L’Asie-Pacifique, nouveau centre du monde

La région Indo-Pacifique joue désormais un rôle primordial sur les plans économique (elle assure 60 % de la croissance mondiale en 2025) et militaire (avec le nouvel axe politico-militaire Russie, Iran, Chine, Corée du Nord).


La guerre d’Ukraine, le conflit israélo-palestinien, le programme nucléaire iranien et la brutalisation du monde par l’administration Trump ne doivent pas faire oublier où est désormais le centre du monde : la région Asie-Pacifique (souvent nommée Indo-Pacifique). L’indispensable fluidité des échanges commerciaux bi-océaniques et le libre accès à nos outremers en sont le cœur battant. Mieux saisir ce qui s’y déroule est indispensable pour anticiper ses effets sur nos intérêts et pour dialoguer, voire coopérer avec ses nations. Pour une bonne part, la santé de nos entreprises, leurs innovations technologiques, l’influence diplomatique internationale de la France et de l’Europe, voire notre sécurité, en dépendront.
L’agression de l’Ukraine par la Russie a mis en lumière combien la sécurité européenne est imbriquée avec celle de l’Asie-Pacifique. Une première depuis la fin de la Guerre froide ! Le recours à la force par le Kremlin au mépris du droit international, les bombardements russes sur des cibles civiles, laissent entrevoir un monde régi par une coercition armée qui pourrait bien être aussi employée au cœur même de l’économie mondiale, en Asie du Sud-Est et/ou du Nord-Est.
Faits sans précédent dans l’histoire européenne, la Corée du Nord a déployé des soldats pour combattre au côté de Poutine, à qui l’Iran a fourni des drones et la Chine des technologies duales¹ pesant lourd dans l’effort de guerre russe. Ces soutiens conduisent certains Occidentaux à penser qu’un nouvel axe politico-militaire se constitue. Ils l’affublent d’un acronyme anglophone : RICNK (pour Russie, Iran, Chine, Corée du Nord) et de surnoms anxiogènes (« axe de bouleversement », « nouvelle alliance autocratique », « Quatre Affreux »…).
 

Acteurs anti-occidentaux

Avec ces acteurs anti-occidentaux, de nouveaux assemblages multilatéraux se font face. L’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) se rapproche du groupe de quatre nations d’Asie-Pacifique (4AP : Australie, Corée du Sud, Japon, Nouvelle-Zélande) tandis que d’autres plateformes intergouvernementales se font jour : en 2007 le Quad, Dialogue quadrilatéral pour la sécurité associant Canberra, New Delhi, Tokyo, Washington ; le Partenariat trilatéral de sécurité Australie – États-Unis –Royaume-Uni (Aukus, 2021).
De son côté, pour trouver sa place, la France a élaboré une stratégie Indo-Pacifique en 2018 (révisée en 2022 et 2025), aidé l’Union européenne à faire de même (2021), multiplié ses déploiements aériens (missions Pégase 2018, 2022, 2023, 2024) et maritimes (groupe aéronaval en 2024-2025), exporté des équipements stratégiques vers ses partenaires clés (avions de combat, satellites d’observation, sous-marins).
Mais si l’Asie-Pacifique est un espace stratégique majeur traversé par des défis qui gagnent en intensité, avec des perspectives d’affrontements paroxysmiques, c’est aussi une aire structurante de l’économie mondialisée et son principal moteur de croissance, soit 60 % en 2025. C’est également une zone clé du commerce international (50 % du trafic de conteneurs). Ce dynamisme va de pair avec une structuration économico-financière autour de la Chine continentale et une reconfiguration des forums régionaux de coopération. L’Asie s’organise par elle-même et pour elle-même. À bien des égards, elle se « dé-occidentalise ». Depuis 2020, un Partenariat économique régional global (RCEP) réunit les trois principales économies (Chine, Corée, Japon) et au total quinze États, soit près d’un tiers de la population² et du produit intérieur brut de la planète.
 

La région est résiliente

Certes, depuis début 2025, le (re-)centrage du régionalisme asiatique connaît des turbulences dues à un unilatéralisme sino-américain croissant et pesant (hausse des droits de douane, restrictions à l’exportation de technologies et de matières premières). Mais la région est résiliente. Sans bruit, elle s’adapte aux nouvelles configurations géo-économiques. Au centre du centre de l’Asie-Pacifique, les dix États membres de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean) subissent en premier lieu les vents contraires, mais s’adaptent avec diligence. Bien que confrontés à la guerre civile birmane depuis février 2021 et aux affrontements armés à la frontière khméro-thaïlandaise (24-27 juillet 2025), ils s’apprêtent à accueillir dans leur rang le Timor oriental, à tirer avantage de la stratégie euro-américaine (dite Chine + 1) réorganisant les chaînes de valeur pour limiter la dépendance à Pékin, et à devenir la quatrième économie du monde en 2040.
Vis-à-vis de l’Asean, la France, partenaire de développement, et l’UE, partenaire stratégique, ont tout à gagner à se montrer à la hauteur de leurs statuts obtenus en 2020. Paris promeut à l’échelle macro-régionale des partenariats de souveraineté. Dans ces relations se jouent une coalition des indépendants, nos capacités à relever les défis environnementaux et économiques et, plus encore, notre lutte contre l’érosion du multilatéralisme.

Christian Lechervy

¹ Technologies utilisables à des fins civiles et militaires.
² L’Inde s’est retirée du projet en 2019.



Un défilé militaire à Pékin le 3 septembre dernier. La sécurité européenne
est imbriquée avec celle de la région Asie-Pacifique.
© CNSphoto : Alamy Images


Ancien ambassadeur de France en Birmanie, auprès de la Communauté du Pacifique et au Turkménistan, Christian Lechervy est co-auteur, avec Sophie Boisseau du Rocher, de :
L’Asie–Pacifique. Nouveau centre du monde, Odile Jacob, 2025, lauréat du prix du Livre géopolitique 2025.