De la musique en monde rural

Il y a 10 ans, alors que j’étais responsable d’une résidence d’artistes, il m’a été confié la mission d’imaginer et initier une action artistique et sociale à destination du monde rural, plus particulièrement auprès des personnes âgées ou isolées. Action que j’ai appelée « Hors Saison Musicale ».
Depuis 2012, d’octobre à avril, nous parcourons les campagnes en compagnie de musiciens professionnels qui apportent divertissement, joie et réconfort à des personnes fragilisées par l’âge, la maladie ou l’isolement, et offrent de magnifiques concerts aux habitants du monde rural.
Au cours de nos pérégrinations dans les villages où nous prenons le temps de nous arrêter, nous rencontrons des visages et des histoires multiples.
Ce sont des dizaines de bénévoles qui organisent localement nos interventions musicales et les concerts. Chacun a sa raison d’agir, par amour de la musique, mais surtout et souvent par envie de faire pour sa communauté, ses proches, son village. Qu’elles soient politiques, engagées dans des organisations sociales ou culturelles, ou simples citoyens, toutes ces personnalités prennent du temps bénévolement pour l’autre, et témoignent ainsi d’une forme d’amour pour leur prochain. Hébergement, repas, transports, coordination… ce sont de nombreuses mains qui bâtissent ensemble un projet autour de la venue de ces artistes.

Devenir passeur de beauté

Les musiciens jouent dans des conditions bien différentes des salles de concert parisiennes ou internationales. Beaucoup témoignent du sens profond de leur métier de « passeur de beauté » que leur révèlent ces actions sociales. Jouer pour l’autre, s’adresser à un public moins averti, dont les réactions sont souvent sans filtre. On découvre leur générosité et cet amour des plus fragiles pendant ces deux ou trois journées passées au cœur d’un village, hors du temps, durant lesquels les conventions sont restées à la porte, sorte de révélation cathartique.

Les histoires se croisent, les personnes se rencontrent

Accueillie dans une ferme bourguignonne, la violoniste se rappelle, quand, petite fille, en Normandie, elle accompagnait sa grand-mère à l’étable pour traire les vaches. Le dimanche, à l’aube du concert, elle enfile une cote de travail pour aller dans la stabulation avec son hôte, éleveur de charolais, ébahi.
La vieille dame, hors d’âge, recroquevillée et légère comme une feuille d’automne dans son fauteuil roulant, résidente délaissée d’un EHPAD au fond du Berry, fredonne toutes les mélodies. Elle était abonnée à la saison de l’Opéra Garnier durant toute sa vie parisienne, tandis que ce monsieur à l’air perdu, était critique de théâtre pour France Soir pendant plus de 25 ans… Et celle autre dame, émue aux larmes de pouvoir jouer sur le clavier du pianiste sans avoir osé le lui demander.

 

La musique, un chemin de spiritualité

Tous ces visages, souvent souffrants et fermés, révèlent alors leur magnifique intériorité, non seulement à l’écoute de la musique, mais parce qu’ils sont regardés avec amour par les musiciens, les bénévoles ou les soignants.
Le temps du voyage est souvent un lieu de partage avec les artistes. Nous nous révélons les uns aux autres avec confiance, hors des circuits professionnels habituels, sans enjeu d’égo ou de carrière. En plus de la vie de chacun, je découvre parfois des musiciens engagés dans leur foi et souvent habités d’une réelle quête spirituelle.
Notre mission : donner l’occasion aux musiciens et aux bénévoles de révéler le meilleur d’eux-mêmes, pour le partager afin que personnes âgées ou malades retrouvent un « temps de vie réelle », en dehors du triangle « soignant-soin-soigné ».
Par son métier, le musicien accède à une transcendance qui le relie directement à la Beauté. Or François Cheng écrit « Il n’y a pas de Beauté sans Bonté ». La Bonté appartient à part entière à la Beauté.
Et si la Beauté soigne l’âme, elle soigne aussi le corps. Les études scientifiques menées aujourd’hui témoignent toutes des effets thérapeutiques de l’écoute et de la pratique de la musique, ou même de la contemplation d’œuvres d’art par des personnes malades. Comment ne pas voir dans cette alchimie incroyable du corps, de l’âme et de l’esprit, l’essence divine de la Beauté qui rejoint notre essence divine ?
Un sourire brouillé de larmes, des applaudissements en cascades, des éclats de voix surprises par le son des instruments, emportées ailleurs par des mélodies reconnues… Ce sont des milliers de petits clins d’œil, de petites étoiles qui jalonnent nos itinérances musicales et nous relient les uns aux autres dans notre humanité incarnée et spirituelle.
Et sans doute est-ce là, au cœur de ces rencontres autour de la Beauté, que Dieu se manifeste.

Agnès Desjobert

Depuis 2012 dans le cadre de Pour Que l’Esprit Vive* Hors Saison Musicale, une action culturelle en milieu rural, favorise les liens sociaux et lutte contre l’isolement. L’hiver, elle organise une cinquantaine de mini-séries avec des musiciens professionnels dans les écoles, en EHPAD, MARPA, dans les foyers de personnes handicapées, par des visites musicales chez les personnes âgées. Ces actions, suivies d’un concert, généralement dans l’église du village dynamisent les territoires ruraux de manière pérenne dans une vingtaine de départements.

www.horssaisonmusicale.fr 
hors-saison-musicale@pqev.org
 
*Association reconnue d’utilité publique fondée par Armand Marquiset en 1932
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