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Contrechamp - Revue N°88 - Mai 2024

La paix est un combat de tous les instants

Spécialisée en justice restaurative, la xavière Thérèse de Villette rappelle qu'il n'y a pas de paix sans un travail permanent pour lutter contre les « structures neurologiques » qui sont inculquées dès l'enfance et qui sont aux racines du rejet, de la méfiance, de la haine et finalement de la violence et de la guerre.

Assaillis par les images et les nouvelles d’un monde déchiré par les guerres, agressés par les bruits du voisinage ou de nos appareils numériques, nous soupirons : « Fiche moi la paix ! ». À cette réaction spontanée, s’ajoutent parfois des crises d’angoisse, un manque de confiance en soi, un mal-être persistant. Comment trouver le bien-être intérieur ? Certaines méthodes (relaxation, respiration, sport, sommeil, pratiques de yoga, etc.) prônent le retour au calme, tant pour notre corps qui a besoin de pause, que pour notre psychisme qui a besoin de détente. L’environnement peut jouer aussi : certaines personnes sont douées pour créer un espace de silence, de beauté, de musique douce et de petits plats bien présentés... autant de délicatesses qui favorisent le bonheur de vivre ensemble. Une certaine maitrise de l’incontournable smartphone aide aussi à retrouver cette tranquillité dont nous rêvons.
Mais la paix ne dépasse-t-elle pas cette sérénité ? Ne la demandons-nous pas lors de chaque Eucharistie à « l’Agneau de Dieu », comme fruit de l’Esprit ? N’est-elle pas, au cœur de nos relations, ce souffle que nous devinons en Jésus de Nazareth ? Ce Juif formaté par les traditions d’Israël ose s’opposer à la Loi pour ouvrir un espace nouveau. Son autorité étonne tout le monde. Il renverse même les comptoirs du Temple. Il apaise la tempête « Silence, tais toi ! » et libère l’épileptique. D’où Lui vient cette force intérieure qui Lui permet, par son regard, sa parole et ses gestes, de guérir et d'éveiller le meilleur en celui qui ose L’approcher, fut-il lépreux ? D’où Lui vient donc cette paix, sinon de sa « demeure » dans le Père ? De son intimité, de sa recherche constante de la justice au sens d’ajustement à la volonté du Père dans un combat qui le conduira à la croix. 

Jésus : « Si tu le veux tu peux me purifier » (Lc 5,12 et Mt 8,2) ? N’essayons pas de l’imiter mais laissons-le combattre en nous. Il nous renvoie à notre liberté pour anticiper, prendre le temps d’analyser, de réfléchir, de prendre conseil... Nous pouvons alors relativiser la complexité ou l’aspect dramatique de notre situation. En regardant les choses sous Son regard, nous retrouverons confiance et paix.
« Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac ! ». Jésus nous demande de laisser tout accessoire de sécurité et de prestance sociale et de s'offrir à l'autre désarmés : « Dites d’abord : paix à cette maison. S’il y a un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui, sinon elle reviendra vers vous. Annoncez le Royaume de Dieu est tout proche» (Lc 10, 3-9). Ainsi, nous offrons la paix qui nous est donnée mais nous n’avons pas à nous affoler si l’autre la rejette.

Paradoxalement, la paix est un combat. Car nous savons bien qu’en nous certaines tendances (préjugés, jugements toxiques, égoïsmes, etc.) sont toxiques et produisent l’exclusion, la haine et finalement la guerre. Alors d’où vient cette connivence, malgré nous, avec le mal ? Des chercheurs américains, soucieux de guérir les effets de la « radicalisation », s’interrogent sur
« les racines de la haine »1. Ils les relient à l’activation d’une « structure neurologique » dans la région frontale de notre cerveau. Le temps d’un millième de seconde, le cerveau catalogue un inconnu en fonction de son apparence et de son comportement sur la base d’images inculquées inconsciemment par notre héritage génétique, et les multiples habitudes de notre environnement. Cette tendance durable, formatée en nous, vise à nous protéger d'une éventuelle menace et à nous donner un sentiment de sécurité. De fait, la peur et l’isolement sont très liés à la haine. 

Mais nous sommes libres de lutter contre ces structures neurologiques. Si nous décidons d’humaniser l’autre, de s’ouvrir à sa différence, nos ondes cérébrales et notre rythme cardiaque peuvent alors se synchroniser. Lorsque l’on commence à apprécier le fait que l’autre a des pensées, des sentiments et des croyances propres, bien des opinions négatives s’effondrent et d'autres perspectives de compréhension s'ouvrent. C’est ce que l’on nomme « la théorie de l’esprit »2. Construire la paix, c’est donc être vigilant à ses propres réflexes et ouvrir des espaces pour s’asseoir ensemble, interagir et se parler. Des initiatives comme le Cised3, dont la Communauté de Vie Chrétienne est partenaire, en est un exemple : il réunit dans la convivialité des étudiants étrangers, ressortissants de pays ennemis et en guerre.

La paix est peut-être une utopie mais elle est aussi mobilisatrice. La paix est un travail, une béatitude : « Heureux les artisans de paix, ils seront appelés Fils de Dieu » (Mt 5, 9). La paix rend capable de regarder avec le regard du Père qui façonne l’humanité à l'image de sa famille. Cet ajustement est justice (ces deux mots ont une même racine). Il n'y a donc pas de paix sans justice, qu'il s'agisse d'action politique ou syndicale, mais aussi des petits actes de la vie quotidienne. Ce respect des différences et de l’égalité entre tous, y compris des plus pauvres, est lumière pour notre monde en tempête. À Marseille, en novembre 2023, le pape François a d'ailleurs repris cette image : « Allez de l’avant, soyez courageux ! Soyez un phare de paix, pour anéantir, grâce à la culture de la rencontre, les abîmes ténébreux de la violence et de la guerre ».

Thérèse de Villette

Thérèse de Villette, religieuse xavière, est criminologue spécialisée en justice restaurative. Après une maitrise dans cette discipline à l’Université de Montréal, elle l'a pratiquée durant dix-sept ans au Québec et en Côte d’Ivoire, sous la forme de Rencontres en groupe entre Offenseurs et Victimes (ROV). Autrice d’ouvrages et d’articles sur cette forme de justice, elle est à l’origine de l'association « Justice Autrement » qui offre le service des ROV aux victimes et auteurs d’abus sexuels, commis notamment dans l’Église.

1- Le Dossier « Après la prison, dialogue avec mon agresseur », La Croix L'Hebdo, 4 avril 2024, Éd. Bayard, 4,50 €.
Le récit inédit d'un père et sa fille, tous deux engagés dans une médiation restaurative.

2- La Croix L’Hebdo n° 218 (2 février 2024) : Le Dossier « Aux racines de la haine », pages 25-27.
3- En neuropsychologie, le concept de théorie de l’esprit (Theory of Mind) désigne la capacité mentale d’inférer des états mentaux à soi-même et à autrui et de les comprendre. C'est une aptitude cognitive permettant d’imputer une ou plusieurs représentations mentales aux autres individus.
4- Centre d’Initiative et de Services des étudiants de Saint-Denis : www.cised.fr
 
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