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Spiritualité ignatienne - Revue N°77 - Mai 2022
Le discernement en commun
« L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé … » (Ac 15,28). L’Eglise est en route vers le prochain Synode dont le thème est « Pour une Église synodale : communion, participation et mission » ; le mot « synode » signifie étymologiquement « marcher ensemble ». Une invitation à vivre le discernement en commun…Dans son discours d’ouverture du synode sur la synodalité, le Pape François déclarait (1) : « Chacun porte dans son cœur des questions et des espérances. Je suis sûr que l’Esprit nous guidera et nous donnera la grâce d’avancer ensemble, de s’écouter mutuellement et d’initier un discernement sur notre époque, en devenant solidaires des efforts et des désirs de l’humanité. » Plus tard, il disait (2) « Aujourd’hui, l’art du discernement est de plus en plus attendu des chrétiens. »
C’est dire l’actualité du discernement, en particulier du discernement en commun. Cela rejoint la soif de nos contemporains d’être écoutés, consultés, voire d’être associés aux décisions qui les concernent ; il suffit de regarder les mouvements revendicatifs de tout genre, la méfiance vis-à-vis des dirigeants, les réactions à des abus de pouvoir, …
Est-il légitime de parler de discernement en commun ?
On parle généralement de discernement quand un chrétien cherche à conduire sa vie selon l’Evangile. Cela en fait une notion personnelle. Dès lors, peut-on parler d’un discernement pour un groupe ?
Un groupe n’est pas qu’une addition d’individus ; il est constitué de personnes qui ont un objectif commun ; on peut dire, pour nous chrétiens, qu’il a été rassemblé par le Seigneur avec un « appel » particulier, qui fonde son identité propre. Il en est ainsi, par exemple, du peuple hébreu dans l’Ancien Testament, des Apôtres appelés par Jésus, des premières communautés chrétiennes, …
Si Dieu a appelé un groupe, c’est pour le guider comme il guide une personne. Le groupe doit donc prendre conscience que Dieu est son bon berger (Ps 22), chercher à mieux s’ajuster à lui et aller là où Dieu le conduit. Ainsi le groupe doit-il faire un travail consistant à scruter la réalité qui est la sienne et choisir le chemin de vie qui s’offre à lui. Cela est bien un discernement en commun.
Nous avons sans doute tous fait l’expérience qu’un groupe peut vivre des mouvements intérieurs, qui s’apparentent à ce que peut vivre une personne, avec des temps de consolation ou de désolation. Un exemple est ce que vivent les disciples au soir de la résurrection : « … Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : "La paix soit avec vous !" Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur » (Jn 20, 19-20) ; c’est une véritable consolation de groupe ! Or il est important de repérer ces mouvements dans le groupe, parce que, par là même, celui-ci peut reconnaître l’action du Seigneur en lui et alors prendre des décisions qui vont dans son sens.
Un exemple du travail de décision d’un groupe face à un problème concret se trouve dans les Actes des Apôtres : L’Eglise primitive, devant la question de savoir s’il fallait ou non circoncire les païens qui se convertissaient, a réuni les Apôtres et les Anciens, pour chercher quelle conduite tenir ; après délibération, ceux-ci ont conclu « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé… » (Ac 15,28).
Les Apôtres et les Anciens ont voulu mettre en avant le rôle de l’Esprit Saint. En effet, un groupe qui cherche à discerner doit avoir la conviction que l’Esprit Saint agit au-dedans de lui ; l’Esprit de Dieu est offert à tous, même au plus petit, au plus pauvre, au moins considéré. L’écoute de l’Esprit chez les autres, comme dans les interactions au sein du groupe est primordial : « Celui qui a des oreilles, qu’il entende ce que l’Esprit dit aux Églises » est-il dit à chacune des sept Eglises au début de l’Apocalypse (chapitres 2 et 3).
On peut se poser la question de savoir comment articuler le discernement personnel de chaque membre et le discernement que le groupe est amené à faire. Le discernement en commun n’est pas l’addition des discernements personnels. Lorsqu’un groupe recherche ensemble le désir de Dieu pour lui-même, chaque membre doit à la fois donner ce qu’il porte en lui et être ouvert, avec souplesse, à une perspective plus large faite de l’apport de tous ; cela suppose une disponibilité à une conversion du cœur. Ces deux mouvements, être soi-même et chercher l’union aux autres, sont à vivre ensemble. C’est l’Esprit Saint qui est l’artisan d’une communion où chacun est ce qu’il est, tout en étant pleinement uni aux autres, même si un passage d’une certaine mort à une résurrection est à vivre.
Comment mettre en œuvre le discernement en commun ?
Ici est abordée sommairement la manière de procéder d’ESDAC (Exercices Spirituels pour un Discernement Apostolique en Commun), qui s’inspire des Exercices Spirituels de St Ignace.
En fonction de l’état du groupe et de ce qui est à discerner, il faut chercher par quelles étapes faire passer progressivement le groupe, dans la logique des Exercices, pour arriver au but ; par exemple, relecture du passé avec célébration de la miséricorde, écoute de l’appel de Dieu, choix des moyens pour y répondre et confirmation.
A chaque étape, un temps de prière personnelle est nécessaire, prenant appui sur une feuille de prière commune, avec un texte biblique et des pistes aidant à faire le lien entre le texte et le vécu. Puis vient la conversation spirituelle entre les membres du groupe qui permet, dans un premier tour, à chacun de s’exprimer ; puis, dans un deuxième tour, les personnes partagent ce qui les a touchées dans le premier tour ou ce qui leur semble éclairant pour le groupe ; ce partage contribue à faire converger plusieurs « je » vers un « nous », tout en respectant la singularité de chaque « je ». C’est ainsi que, tout au long du parcours de discernement, le groupe progresse vers un sentir commun. Dans un troisième tour, on se tourne vers le Seigneur dans une prière commune. Dans un groupe un peu nombreux, il convient de passer par des petits groupes, avant de se retrouver ensemble ; à chaque fois, par la conversation spirituelle, le « nous » se construit et s’élargit au groupe entier.
Ce « sentir commun » ou consensus n’est pas l’unanimité dans le sens où on l’entend dans la société civile (vote où aucune voix contre n’est constatée). Il ne faut pas avoir peur des prises de parole qui ne vont pas dans le sens dominant, mais au contraire y voir, avec un a priori favorable, en quoi elles peuvent contribuer à infléchir ce qui se dessine dans le groupe. Le but est atteint lorsque le groupe se sent conduit par un mouvement qui ne vient pas de lui, sans forcément en connaître toutes les implications, et adhère à ce mouvement, même parfois, pour certains membres, au prix d’un combat intérieur.
Dans tout ce parcours, il est essentiel de choisir ce qui est le plus important pour aller à Dieu. « Dans ma prière, je demande que votre amour vous fasse progresser de plus en plus dans la pleine connaissance et en toute clairvoyance pour discerner ce qui est important. » (Ph 1, 9-10a). Autrement dit, le discernement ne vise pas seulement à repérer le mal pour s’en écarter, mais aussi à choisir, entre diverses options bonnes en soi, celle qui donnera davantage vie dans la situation singulière où se trouve le groupe.
Pour éviter toute ambiguïté, un tel processus suppose, dès le début, de bien définir le rôle du (ou des) responsable(s) du groupe et à qui revient le pouvoir ultime de décision.
On voit bien qu’un discernement en commun exige du temps ; si on va trop vite, le groupe risque de mal vivre le fait de ne pas pouvoir s’exprimer jusqu’au bout ; pour que la parole soit libre, il faut instaurer, surtout si le groupe a des difficultés à partager, un climat d’écoute et d’a priori favorable (sans oublier la nécessité de la confidentialité).
Mais l’enjeu en vaut la peine : quand un groupe fait l’expérience que l’Esprit le conduit dans un discernement, l’enthousiasme le gagne et la communion entre membres se renforce.
Jacques Fremiot;
Membre d’ESDAC
(1) Discours d’ouverture du synode, 9 octobre 2021
(2) Discours devant la congrégation pour la doctrine de la foi, 21 janvier 2022
Photo illustration : © Sébastien Desarmaux / Godon
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