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Repères ignatiens / Repères ecclésiaux - Revue N°76 - Mars 2022

Foi et conscience politique

La recherche du bien commun et sa réalisation, voilà comment l’Église définit la politique, notamment depuis Vatican II. En ce sens, les chrétiens, rappelle Jacques Enjalbert sj, ne peuvent s’en désintéresser et la pluralité de leurs opinions est légitime. Il nous donne des repères qui, avec la foi, peuvent aiguiser notre conscience politique.

Dans la ligne traditionnelle de l’Église, le Concile Vatican II reconnaît dans Gaudium et Spes la nécessité de la politique. Sa visée est la recherche et la réalisation du bien commun que la communauté civile ne peut, à elle seule, réaliser. Ce n’est qu’en conjuguant les différentes forces qui la composent dans une communauté politique qu’elle peut mandater, orienter et contrôler l’autorité publique pour que cette dernière oriente vers le bien commun les énergies de tous, garantisse et protège la dignité et les droits des personnes et des minorités, contrôle l’économie, assure pacifiquement le remplacement des dirigeants, protège les libertés, réduise les injustices, donne à chacun de contribuer activement au bien de tous et crée les conditions de l’amitié sociale dans laquelle chaque peuple peut renouveler perpétuellement l’identité d’une appartenance commune.

Un dialogue permanent

La démocratie y est reconnue comme la forme politique qui peut le mieux permettre à tous de prendre librement et activement part à cette charge du bien commun. Encore faut-il qu’elle ne se limite pas à la seule victoire d’une majorité sur une minorité. Mais, en vue du bien commun qui demande de prendre en compte tous les hommes et tout l’homme, que tous, y compris les plus pauvres, puissent prendre part à un dialogue permanent qui vise la compréhension réciproque des positions et des motivations de l’autre. La pluralité des opinions et de votes des croyants y est donc légitime. Car chacun ne perçoit pas les enjeux sous le même angle et une pluralité bien vécue est le gage de la quête du bien commun. Rien ne peut donc justifier « le scepticisme ni l’absentéisme des chrétiens pour la chose publique » (Jean-Paul II – Christi fideles laici).

La participation à la politique peut prendre de multiples formes, économique, sociale, législative, administrative, culturelle… et cet engagement pour une société plus juste se révèle une des plus hautes formes de la charité. Dans cette optique, le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France rappelle dans la déclaration L’espérance ne déçoit pas de janvier 2022 que, si nos institutions sont imparfaites et perfectibles, on ne peut s’abstenir de voter. Comme ils l’avaient fait pour les élections de 2017, les évêques nous invitent à faire de l’interrogation biblique « Qu’as-tu fait de ton frère ? » l’exigence principale qui déterminera nos choix électoraux en associant à la vigilance éthique et sociale le souci de l’espérance.

Discerner en conscience

Assistée par l’enseignement de la Doctrine sociale de l’Église, notre foi doit aiguiser notre conscience, en nous gardant de l’aveuglement des intérêts personnels tout autant que de la tentation du politique qui aurait solution à tout. Pour les évêques, il s’agit autant d’être vigilant au respect inconditionnel de toute vie humaine, en résistant à la tentation d’euthanasie ou en veillant aux conditions d’accueil de la vie naissante, qu’attentif aux projets et conditions qui contribuent à l’amitié civique ; de veiller tant au respect scrupuleux de la liberté des personnes qu’à l’exigence d’égalité et de fraternité et à une place légitime et positive de toutes les religions ; au respect de la loi qu’à la mise en œuvre des moyens sécuritaires nécessaires ; à l’urgence écologique d’une vie plus sobre basée sur les relations interpersonnelles et à l’évolution des structures de production et de consommation que du respect de la structure familiale, de la vérité de la filiation et de la vigilance dans les recherches bioéthiques ; à la lutte contre la misère et aux conditions de vie des neuf millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté qu’un refus de prendre son parti des drames que vivent les migrants ; à traiter ces derniers avec humanité et générosité autant qu’à mettre en œuvre une légitime régulation juridique et le développement d’une aide internationale, etc. Dans la complexité de l’offre politique, chacun est appelé à discerner face à ces multiples enjeux ce qui relève de l’impossibilité de conscience de ce qui est encore acceptable pour promouvoir le meilleur possible.

Écouter la clameur des pauvres

Pour éclairer plus avant ce discernement, on pourra lire ou relire les deux encycliques du pape François. L’appel de Laudato si’ à une conversion écologique est plus urgent que jamais. Le pape nous appelle à nous mettre à l’écoute de la clameur des pauvres et de la Terre et à mesurer à quel point tout est lié. À l’automne 2020, Fratelli tutti a de nouveau interrogé le « paradigme technocratique » qui fait courir le risque de la concupiscence et conduit à enfermer chacun dans l’immanence de son moi, son groupe, ses intérêts mesquins. François y pointe tout autant la tentation populiste de fermeture qui défigure le terme de peuple et propose de fausses solutions qui font fi du temps nécessaire aux réformes en profondeur, que les visions libérales et individualistes où la société est considérée comme une somme d’intérêts. À l’opposé, François comme les évêques de France soulignent la nécessité de développer une culture de la rencontre, de l’écoute et du soin ; la mise en place de processus de dialogue entre les différentes réalités sociales, scientifiques, culturelles et religieuses pour faire émerger les éléments renouvelés d’un projet commun dans lequel puisse se forger une identité nationale ouverte. Sur ce chemin, il faut pointer l’importance du développement d’initiatives locales et communautaires concrètes qui déploient « un sens solidaire qui est en même temps conscience d’habiter une maison commune que Dieu nous a prêtée » (Fratelli tutti).

P. Jacques Enjalbert sj,
communauté Saint-Ignace à Paris (Sèvres)
aumônier des étudiants de Sciences Po Paris et aumônier régional Chrétiens en Grande École

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