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Témoignages - Revue N°82 - Mars 2023
Comment interpréter la mort du Christ ?
Nous essayerons de répondre à ces questions en deux temps. Par ce premier article, nous interrogerons les Évangiles et tout particulièrement la Cène qui est en quelque sorte le testa-ment spirituel que Jésus nous a laissé la veille de sa mort. Elle nous dit le sens qu’il a voulu donner à sa vie et à sa mort. Lors de la Cène, Jésus offre-t-il sa vie à son Père, comme l’affirme curieusement le concile de Trente et le célèbre la messe de saint Pie V, ou aux disciples qui sont réunis autour de lui ? Dans un second article¹ — ce sera l’objet d’un article qui paraitra dans le prochain numéro de notre revue —, nous essayerons de comprendre l’origine de cette inversion du sens de la Cène et quelles en ont été les conséquences dans les célébrations eucharistiques. Enfin, si nous utilisons encore le mot sacrifice, quel sens faut-il lui donner ?
Le sens de la Cène
Le mémorial que Jésus nous a laissé comporte quatre temps : il prend du pain, sans doute celui que les disciples ont apporté pour le repas de la Pâque, et il prononce la bénédiction. Celle-ci devait commencer comme beaucoup de bénédictions juives que nous connaissons : « Tu es béni, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes… » Son mouvement n’est pas celui. d’une offrande à Dieu, c’est un acte de reconnaissance de Dieu qui donne. Il le rompt. Ils seront nourris du même pain. Le pain est rompu, broyé, comme le sera le corps de Jésus. Et il le donne à ses disciples. Il est bien précisé que Jésus a parfaitement conscience de la faiblesse ou de l’indignité de ceux à qui il donne ce pain. Le récit de l’institution de l’Eucharistie est strictement encadré par l’annonce du reniement de Pierre et par l’annonce de la trahison de Judas.
En disant : « Prenez et mangez ceci est mon corps qui est pour vous », Jésus s’identifie à ce pain donné par Dieu. Il est le pain vivant descendu du ciel.
Le mouvement est donc descendant, tout vient du Père et tout est pour les disciples. Il en est de même avec la coupe : « Prenez et buvez-en tous, ceci est mon sang… ».
Le sang, dans la tradition biblique, avait été donné aux Israélites pour qu’ils effectuent les rites de purification des péchés ; en aucun cas il ne pouvait être bu. Ici, par cette invitation à boire la coupe de son sang, Jésus leur signifie que c’est leur cœur qu’il vient purifier de toute rancœur, de toute jalousie et de tout ressentiment à l’égard de Dieu, car dans ce don, ils découvrent que Dieu ne garde rien pour lui, contrairement à ce que leur faisait croire l’antique « serpent » de la Genèse ; ils découvrent que Dieu se donne pour qu’ils partagent sa vie. C’est une alliance inconditionnelle. Au Sinaï (Ex 24), l’alliance avait été scellée par un même sang réparti pour moitié sur le peuple et pour moitié sur les autels. Ici Jésus se donne à eux, corps et sang, corps et âme pourrait-on dire en français, de tout son être. Il n’y a pas une moitié pour l’autel. Il n’y a pas d’autel. Par l’offrande de ce qu’il est, leur est signifié leur pardon, car l’on ne se donne pas à ceux à qui l’on ne pardonne pas.
La Pâque juive dans laquelle s’inscrit la Cène confirme le sens de ce don. Lors du récit instituant la Pâque dans le livre de l’Exode (Ex 12), c’est Dieu qui prescrit à son peuple, par la médiation de Moïse, de manger une tête de petit bétail d’un an d’âge, sans défaut. Elle doit être mangée entièrement, les reins ceints, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Rien n’est offert à Dieu, tout est pour le peuple. Même le sang est pour les maisonnées. C’est Dieu qui nourrit son peuple pour qu’il ait la force de sortir de la servitude en Égypte et traverser la Mer Rouge, pour aller vers une terre promise où coulent le lait et le miel. La Cène accomplit parfaite-ment ce symbolisme : ce n’est pas un agneau qui est donné par Dieu en nourriture, c’est Jésus lui-même qui se donne, pour que ceux qui croiront en lui aient la force de vivre la mort comme une Pâque, une entrée dans la vie éternelle. Conclusion : rien dans les récits de la Cène n’exprime la mort du Christ en termes de sacrifices offerts à Dieu pour obtenir son pardon.
Un étonnement
Quel n’est pas notre étonnement lorsque nous lisons la déclaration du concile de Trente sur le Saint Sacrifice de la Messe ; il y est écrit : « Lors de la Cène, Jésus a offert son corps et son sang, sous les espèces du pain et du vin, à Dieu son Père ». Alors que Jésus, lors de la Cène, offre explicitement son corps et son sang à tous ses disciples. D’où vient cette inversion de sens qui marquera la messe de saint Pie V ? Quelques passages des évangiles diraient-ils un autre sens que la Cène ? Ou faut-il examiner la Lettre aux Hébreux qui est citée à maintes reprises par le concile de Trente dans l’exposition de la doctrine touchant le sacrifice de la messe ? Commençons par examiner les Évangiles.
Certains passages des Évangiles présentent-ils un autre sens que celui de la Cène ?
Plusieurs expressions sont souvent mentionnées pour justifier l’affirmation du Concile de Trente.Lorsque Jésus donne le sens de sa vie et de sa mort, ne dit-il pas « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » ? (Mc 10, 45). À qui est versée la rançon ? aux hommes ? ou à Dieu comme l’a affirmé la tradition du deuxième millénaire ? Cette sentence est un enseignement qui vient conclure « la demande des fils de Zébédée » (Mc 10, 35-45). Jésus les invite à vivre dans une attitude de service radical qui prend sa source dans sa propre vie : « car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude ». Qui dit rançon dit un prix à payer pour libérer un prisonnier. De quoi, ou de qui sommes-nous prisonniers ? De Dieu ? Certainement pas ! Nous prions Notre Père en lui disant : « délivre nous du mal ». C’est du mal sous toutes ses formes dont nous sommes prisonniers. Dans « La demande des fils de Zébédée », il prend la forme de ceux qui dominent et asservissent par la force et la peur de la mort, les puissants, « les grands qui font sentir leur pouvoir ». Jésus, en se livrant entre les mains de ceux qui lui donnent la mort, paie le prix fort, mais abolit leur pouvoir par la manifestation de sa résurrection. « Mort, où est ta victoire, mort où est ton aiguillon ? » (Cor 15, 51-58) dira Paul. En aucun cas cette expression ne peut être utilisée pour. penser la mort de Jésus comme une offrande à Dieu pour obtenir son pardon. Lorsqu’il meurt sur la croix, l’évangéliste Luc prête à Jésus cette parole : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit » (Lc 23, 46). Ne fait-il pas là une offrande de sa vie à son Père ? Ces paroles sont en fait une citation du psaume 31 (v. 6). Dans le psaume, elles expriment une confiance en Dieu qui peut délivrer du filet des ennemis (Ps 31, 5). Elles sont immédiatement suivies par « c’est toi qui me rachètes Seigneur, Dieu de vérité. » Ces dernières paroles de Jésus ne disent donc pas une offrande à Dieu, mais un appel au secours adressé à Celui qui peut le délivrer de la mort. Au baptême, Jean le Baptiste désigne Jésus en disant : « Voici l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jn 1, 29). L’agneau n’est-il pas offert en sacrifice à Dieu ? Nous l’avons vu plus haut, l’agneau de la Pâque est celui que Dieu donne à son peuple pour qu’il ait la force de sortir de l’esclavage. La résurrection libère tous ceux qui passaient leur vie en condition d’esclave par crainte de la mort (He 2, 15). Ce don qu’il nous fait de sa vie, ôte en nous le péché du monde. Pourquoi ? Car les trois premiers chapitres de la Bible nous disent que la racine de tout péché, le « péché originel », consiste à penser nos limites physiques comme le signe que Dieu ne voudrait pas que nous lui ressemblions, et qu’il garderait pour lui le meilleur et l’immortalité : « Pas du tout vous ne mourrez pas, mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal ». Or croire que le Fils de Dieu se donne inconditionnellement à nous, conduit à penser que Dieu, non seulement ne garde rien pour lui, mais qu’il se donne à nous pour que nous partagions sa propre vie et devenions ses enfants. Là encore, il ne s’agit pas pour Jésus de pardonner les péchés par une offrande sacrificielle offerte à Dieu, il s’agit d’ouvrir le cœur de l’homme aux merveilles de l’amour divin.
À suivre…
Prendre le temps après une célébration eucharistique de relire ce que je viens de vivre.
Qu’est-ce qui m’a nourri ? Qui m’a donné la paix, la joie ? Qui m’a permis de reconnaître en mes frères et sœurs la présence du Christ ressuscité ? Y a-t-il des expressions liturgiques qui me mettent mal à l’aise ? Lesquelles ? Est-ce que je pense à les examiner à la lumière de l’Évangile ?Martin Pochon, s.j., ingénieur, membre de l’équipe d’animation des Chemins Ignatiens Nantais, a travaillé dans la formation professionnelle des jeunes (AFEP, École de Production de St-Étienne, Lycée Le Marais Ste Thérèse). Il a toujours accompagné différents groupes de réflexion et poursuivi un travail de théologie biblique.
¹À paraître dans le n° 83 de la revue Vie Chrétienne de mai-juin 2023.
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