité ignatienne - Revue N°61 - Septembre 2019

Le magis : un « davantage » plus qu’une performance


Le dynamisme du magis est celui du caractère d’Ignace, un homme de désir. En lisant l’autobiographie d’Iñigo de Loyola, on pressent la culture de l’honneur dans laquelle il a baigné au sein d’une famille noble du pays basque, avec un grand désir d’exceller, d’être le premier. Ce n’est pas par hasard que sur son lit de convalescent, à Loyola, il rêve de conquérir le cœur d’une femme :
« La dame n’était pas de noblesse ordinaire : ni comtesse, ni duchesse, mais d’une condition plus élevée encore » (Récit, n° 6). C’est ce dynamisme premier que la grâce de Dieu va transformer pour l’orienter au service et à la louange de sa Divine Majesté, pour sa plus grande gloire, finalité de l’existence humaine.
Voyons en quoi consiste ce « plus », dynamique essentielle de l’amour et du service, et la vigilance nécessaire pour canaliser cette force au service de Dieu, car elle est susceptible de dérapages. Ce que nous apprennent les Exercices, c’est la générosité éclairée par la lucidité du discernement (discreta caritas).

La dynamique du magis dans les Exercices

Ce désir de mieux aimer et mieux servir, dans lequel se résume le magis d’Ignace, c’est le ressort des Exercices, l’impulsion qui fait passer le retraitant d’une étape à l’autre. Relevons-en quelques moments-clés :

•    Le Fondement (Exercice n° 23) Au seuil des Exercices, le texte du Fondement met le retraitant devant le sens de l’existence humaine : son but et les moyens pour la réussir. Cela implique une liberté intérieure pour choisir, parmi tout ce qui se présente à nous, ce qui nous conduira davantage à notre fin : « Si bien que nous ne voulions pas plus santé que maladie, richesse que pauvreté,… mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés. »
 
Ce moteur de la décision, c’est la force du désir aimant qui nous pousse à choisir ce qui nous conduit davantage au but de notre existence, qui est Dieu. Le magis est un amour préférentiel, source de liberté par rapport à tout.

•    L’offrande de soi au Roi du monde (Exercice n° 97)
Après l’expérience du péché pardonné, c’est-à-dire d’avoir été sauvé, « gracié » comme un condamné à mort à qui le président remet sa peine, le retraitant entre dans la deuxième Semaine pour se mettre avec toute son énergie à la suite de son Sauveur. La parabole du Roi ouvre cette étape : appel non seulement à travailler pour le Roi, mais à vivre avec lui et comme lui, à sa manière, partager son style de vie, ses souffrances et ses humiliations.

« Ceux qui voudront davantage s’attacher et se distinguer en tout auprès de leur Roi éternel et Seigneur universel… feront une offrande de plus grande valeur et de plus grande importance, disant : je veux et désire, et c’est ma décicion déterminée, vous imiter en endurant tous les outrages… »
Le magis est un désir de conformité toujours plus grande avec le Christ.

•    La demande de conformité au Christ en deuxième Semaine (Exercice n° 104)
La contemplation de l’Incarnation suit celle du Règne. La grâce demandée est une connaissance intérieure du Seigneur qui pour moi s’est fait homme afin que je l’aime et le suive davantage.
Le magis est un « plus » dans la qualité de l’amour.

•    Le désir s’incarne dans une décision (l’élection) (Exercices n°179- 180, 189)
Le compagnonnage avec le Christ, l’union à lui dans les mystères de sa vie apostolique, conduit le retraitant à concrétiser son désir de service dans une décision de conversion (qu’il s’agisse du choix d’un nouvel état de vie, ou d’une réforme de sa manière de vivre). L’attitude de liberté intérieure du Fondement est alors renouvelée, de sorte que, devant les différents choix possibles, « je me tienne comme au centre d’une balance, pour suivre ce que je sentirai être davantage à la gloire et à la louange de Dieu notre Seigneur et au salut de mon âme » (n° 179).

Puis vient la demande de grâce pour bien choisir : « Demander à Dieu notre Seigneur qu’il veuille mouvoir ma volonté et mettre en mon âme ce que je dois faire… qui soit davantage à sa louange et à sa gloire. » (n° 180)
Dernière remarque concluant la démarche centrale de la décision vitale au cœur des Exercices :
« On ne voudra ni ne cherchera rien d’autre, en tout et pour tout, qu’une plus grande louange et gloire de Dieu notre Seigneur, car chacun doit penser qu’il progressera d’autant plus en toutes choses spirituelles qu’il sortira de son amour, de son vouloir et de ses intérêts propres. » (189)

Le magis est une prise de décision réalisée pour un amour en actes et en vérité, car nous dit Ignace à la suite de saint Jean, l’amour se prouve plus dans les actes que dans les paroles.

« …pour une gloire de Dieu plus grande », refrain des Constitutions

Considérée comme la devise des jésuites, l’expression ad majorem Dei gloriam ponctue constamment toute l’activité de la Compagnie de Jésus programmée dans les Constitutions. Il convient de traduire le comparatif de supériorité latin majorem de façon exacte :
« pour une gloire de Dieu plus grande », ce qui est une autre formulation du magis. Il ne s’agit pas de l’orgueilleux superlatif absolu (qui serait exprimé par le latin maximam), « la plus grande gloire de Dieu », si fréquent dans la publicité : « the best in the world » ! Non, il s'agit simplement, avec nos pauvres moyens, de faire avancer un tant soit peu le règne de Dieu pour qu’il soit mieux reconnu, mieux aimé.
 
Magis, dynamique de la vie et de l’amour

Cette dynamique du magis est certes une caractéristique de la spiritualité ignatienne, du fait de sa forte récurrence, elle n’en est pas pour autant une « exclusivité » : caractéristique d’abord du désir, de la vie et de l’amour, elle est au cœur de l’évangile. Jésus la formule de façon énigmatique à la fin de la parabole des talents :
« à celui qui a, il sera donné et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré » (Matthieu 25, 29). Même si nous savons que l’argent appelle l’argent, et que la pauvreté est une spirale entraînant à la catastrophe, ce n’est évidemment pas de cela dont Jésus veut nous parler. De quoi donc, alors ? J’entends pour ma part un appel à correspondre au dynamisme de la vie que Dieu a mis en nous, nous conduisant à avancer sans cesse ; refuser cette source en nous, laisser s’atrophier le désir nous conduit – dans tous les domaines – non pas seulement à la stagnation, mais à la déchéance.

Vigilance  devant les dérives possibles du magis

Se souvenant des premiers temps de sa conversion, Ignace raconte :
« Il décidait de faire de grandes pénitences… Et ainsi, lorsqu’il se souvenait de faire quelque pénitence que les saints avaient faite, il se proposait de la faire, et même davantage. Et il trouvait toute sa consolation dans ces pensées, ne considérant aucune chose intérieure et ne sachant pas ce qu’étaient l’humilité, ni la charité ni la patience, ni le discernement pour régler et mesurer ces vertus » (Récit n° 14).

Nous voyons là apparaître notre « davantage », mais qui dérape dans l’orgueil, d’un « toujours plus » fruit de notre volonté propre, de l’obsession de vouloir nous prouver notre propre valeur. Comment ? En en rajoutant sans cesse, sans se demander si c’est bien cela que Dieu attend de nous, sans voir que nous sommes en train de multiplier les choses que Dieu ne nous demande pas pour échapper à celles qu’ i l attend de nous. Jonas fuyant Ninive. C’est la « tentation sous couleur de bien » qu’Ignace a suffisamment éprouvée à Manrèse, et plus tard pendant ses études, pour être à même de nous aider à la repérer dans nos vies.

On a souvent souligné que notre monde moderne s’est construit sur un ethos de réussite, de rendement, d’efficacité : pour produire plus, mieux, moins cher, plus vite, on exige toujours plus de chacun, d’être toujours plus « performant ». Nous nous essoufflons à courir derrière ce modèle de « champions » que nous nous imposons, désespérés de ne pouvoir le réaliser. Mais est-ce bien cela que Dieu nous demande ? Le magis ne consiste pas dans l’accumulation fébrile d’un « toujours plus » quantitatif ; c’est le désir de répondre toujours mieux à ce que Dieu attend de nous, qui n’est pas forcément ce que nous avions pensé lui offrir…
Jacques Fédry, s.j.



Photo: « Ignace convalescent rêve de conquérir le cœur d’une femme… C’est ce dynamisme premier que la grâce de Dieu va transformer ».
Crédits photos: © Carlos Saenz de Tejada, Jesuit Institute London 
© Building at Boston College


 



 
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