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Repères ignatiens / Repères ecclésiaux - Revue N°88 - Mai 2024
Dans l’Église, les concepts de « paix » et de « guerre juste » ont évolué
Le diacre et théologien moraliste Christian Pian rappelle comment, depuis l'encyclique de Jean XXIII Pacem in terris en 1963 et la prolifération des arsenaux militaires, la doctrine de l’Église catholique insiste davantage sur le refus de la violence et la nécessaire promotion de la paix que sur la justification du recours à la force.Alors même que l’horizon de la paix est premier dans les Évangiles et que le refus de la violence semble fermement attesté par Jésus, l’Église en est venue, au cours des siècles, à élaborer une théorie dite de « la guerre juste ». Mais celle-ci est toujours restée secondaire par rapport à l’engagement des chrétiens pour la paix.
Dans la doctrine de l’Église catholique telle qu’elle s’est développée depuis la fin du XIXe siècle, on a, en tout cas, beaucoup plus insisté sur le refus de la violence et la nécessaire promotion de la paix que sur la justification du recours à la force. Les choses sont devenues encore plus claires après la Seconde Guerre mondiale et les bombardements atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki puis l’avènement de la guerre froide (1945-1989). L’encyclique Pacem in terris (1963), écrite à l’apogée de cette guerre froide, se demande s’il ne faut pas reconsidérer la question des critères de la guerre juste. Jean XXIII en vient ainsi à déclarer qu’« il devient humainement impossible de penser que la guerre soit, en notre ère atomique, le moyen adéquat pour obtenir justice d'une violation de droits » (PT 127). La base et le cœur de ce document ne sont d’ailleurs pas l’examen de la guerre ; il s’agit de proclamer une paix inspirée par l’Évangile, capable d’instaurer une confiance durable entre les nations.
Les papes qui suivront – Paul VI, Jean Paul II, Benoît XVI et François – vont tous se situer dans cette perspective. Ils souligneront les tensions et les limites d’une tradition qui pouvait justifier la guerre. Certes, on trouve encore dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église (2005) l’affirmation (reprise du Catéchisme de l’Église catholique) selon laquelle, une guerre d'agression étant intrinsèquement immorale, « dans le cas tragique où elle éclate, les responsables d'un État agressé ont le droit et le devoir d'organiser leur défense en utilisant notamment la force des armes ». Mais c’est pour ajouter aussitôt que « la puissance des moyens modernes de destruction pèse très lourdement dans l'appréciation de cette condition » et que « l'appréciation de ces conditions de légitimité morale appartient au jugement prudentiel de ceux qui ont la charge du bien commun » (CDSE 500).
La paix, fruit de la justice
En fait, depuis Pacem in terris, les papes et le magistère ont surtout cherché à faire la promotion de la paix comme devant être un fruit de la justice sociale et internationale et à proposer des alternatives à la résolution des crises par la guerre. Paul VI va insister sur le fait que l’unique chemin vers la paix passe par un engagement des partenaires économiques, sociaux et politiques pour en finir avec l’injustice. « Le nouveau nom de la paix, c’est le développement », a-t-il écrit dans Populorum progressio (PP 76). Constatant qu’il existe un cercle vicieux entre injustice et guerre, Jean-Paul II mettra en avant le constat selon lequel la violence conduit à plus d’injustice. Il déplorera aussi l’ampleur des arsenaux de guerre.
S’appuyant sur ce dernier constat, les évêques américains vont publier une importante lettre pastorale sur la guerre et la paix en 1983. Celle-ci condamne non seulement la course aux armements mais aussi la dissuasion nucléaire dès lors qu’on s’en satisfait comme d’une solution pérenne. C’est pourquoi ces évêques en appellent à des « efforts vers un système plus adéquat de sécurité globale, de stabilité et de justice » qui « requièrent des mesures qui aillent au-delà de nos conceptions actuelles de sécurité et de politique de défense ». Ce document marque un tournant, en faisant pleinement droit à la voie de l’option non-violente, à côté de l’enseignement pluriséculaire sur la guerre juste. Et ce, y compris en cas de défense légitime face à une agression. Benoît XVI va lui aussi manifester un certain scepticisme quant à l’usage de la violence pour aller à l’encontre de la violence ; ainsi, il écrit dans Caritas in veritate (2009) : « on ressent fortement l’urgence de trouver des formes innovantes pour concrétiser le principe de la responsabilité de protéger » (CiV 7).
Ne pas désespérer de la paix
Le pape François a réaffirmé tous ces thèmes dès le début de son pontificat en 2013. Il a exhorté à de multiples reprises à la non-prolifération des armes et au désarmement, surtout en ce qui concerne les armes nucléaires. Il a consacré son message du 1er janvier 2017 à la non-violence et à sa promotion. Sa dernière encyclique Fratelli tutti (2020) peut être vue comme un vibrant plaidoyer pour ne pas désespérer de la paix et miser positivement sur sa construction. Le pape y affirme que « Face à cette réalité (de la guerre), il est très difficile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible “guerre juste” » (FT 258).
Malgré les incompréhensions qu’il a pu provoquer du fait de ses prises de positions dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine puis dans celui entre Israël et le Hamas, le pape François tient bon dans son refus de réhabiliter la notion de guerre juste. Il veut s’en tenir à demander aux croyants de « ne prendre qu’un seul parti : celui de la paix » (audience du 27 octobre 2023) en réclamant sans relâche le cessez-le-feu, le dialogue et des négociations. Ce faisant, il demeure cohérent avec son enseignement et les enseignements les plus récents du magistère catholique.
Christian Pian
Christian Pian est diacre du diocèse de Nanterre, enseignant honoraire à l'Institut catholique de Paris (ICP). Spécialisé en théologie morale dans le champ social et politique, il s'intéresse spécialement à la doctrine sociale de l'Église et participe au comité scientifique du Centre de recherche et d'action sociales (Ceras).
Photo : Après les bombes atomiques d'août 1945 sur Hiroshima et Nagasaki, l’Église catholique a davantage insisté sur le refus de la violence.
© : Gouvernement fédéral américain, Domaine public.
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