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Spiritualité ignatienne - Revue N°76 - Mars 2022

Comment peut-on encore aimer l'Eglise ?

Après la révélation des abus commis par des clercs et des religieux, nous pou- vons être traversés par toutes sortes des sentiments envers l’Église: dégoût, abattement ou même rejet. Comment Ignace peut-il nous aider ? Réponse avec Georges Cottin s.j.
 

Saint Ignace aimait l’Église, c’est un fait, dans un contexte politique et religieux infiniment complexe et ambigu, mais il savait voir plus loin que la cupidité, l’orgueil et l’hypocrisie de bon nombre de ses membres et de ses responsables en particulier. À une époque où certains papes entretenaient des armées, des maîtresses, cumulaient les richesses et faisaient de leurs enfants illégitimes des cardinaux, où l’Inquisition faisait encore des ravages et où l’on s’entretuait au nom de la religion chrétienne, lui, Ignace, portait son regard sur saint François, saint Dominique et soumettait ses projets au bon vouloir de l’Évêque de Rome. Non par ignorance de ce qui se passait vraiment mais dans la foi que Dieu n’avait pas déserté le monde et que « sous l’étendard de la croix » il pourrait avec d’autres contribuer à sa croissance spirituelle. N’écrivait- il pas dans la neuvième règle des « Remarques pour avoir le sens vrai dans l’Église », à la fin des Exercices spirituels (§ 361) : « (Nous avons à)… louer tous les préceptes de l’Église, ayant l’esprit prompt à chercher des raisons pour les défendre et, en aucune manière, pour les attaquer. »


Obéir en Église

J’aime beaucoup ce qu’écrivait le P. Michel Rondet : « Nous n’avons pas à obéir à l’Église mais en Église… » (article paru dans la revue Cahiers pour croire aujourd’hui n°69, novembre 1990). Et il expliquait : « Si obéir à l’Église peut paraître parfois une solution de facilité, obéir en Église ne l’est jamais. Cette obéissance engage mon être croyant dans sa responsabilité et sa liberté devant Dieu, qui éprouve ma solidarité avec mes frères dans la foi. Elle est l’acte dans lequel je rati- fie chaque jour mon baptême pour rennaître avec le Christ, comme lui fils dans l’obéissance ». Parce que cette Église, pècheresse et misérable, qui multiplie les scandales et heurte les consciences, c’est nous, c’est moi, c’est vous ! Certes je suis comme vous atterré par l’ampleur des abus sexuels perpétrés au cours des  cinquante ou soixante-dix dernières années, encore plus atterré par le fait qu’ils ont été commis par des clercs, parfois en se retranchant derrière l’autorité ecclésiastique, avec tous les ravages psychologiques et spirituels qui en découlent. Mais il s’agit de ne pas oublier que parce que je suis homme je ne suis pas parfait.

Obéir en Église, c’est justement ne pas nous prendre pour Dieu, c’est dire au monde que nous sommes porteurs d’un message infiniment plus grand que nous, que nous sommes crédibles non pas par nos actes ou nos comportements, mais par la présence de Dieu au-delà de nous, à travers nous, parfois même malgré nous !
 
Cela ne peut se faire que si l’Église se considère comme un peuple de chercheurs de Dieu et non pas un troupeau soumis à des règles et à une hiérarchie. Le rapport de la commission Sauvé comme l’amorce du Synode sur la Synodalité vont délibérément dans ce sens et c’est peut-être le profit à tirer de toutes les révélations de ces derniers mois : nous avons à repenser radicalement la gouvernance de nos institutions, la façon dont sont prises les décisions, l’écoute et les prises de parole au sein de l’Église, la place des femmes dans nos communautés, l’attention, l’accueil, le respect des plus petits, des marginaux, des étrangers, des vieillards, des personnes seules… Nous ouvrons chaque Eucharistie par une reconnaissance que nous sommes pêcheurs, c’est vrai, mais le faisons-nous avec conviction, avec le sentiment d’une responsabilité collective, d’une infidélité collective au message de l'Evangile ?
 

Une Église en devenir

« Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes à la pénitence, mais les pécheurs » (Lc 5, 31- 32). Là se trouve la réalité de l’Église, dans cette multitude d’hommes, de femmes, de vieillards ou d’enfants, qui cherchent un sens à leur vie, une guérison, une délivrance, un idéal… Certains disent que notre Église est en train de s’effondrer, de disparaître aux yeux du monde et des media… Je crois qu’au contraire elle est en train de renaître, de retrouver ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, une foule de gens, infirmes, lépreux, aveugles ou manchots, suivant le Christ sur les collines de Galilée, écoutant ses paroles, implorant son aide, se nourrissant de son exemple. L’Église n’a pas vocation à diriger le monde mais à laisser le Christ l’éclairer, l’appeler, l’orienter vers le Père. Un Dominicain, le P. Dominique Collin, a écrit un très beau livre là-dessus : L’Église n’existe pas encore (Édition Salvator, 2018). Il veut dire par là que le message de l’Évangile n’a pas encore été vraiment pris au sérieux, que nous avons encore tout à découvrir et à mettre en œuvre pour qu’il rayonne… et Dieu n’a que nous pour le faire ! Mission énorme, démesurée, mais qui révèle toute la tendresse, la confiance, que Dieu nous porte : « Vous serez mes témoins » !
 
Il aurait très bien pu agir autrement, se passer de nous, intervenir directement ! Ce n’est pas le chemin qu’il a choisi. Il a préféré s’adresser à des êtres pusillanimes, inconstants, fragiles, comme Pierre, comme Thomas, comme Judas, ne leur laissant aucun document écrit, aucune charte, aucune constitution, simplement l’expérience d’une présence, d’une fidélité, d’une miséricorde sans borne : « Je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20)

Voilà qui me fait tenir aujourd’hui. Voilà qui me permet de prêcher encore, de célébrer, de poursuivre une mission dans un monde instable, exposé à mille périls. Je n’ai pas le désir de tourner la page, de me comporter comme si le rapport de la CIASE n’avait jamais existé, de faire l’autruche et encore moins de quitter mon Église. Je l’aime trop pour penser que son temps est révolu ! Je crois au contraire qu’elle est en devenir, qu’elle ne s’est pas encore trouvée, qu’elle est devant moi, devant nous, à l’image des Apôtres se retrouvant au soir de l’Ascension avec cette immense responsabilité de faire naître l’Église.

Une dernière illustration avec l’aide du P. Arrupe, le supérieur général de la Compagnie, dans les années 1965-1983. On a dit qu’il avait « refondé » la Compagnie, qu’il lui avait redonné tout son souffle. Il disait que nous avions à vivre « exposés », et exposés de trois façons :
 
  • exposés à tous les dangers comme on est exposé sur un champ de bataille, exposés à la tentation, à la confrontation au monde qui nous entoure, expo- sés à l’athéisme, à la violence, à l’incompréhension, au ridicule, exposés à la pauvreté et à tous les défis qui nous entourent…
 
  • mais aussi exposés comme on expose une œuvre dart, cest- à-dire en laissant voir, non pas ce que nous faisons de bien, mais ce que Dieu fait de bien à travers nous, et parfois malgré nous !
 
  • et enfin exposés comme on expose son corps au soleil pour une petite bronzette, c’est-à- dire en laissant les autres nous changer, nous interpeller, nous convertir, et je pense ici aux paroles des tout petits, des pauvres, des gens simples, qui savent bien mieux que les puis- sants nous montrer le chemin à prendre !

Oui notre vie est exposée, dangereuse, offerte, ouverte, et c’est toute sa richesse ! Non pas seulement la mienne, comme prêtre, mais celle de tous les croyants, mes frères et sœurs dans le Christ.

Grâce t’en soit rendue, Seigneur !
 
Georges Cottin s.j.
a travaillé longtemps à Marseille comme prêtre ouvrier puis dans le social comme opérateur de bilan de compétences.
Il vient de passer vingt ans au 
service des Centres spirituels.
Il est à présent curé de la paroisse
Notre-Dame des Anges à Bordeaux.
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