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Repères ignatiens / Repères ecclésiaux - Revue N°79 - Septembre 2022
Appelés à aimer
« Que tous soient un », la prière de Jésus, nous invitant à la communion fraternelle, est toujours à construire dans les communautés chrétiennes. En relisant son expérience pastorale le père Benoist de Sinety ouvre des chemins pour y parvenir.« Que tous soient un » (Jn 17,21) : cette prière accompagne l’Église depuis sa création. Est-elle pour autant exaucée ? Son auteur n’est pas, pourtant, le premier venu. Jésus lui-même se tourne vers son Père au soir où s’accomplissent les Écritures. Il le prie, prenant à témoin ceux dont il fait ses disciples. Ils sont là devant lui, hommes et femmes d’origines diverses, aux histoires bouleversées par la Rencontre qu’ils firent un jour de leurs histoires. Les mots les frappèrent au point qu’ils les rapportèrent et qu’ils constituent cette prière du Christ Prêtre qui intercède pour ceux qu’il envoie au monde comme lui-même a été envoyé par son Père.
Et voici : chacun, dans son existence particulière, se trouve, par ces paroles, agrégé aux autres dans une même Espérance. Ils ne cessent pas d’exister, leurs visages demeurent marqués de traits propres, leurs voix gardent leurs tessitures, leurs goûts et leurs répugnances demeurent, leurs désirs aussi. Pas plus qu’ils ne cessent de pécher, ils ne cessent de tâtonner sur ce chemin escarpé de l’amour où leurs sens et leurs cœurs les mènent.
« Comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi » (Jn 17,21) : la prière de Jésus n’appelle pas à la dissolution de l’homme dans un « grand tout », mais au consentement de chacun à se laisser mener à une communion de plus en plus totale avec celui qui insuffle en tout être la douce brise de vie.
Cette prière ne cesse d’être : elle ne peut, par définition, s’accomplir que dans l’Éternité puisqu’elle se renouvelle à chaque instant de chacune de nos vies. La communion n’est pas un programme elle est un appel. Elle ne se réalise jamais, elle se construit toujours. Nous en goûtons parfois comme une saveur annonciatrice à tel ou tel instant. Et ces instants ont un parfum d’éternité.
Expériences d’amour fraternel
Je me souviens de l’un d’eux, paradoxal comme toujours, lorsque j’étais curé de l’église St-Germain-des-Prés à Paris : pour le millénaire de la construction du clocher, nous avions organisé un spectacle vivant relatant les grandes heures de ce lieu. Des centaines de paroissiens et amis s’étaient mobilisés pour coudre, clouer, jouer, chanter, pour accueillir près de quinze mille visiteurs qui se succédèrent le temps d’un long week-end. Le dimanche soir, après la dernière représentation, la messe fut célébrée. Eucharistie sans chaise, au milieu d’un décor de monastère et de tables de café. Après la communion, un tourbillon s’empara de certains qui se mirent à valser doucement, si poétiquement. D’un coup la nef entière devint légère, chacun dansait comme une douce vague qui vous porte plus loin que l’horizon ne le laissait envisager. De toutes générations, de toutes sensibilités liturgiques, nous nous retrouvions à nous réjouir d’une expérience commune d’un amour qui nous dépasse et nous submerge.
Un autre jour, c’était le soir de Pâques, je baptisais une dizaine d’adultes. Nous étions deux ou trois à savoir les histoires de chacun de ces catéchumènes devant nous : je les contemplais, soudain dépassé par ce que je célébrais. J’avais là, sous les yeux un juge, un policier et deux anciennes prostituées. Et je prêtais ma voix à Celui qui, les désignant comme ses enfants, les faisait frères et sœurs.
Colère et paroles haineuses
Mais ces moments où l’on touche du doigt la manière dont la prière du Fils s’exauce dans notre Histoire, semblent devoir presque toujours être ensevelis par les disputes et les colères qui nous liguent les uns contre les autres.
« C’est toujours à nous qu’on demande des efforts » me disait un paroissien l’autre jour lorsqu’il se voyait invité à remettre en cause des habitudes liturgiques afin de permettre à d’autres de se sentir plus accueillis. Nous restons des enfants, nous continuons de parler ainsi et de penser ainsi. Sans doute que les modes actuelles influencent notre tendance aux caprices et notre difficulté à privilégier le bien commun sur nos ressentis individuels. Désormais, sur les réseaux sociaux, la distance dans laquelle les écrans nous tiennent les uns par rapport aux autres, nous permettent de nous « lâcher » en toute impunité : là où le face-à-face nous oblige à un minimum de tenue et de respect relationnel, le virtuel nous désinhibe et rend possible l’insulte, les paroles haineuses et les appels au lynchage. Et les colères ou les désirs d’en découdre nous poursuivent alors dans le réel, tant elles tournent en nos cœurs à l’aigre : j’ai ainsi fait l’expérience à différentes reprises d’insultes voire de menaces de mort de la part d’honorables paroissiens à la sortie de messes qui nous rassemblaient, me reprochant des paroles insupportables à leurs oreilles sur les migrants par exemple.
Placer le Christ au centre
Ces messes qui nous réunissent chaque dimanche et qui font d’un groupe d’humains, que tout pourrait opposer s’il commençait à débattre de bien des sujets, une communauté qui se met à l’écoute d’une même parole et qui reçoit en partage une même présence, avant d’être envoyée porter l’une comme l’autre au monde entier.
À Saint-Maurice[1], au cœur de Lille, nous écoutons d’abord cette Parole en nous réunissant autour d’elle. Nous sommes les uns face aux autres, avec au milieu le Livre d’où jaillissent ces mots de grâce. Comme me le disait un ami : ainsi nul ne peut regarder vers le lieu d’où vient cette Parole sans croiser le regard de ceux qui sont en face de lui. Et nul ne peut regarder en face sans croiser le lieu d’où sont prononcés ces mots. En plaçant le Christ au centre, nous manifestons qu'il nous donne les uns aux autres comme frères et sœurs, et nous rappelle qu’il n’y a pas de fraternité possible hors de Lui. Ainsi aussi de l’autel où chacun selon son service, nous célébrons l’Eucharistie en demandant au Fils qu’il fasse grandir en chacun de nous le désir d’une communion qui vient.
Car elle vient cette communion, quel que soit le ressenti des membres du corps qui nous relie les uns aux autres. Elle est là intrinsèquement liée à ce souffle de vie qui nous habite et dont nous n’avons souvent pas conscience. Ce souffle qui nous mène là où nous ne savons pas et qui vient de celui que nous connaissons si mal. Mais dont nous savons seulement qu’il n’en a jamais fini avec aucun d’entre nous.
Benoît de Sinety
Né en 1968, ordonné prêtre en 1997 à Paris où il exerça diverses missions. Aujourd’hui curé de la paroisse St-Eubert et doyen de la ville de Lille. Dernier ouvrage paru : Nos 7 péchés capitaux (Flammarion, 2022)
[1] En 2001, le diocèse de Lille confie cette église du centre-ville à la Fraternité Diocésaine des Parvis qui cherche à s’inscrire dans la trace spirituelle de Madeleine Delbrêl. Saint-Maurice est maintenant un des clochers de la paroisse Saint-Eubert. La Fraternité y exerce toujours sa mission avec succès : un soin particulier est apporté à la liturgie eucharistique afin qu’elle manifeste une communauté rassemblée qui célèbre.
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